Page images
PDF
EPUB

sans aucune intention sur son bénéfice : je voudrois bien qu'il eût toujours cette bonne opinion de moi. Il n'y a rien à faire auprès de M. l'évêque; il donne à ses gens le peu de bénéfices qui vaquent ici.

Je suis fort alarmé de votre refroidissement avec le pauvre abbé Levasseur; cela m'affligeroit au dernier point, si je ne savois que votre amitié est trop forte pour être si long temps refroidie, et que vous êtes trop généreux l'un et l'autre pour ne pas passer par-dessus de petites choses qui peuvent avoir causé cette mésintelligence. Je souhaite que cet accord se fasse au plutôt. Ayez la bonté de m'en mander aussitôt la nouvelle; car je mourrois de déplaisir si vous rompiez tout à fait, et je pourrois bien dire comme Chimène,

La moitié de ma vie a mis l'autre au tombeau.

Mais vous n'en viendrez pas jusqu'à cette extrémité; vous êtes trop pacifiques tous deux.

J'ai peine à croire que mademoiselle Vitart ait la moindre curiosité de voir quelque chose de moi, puisqu'elle ne m'en a rien témoigné. Vous savez bien vous même que les meilleurs esprits se trouveroient embarrassés s'il leur falloit toujours écrire sans recevoir de réponse. Ecrivez-moi souvent; vos lettres me donnent courage, et m'aident à pousser le temps par l'épaule, comme on dit dans ce pays-ci.

,

M. le prince de Conti est à trois lieues de cette ville, et se fait furieusement craindre dans la province; il fait rechercher les vieux crimes, qui sont en fort grand nombre : il a fait emprisonner plusieurs gentilshommes, et en a écarté beaucoup d'autres. Une troupe de comédiens s'étoit venue établir dans une petite ville proche d'ici, il les a chassés; et ils ont repassé le Rhône. Les gens du Languedoc ne sont pas accoutumés à pareille réforme. Il faut pourtant plier.

que

Je ne saurois écrire à d'autres qu'à vous aujourd'hui, j'ai l'esprit embarrassé; je ne suis en état de parler procès, ce qui scandaliseroit ceux à qui j'ai coutume d'écrire : tout le monde n'a pas la patience que vous avez pour souffrir mes folies. Outre que mon oncle est au lit, et que je suis fort assidu auprès de lui, il est tout à fait bon, et je crois que c'est le seul de sa communauté qui ait l'ame tendre et généreuse. Je souhaite qu'il fasse quelque chose pour moi : je puis cependant protester que je ne suis pas årdent pour les bénéfices; je n'en souhaite que pour vous payer au moins quelque méchante partie de tout ce que je vous dois. Je meurs d'envie de voir vos deux infantes.

Un gentilhomme voisin de cette ville annonçoit avec tant de confiance que l'enfant dont sa femme devoit accoucher seroit quelque chose de grand, que je m'attendois à voir naître dans le château quelque géant; et il n'est venu qu'une fille. Ce

n'est pas qu'une fille soit peu de chose, mais le père parloit bien plus haut; cela lui apprend à s'humilier. J'ai ouï dire à un prédicateur, que Dieu changeroit plutôt un garçon en fille avant qu'il fût né, que de ne point humilier un homme qui s'en fait accroire. Ce n'est pas qu'il y ait du miracle dans l'affaire de ce gentilhomme, et je crois fort bonnement qu'il n'a eu que ce qu'il a fait. Adieu.

A M. LE VASSEUR.

Paris, 1664

LA RENOMMÉE 'a été assez heureuse. M. le comte de Saint-Aignan la trouve fort belle; il a demandé mes autres ouvrages, et m'a demandé moi-même je le dois aller saluer demain. Je ne

:

l'ai pas trouvé aujourd'hui au lever du roi mais j'y ai trouvé Molière, à qui le roi a donné assez de louanges; et j'en ai été bien aise pour lui. Il a été bien aise aussi que j'y fusse présent.

Les Suisses iront dimanche à Notre-Dame; et le roi a demandé la comédie pour eux à Molière : sur quoi M. le duc a dit qu'il suffisoit de leur donner Gros-René bien enfariné, parce qu'ils n'entendoient point le français.

Adieu. Vous voyez que je suis à demi-courtisan; mais c'est à mon gré un métier assez ennuyeux.

'L'ode de la Renommée aux Muses.

Pour ce qui regarde les Frères', ils sont avancés. Le quatrième acte étoit fait; mais je ne goûtois point toutes ces épées tirées ainsi il a fallu les faire rengaîner, et pour cela ôter plus de deux cents vers, ce qui n'est pas aisé.

E

AU MÊME.

Paris, 1664.

Ne vous attendez pas à apprendre de moi aucune nouvelle; car quoique j'aie vu tout ce qui s'est passé à Notre-Dame avec messieurs les Suisses, je n'ose pas usurper sur le gazetier l'honneur de vous en faire le récit.

J'ai tantôt achevé ce que vous savez, et j'espère que j'aurai fait dimanche ou lundi. J'y ai mis des stances qui me satisfont assez; en voici la première je n'ai point de meilleure chose à vous écrire.

Cruelle ambition, dont la noire malice

Conduit tant de monde au trépas,

Et qui, feignant d'ouvrir le trône sous nos pas,
Ne nous ouvres qu'un précipice,

Que tu causes d'égarements!

Qu'en d'étranges malheurs tu plonges tes amants!
Que leurs chutes sont déplorables!

Mais que tu fais périr d'innocents avec eux,

[ocr errors][merged small]

'La tragédie des Frères ennemis.

* Peu après il n'en fut pas satisfait, avec raison.

C'est un lieu commun qui vient bien à mon sujet; ne le montrez pas. Adieu. Je souhaite que ma stance vous tienne lieu d'une bonne lettre. Montfleury a fait une requête contre Molière, et l'a présentée au roi : il accuse Molière d'avoir épousé sa propre fille; mais Montfleury n'est point écouté à la cour.

AU MÊME.

Paris, 1664.

Je n'ai pas grandes nouvelles à vous mander. Je n'ai fait que retoucher continuellement au cinquième acte; il est achevé : j'en ai changé toutes les stances avec quelque regret. On m'a dit que ma princesse n'étoit pas en situation de s'étendre sur des lieux communs; j'ai donc tout réduit à trois stances, et j'ai ôté celle de l'ambition, qui me servira peut-être ailleurs.

On annonça hier la Thébaïde à l'hôtel; mais on ne la promet qu'après trois autres pièces.

Je viens de parcourir votre belle et grande lettre, où j'ai trouvé des difficultés qui m'ont arrêté. Je suis pourtant fort obligé à l'auteur des remarques, et je l'estime infiniment. Je ne sais s'il ne me sera point permis quelque jour de le connoître. Adieu, Monsieur.

FIN DES LETTRES DE RACINE A SES AMIS.

« PreviousContinue »