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Je n'avois pas besoin de l'exemple de madame la comtesse d'Auvergne pour me modérer sur le thé : j'en use sobrement; ainsi ne m'en apportez pas.

pour

Si M. l'ambassadeur fait quelque cas de ces mémoires dont vous parlez sur la paix de Riswik, vous pouvez les acheter. Si j'étois assez heureux le voir et l'entretenir souvent, je n'aurois pas grand besoin d'autres mémoires pour l'histoire du roi; il la sait mieux que tous les ambassadeurs et tous les ministres ensemble, et je fais un grand fond sur les instructions qu'il a promis de me donner. Je ne crois point aller à Versailles avant le voyage de Marly: j'ai besoin de me ménager encore quelque temps, afin d'être en état d'y faire un plus long séjour. Adieu, mon cher fils. Toute la famille est dans la joie depuis qu'elle sait qu'elle vous reverra bientôt. Tâchez, au nom de Dieu, d'obtenir de M. l'ambassadeur qu'il vienne descendre au logis.

FIN DES LETTRES DE RACINE A SON FILS.

LETTRES

DE

JEAN RACINE

A DIFFÉRENTES PERSONNES.

A SA FEMME '.

A Cateau-Cambresis, le jour de l'Ascension, 1693.

J'AVOIS commencé à vous écrire hier au soir à Saint-Quentin; mais je fus averti que la poste étoit partie dès midi, ainsi je n'achevai point. Je viens de recevoir vos lettres, qui m'ont fait un fort grand plaisir. Je me porte bien, Dieu merci. Les garçons de M. Roche m'ont piqué mon petit cheval en deux endroits en le ferrant, dont je suis fort en colère contre eux, et avec raison. Heureusement M. de Cavoie mène avec lui un maréchal qui en a pris soin, et on m'assure que ce ne sera rien. Nous allons demain au Quesnoi, où on laissera les dames

1 C'est la seule lettre conservée de toutes celles qu'il lui a écrites. Comme il n'avoit rien de caché pour elle, il ne vouloit pas apparemment qu'elle gardât ses lettres.

au camp près de Mons. L'herbe est bien courte, et je crois que les chevaux ne trouveront pas beaucoup de fourrage. Le blé est fort renchéri. Votre fermier sera riche, et devroit bien vous donner de l'argent, puisque vous ne l'avez point pressé de vendre son blé lorsqu'il étoit à bon marché. Le roi eut hier des nouvelles de sa flotte : elle est sortie de Brest du 9 mai; on la croit maintenant à la Hogue en Normandie, et le roi d'Angleterre embarqué. On mande de Hollande, que le prince d'Orange voit bien que c'est tout de bon qu'on va faire une descente, et qu'il paroît étonné. Il a envoyé en Angleterre le comte de Portland son favori, a contremandé trois régiments prêts à s'embarquer pour la Hollande, et on dit qu'il pourroit bien repasser lui-même en Angleterre. M. de Bavière est fort inquiet de la maladie du prince Clément son frère, qui est, dit-on, à l'extrémité. Il le sera bien davantage dans quatre jours, lorsqu'il verra entrer dans les Pays-Bas plus de cent trente mille hommes. Le roi est dans la meilleure santé du monde. Il a eu nouvelle aujourd'hui que M. le comte d'Estrées avoit brûlé ou coulé à fond quatorze vaisseaux marchands anglais sur les côtes d'Espagne, et deux vaisseaux de guerre qui les escortoient. Cela le console, avec raison, de la perte de deux vaisseaux de l'escadre du même comte d'Estrées, qui ont péri par la tempête. Voilà d'heureux commencements: il faut espérer que Dieu

continuera de se déclarer pour nous. Faites part de ces nouvelles à M. Despréaux, à qui je n'ai pas le temps d'écrire aujourd'hui. J'ai rencontré aujourd'hui M. Dodart pour la première fois : il se porte à merveilles. M. du Tartre se trémousse à son ordinaire, et a une grande épée à son côté, avec un noeud magnifique. Il a tout-à-fait l'air d'un capitaine. Adieu, mon cher coeur embrasse tes enfants pour moi. Exhorte ton fils à bien étudier, et à servir Dieu. Je suis parti fort content de lui; j'espère que je le serai encore plus à mon retour. Ecris-moi souvent, ou lui. Adieu encore un coup.

A M. DE BONREPAUX.

Paris, le 28 juillet 1693.

MON absence hors de cette ville est cause que je ne vous ai point écrit depuis dix jours. Il s'est pour. tant passé beaucoup de choses très-dignes de vous être mandées. M. de Luxembourg, après avoir battu un corps de cinq mille chevaux commandé par le comte de Tilly, a mis le siége devant Huy, dont il a pris la ville et le château en trois jours, et de là a marché au prince d'Orange, avec lequel il est peut-être aux mains à l'heure qu'il est. Monseigneur a passé le Rhin, et, s'étant mis à la tête d'une armée de plus de soixante-six mille hommes, a mar

ché droit au prince de Bade, en intention de le chercher partout pour le combattre, et de l'attaquer même dans ses retranchements, s'il prend le parti de se retrancher. Mais ce qui a le plus réjoui tout le public, c'est la déroute de la flotte de Hollande et d'Angleterre, qui est tombée au cap de SaintVincent entre les mains de M. de Tourville. J'entretins hier son courrier, qui est le chevalier de Saint-Pierre, frère du comte de Saint-Pierre, lequel fut cassé il y a deux ans. Je vous dirai, en passant, qu'on trouve que M. de Tourville a fait fort honnêtement d'envoyer dans cette occasion le chevalier de Saint-Pierre; et on espère que la bonne nouvelle dont il est chargé fera peut-être rétablir son frère. Quoi qu'il en soit, la flotte qu'on appelle de Smyrne, a donné tout droit dans l'embuscade. Le vice-amiral Rouck, qui l'escortoit, d'aussi loin qu'il a découvert notre armée navale, a pris la fuite, et il a été impossible de le joindre. Il avoit pourtant vingt-six ou vingt-sept vaisseaux de guerre. Les pauvres marchands, se voyant abandonnés, ont fait ce qu'ils ont pu pour se sauver. Les uns se sont échoués à la côte de Lagos, les autres sous les murailles de Cadis, et il y en a eu quelque trente-six qui ont trouvé moyen d'entrer dans le port. On leur a brûlé ou coulé à fond quarante-cinq navires marchands et deux de guerre; et on leur a pris deux bons vaisseaux de guerre hollandais tout neufs, de soixante-six pièces de canon, et vingt-cinq navires

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