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en main le gouvernement, en examina et approuva les constitutions, et en fit faire la visite par M. ***, qui fut le premier supérieur qu'il donna à ce monastère.

Ce fut vers ce temps-là que Louise de Bourbon, première femme du duc de Longueville, princesse d'une éminente vertu, forma avec M. Zamet, évêque de Langres, le dessein d'instituer un ordre de religieuses particulièrement consacrées à l'adoration du mystère de l'eucharistie, et qui, par leur assistance continuelle devant le saint sacrement, réparassent en quelque sorte les outrages que lui font tous les jours, et les blasphèmes des protestants, et les communions sacriléges des mauvais catholiques. Ils communiquèrent tous deux leur pensée à la mère Angélique, et la prièrent non-seulement de les aider à former cet institut, mais d'en vouloir même accepter la direction, et de donner quelques-unes de ses religieuses pour en commencer avec elle l'établissement. Cette proposition fut d'autant plus de son goût, qu'il y avoit déjà plus de quinze ans que cette même assistance continuelle devant le saint sacrement avoit été établie à Port-Royal, d'abord pendant le jour seulement, et ensuite pendant la nuit même. Toutes les religieuses de ce monastère ayant appris un si louable dessein, furent touchées d'une sainte jalousie de ce qu'on fondoit pour cela un nouvel ordre, au lieu de l'établir dans Port-Royal

même. Elles demandèrent avec instance que, sans chercher d'autre maison que la leur, on leur permît d'ajouter les pratiques de cet institut aux autres pratiques de leur règle, et de joindre en elles le nom glorieux de Filles du Saint-Sacrement à celui de Filles de saint Bernard. La princesse étoit d'avis de leur accorder leur demande; mais l'évêque persista à vouloir un ordre et un habit particuliers.

Ce prélat étoit un homme plein de bonnes intentions et fort zélé, mais d'un esprit fort variable et fort borné. Il avoit plusieurs fois changé le dessein de son institut. Il vouloit d'abord en faire un ordre de religieux plus retirés et encore plus austères que les chartreux; puis il jugea plus à propos que ce fût un ordre de filles. Sa première vue pour ces filles étoit qu'elles fussent extrêmement pauvres, et que, pour mieux honorer le profond ábaissement de Jésus-Christ dans l'eucharistie, elles portassent sur leur habit toutes les marques d'une extrême pauvreté. Ensuite il imagina qu'il falloit attirer la vénération du peuple par un habit qui eût quelque chose d'auguste et de magnifique. Mais la mère Angélique desira que tout se ressentît de la simplicité religieuse. Il avoit fait divers autres réglements dont la plupart eurent besoin d'être rectifiés. La mère Angélique, voyant ces incertitudes, eut un secret pressentiment que cet ordre ne seroit pas de longue durée. Mais la bulle étant

arrivée, où elle étoit nommée supérieure, et où il étoit ordonné que ce seroient des religieuses tirées de Port-Royal qui en commenceroient l'établissement, elle se mit en devoir d'obéir. La bulle nommoit aussi trois supérieurs, savoir: M. de Gondi, archevêque de Paris; M. de Bellegarde, archevêque de Sens; et l'évêque de Langres. Mais ce dernier, comme fondateur, et d'ailleurs étant grand directeur de religieuses, eut la principale conduite de ce monastère. La mère Angélique entra donc avec trois de ses religieuses et quatre postulantes dans la maison destinée pour cet institut. Cette maison étoit dans la rue Coquillière, qui est de la paroisse de Saint-Eustache, et le Saint-Sacrement y fut mis avec beaucoup de solennité. Bientôt après on y reçut des novices, et ce fut l'archevêque de Paris qui leur donna le voile.

La nouveauté de cet institut donna beaucoup occasion au monde de parler; et, dans ces commencements, la mère Angélique eut à essuyer bien des peines et des contradictions. Son principal chagrin étoit de voir l'évêque de Langres presque toujours en différend avec l'archevêque de Sens, qui ne pouvoit compatir avec lui. Leur désunion éclata surtout à l'occasion du chapelet secret du Saint-Sacrement. Comme cette affaire fit alors un fort grand bruit, et que les ennemis de Port-Royal s'en sont voulu prévaloir dans la suite

contre ce monastère, il est bon d'expliquer en peu de mots ce que c'étoit que cette querelle.

Ce chapelet secret étoit un petit écrit de trois ou quatre pages, contenant des pensées affectueuses sur le mystère de l'eucharistie, ou, pour mieux dire, c'étoient comme des élans d'une ame toute pénétrée de l'amour de Dieu, dans la contemplation de sa charité infinie pour les hommes dans ce mystère. La mère Agnès, de qui étoient ces pensées, n'avoit guère songé à les rendre publiques. Elle en avoit simplement rendu compte au père de Gondren, son confesseur, depuis général de l'Oratoire, qui, pour sa propre édification, lui avoit ordonné de les mettre par écrit. Il en tomba une copie entre les mains d'une sainte carmélite, nommée la mère Marie de Jésus. Cette mère étant morte un mois après, on fit courir sous son nom cet écrit qui avoit été trouvé sur elle; mais on sut bientôt qu'il étoit de la mère Agnès. L'évêque de Langres le trouva merveilleux, et en parla avec de grands sentiments d'admiration. L'archevêque de Sens, qui en avoit été fort touché d'abord, commença tout à coup à s'en dégoûter. Il le donna même à examiner à M. Duval, supérieur des carmélites, et à quelques autres docteurs à qui on ne dit point qui l'avoit composé. Ces docteurs, jugeant à la rigueur de certaines expressions abstraites et relevées, telles que sont à peu près celles des mystiques, le condamnèrent. D'autres doc

teurs consultés par l'évêque de Langres, l'approuvèrent au contraire avec éloge, tellement que les esprits venant à s'échauffer, et chacun écrivant pour soutenir son avis, la chose fut portée à Rome. Le pape ne trouva dans l'écrit aucune proposition digne de censure; mais pour le bien de la paix, et parce que ces matières n'étoient pas de la portée de tout le monde, il jugea à propos de le supprimer, et il le fut en effet.

Entre les théologiens qui avoient écrit pour le soutenir, Jean du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, avoit fait admirer la pénétration de son esprit et la profondeur de sa doctrine. Il ne connoissoit point alors la mère Agnès, et avoit même été préoccupé contre le chapelet secret, а cause des différends qu'il avoit causés; mais l'ayant trouvé très-bon, il avoit pris lui-même la plume pour défendre la vérité qui lui sembloit opprimée. Il n'avoit point mis son nom à son ouvrage, non plus qu'à ses autres livres. Mais l'évêque de Langres ayant su que c'étoit de lui, l'alla chercher pour le remercier. A mesure qu'il le connut plus particulièrement, il fut épris de sa rare piété et de ses grandes lumières; et, comme il n'avoit rien plus à cœur que de porter les filles du Saint-Sacrement à la plus haute perfection, il jugea que personne au monde ne pouvoit mieux l'aider dans ce dessein que ce grand serviteur de Dieu. Il le conjura donc de venir faire des exhortations à ces

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