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LETTRES

DE

JEAN RACINE

A SON FILS.

Fontainebleau, le 15 novembre 1691.

MON cher fils, vous me faites plaisir de me mander des nouvelles; mais prenez garde de ne les pas prendre dans la gazette de Hollande : car, outre que nous les avons comme vous, vous y pourriez apprendre certains termes qui ne valent rien, comme celui de recruter, dont vous vous servez, au lieu de quoi il faut dire, faire des recrues. Mandez-moi des nouvelles de vos soeurs : il est bon de diversifier un peu, et de ne vous pas jeter toujours sur l'Irlande et sur l'Allemagne.

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Le combat de M. de Luxembourg a été bien plus considérable qu'on ne le croyoit d'abord. Les ennemis ont laissé treize cents morts sur la place, et plus de cinq cents prisonniers, parmi lesquels on compte près de cent officiers. On leur a pris aussi trente-six étendards; et ils avouent encore qu'ils

ont plus de deux mille blessés dans leur armée. Cette victoire est fort glorieuse. La maison du roi a fait des choses incroyables, n'ayant jamais chargé l'ennemi qu'à coup d'épée. On dit que chaque cavalier est revenu avec son épée toute sanglante. On a appris ce matin que M. de Boufflers avoit battu aussi l'arrière - garde d'un corps d'Allemands qui étoit auprès de Dinant. Ecrivez-moi toujours; mais que cela n'empêche pas votre chère mère de m'écrire, car je serois trop fâché de ne point recevoir de ses lettres. Adieu, mon cher enfant; embrassez-la pour moi, et faites mes baise-mains

à vos sœurs.

Au camp devant Namur, le 31 mai 1692.

Vous avez pu voir, mon cher enfant, par les lettres que j'écris à votre mère, combien je suis touché de votre maladie, et la peine extrême que je ressens de n'être pas auprès de vous pour vous consoler. Je vois que vous prenez avec beaucoup de patience le mal que Dieu vous envoie, et que vous êtes exact à faire tout ce qu'on vous dit il est très important pour vous d'être docile. J'espère qu'avec la grace de Dieu il ne vous arrivera aucun accident. C'est une maladie dont peu de personnes

Mon frère avoit alors la petite vérole.

sont exemptes; et il vaut mieux en être attaqué à votre âge, qu'à un âge plus avancé. J'aurai une sensible joie de recevoir de vos lettres ne m'écrivez que quand vous serez entièrement hors de danger, parce que vous ne pourriez écrire sans nuire à votre santé. Quand je ne serai plus inquiet de votre mal, je vous écrirai des nouvelles du siége de Namur. Il y a lieu d'espérer que la place se rendra bientôt ; et je m'en réjouis d'autant plus, que cela pourra me mettre en état de vous revoir bientôt à Paris. Adieu, mon cher enfant; offrez bien au bon Dieu tout le mal que vous souffrez et remettez-vous entièrement à sa sainte volonté. Assurez-vous qu'on ne peut vous aimer plus que je vous aime, et que j'ai une forte grande impatience de vous embrasser.

An camp devant Namur, le 10 juin 1692.

Vous pouvez juger par toutes les inquiétudes que m'a causées votre maladie, combien j'ai de joie de votre guérison. Vous avez beaucoup de graces à rendre à Dieu de ce qu'il a permis qu'il ne vous soit arrivé aucun fâcheux accident, et que la fluxion qui vous étoit tombée sur les yeux n'ait point eu de suite. Je loue extrêmement la reconnoissance que vous témoignez pour tous les soins que votre mère a pris de vous. J'espère que vous ne les ou

blierez jamais, et que vous vous acquitterez de toutes les obligations que vous lui avez, par beaucoup de soumission à tout ce qu'elle desirera de vous. Votre lettre m'a fait beaucoup de plaisir; elle est fort sagement écrite, et c'étoit la meilleure et la plus agréable marque que vous me pussiez donner de votre guérison. Mais ne vous pressez pas encore de retourner à l'étude. Je vous conseille de ne lire que des choses qui vous fassent plaisir, jusqu'à ce que le médecin vous donne permission de recommencer votre travail. Faites bien des amitiés pour moi à M. votre précepteur, et faites en sorte qu'il ne se repente point de toutes les peines qu'il a prises pour vous. J'espère que j'aurai bientôt le plaisir de vous revoir, et que la reddition du château de Namur suivra de près celle de la ville. Adieu, mon cher fils; faites bien mes compliments à vos sœurs. Je ne sais pourtant si on leur permet de vous rendre visite. Attendez donc à leur faire mes compliments, quand vous serez en état de les voir.

Fontainebleau, le 5 octobre 1692.

La relation que vous m'avez envoyée m'a beaucoup diverti, et je vous sais bon gré d'avoir songé à la copier pour m'en faire part. Je l'ai montrée à M. de Montmorenci et à M. de Chevreuse. Je suis

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