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s'est servi pour me tirer des égarements et des misères où j'ai été engagé pendant quinze années de ma vie. Elle a eu recours à moi.... Pouvois-je, sans être le dernier des hommes, lui refuser mes petits secours dans cette nécessité? Mais à qui estce, Madame, que je m'adressai pour la secourir? J'allai trouver le P. de la Chaize, et lui représentai tout ce que je connoissois de l'état de cette maison. Je n'ose pas croire que je l'aie persuadé; mais il parut très content de ma franchise, et m'assura, en m'embrassant, qu'il seroit toute sa vie mon serviteur et mon ami.

Je vous puis protester devant Dieu, que je ne connois ni ne fréquente aucun homme qui soit suspect de la moindre nouveauté. Je passe ma vie le plus retiré que je puis dans ma famille, et ne suis pour ainsi dire dans le monde que lorsque je suis à Marly. Je vous assure, Madame, que l'état où je me trouve est très-digne de la compassion que je vous ai toujours vue pour les malheureux. Je suis privé de l'honneur de vous voir; je n'ose presque plus compter sur votre protection, qui est pourtant la seule que j'aie tâché de mériter. Je chercherois du moins ma consolation dans mon travail; mais jugez quelle amertume doit jeter sur ce travail, la pensée que ce même grand prince dont je suis continuellement occupé, me regarde peut-être comme un homme plus digne de sa colère que de ses bontés. Je suis, etc.

A LA MÈRE

SAINTE-THÈCLE RACINE.

Paris, le 11 novembre.

J'AI beaucoup d'impatience, ma chère tante, d'avoir l'honneur de vous voir, pour vous dire tout le bien que j'ai vu dans ma chère enfant, que je viens de faire religieuse. Je vous dirai cependant en peu de mots que je lui ai trouvé l'esprit et le jugement extrêmement formés, une piété très sincère, et surtout une douceur et une tranquillité d'esprit merveilleuses. C'est une grande consolation pour moi, ma chère tante, qu'au moins quelqu'un de mes enfants vous ressemble par quelque petit endroit. Je ne puis m'empêcher de vous dire un trait qui vous marquera tout ensemble, et son courage, et son naturel.

Elle avoit fort évité de nous regarder, sa mère et moi, pendant la cérémonie, de peur d'être attendrie du trouble où nous étions. Comme ce vint le moment où il falloit qu'elle embrassât, selon la coutume, toutes les sœurs, après qu'elle eut embrassé la supérieure, on lui fit embrasser sa mère et sa sœur aînée qui étoient auprès d'elle, fondant en larmes. Elle sentit tout son sang se troubler à cette

vue; elle ne laissa pas d'achever la cérémonie avec le même air modeste et tranquille qu'elle avoit eu depuis le commencement: mais dès que tout fut fini, elle se retira dans une petite chambre où elle laissa aller le cours de ses larmes, dont elle versa un torrent, au souvenir de celles de sa mère. Comme elle étoit dans cet état, on lui vint dire que M. l'archevêque de Sens l'attendoit au parloir avec mes amis et moi. Allons, allons, dit-elle; il n'est pas temps de pleurer. Elle s'excita même à la gaîté, et se mit à rire de sa propre foiblesse, et arriva en effet en souriant au parloir, comme si rien ne lui fût arrivé. Je vous avoue, ma chère tante, que j'ai été touché de cette fermeté, qui me paroît assez audessus de son âge.

Le sermon de M. l'abbé Boileau fut très beau, et très plein de grandes vérités. Tout cela a fait un terrible effet sur l'esprit de ma fille aînée; et elle paroît dans une fort grande agitation, jusqu'à dire qu'elle ne sera jamais du monde; mais je n'ose guère compter sur ces sortes de mouvements, qui peuvent

passer.

J'oubliois de vous dire que celle qui vient de se faire religieuse aime extrêmement la lecture, et surtout des bons livres, et qu'elle a une mémoire surprenante. Excusez un peu ma tendresse pour une enfant dont je n'ai jamais eu le moindre sujet de plainte, et qui s'est donnée à Dieu de si bon cœur, quoiqu'elle fût assurément la plus jolie de

tous mes enfants, et celle que le monde auroit le plus attirée par ses dangereuses caresses.

Ma femme et nos petits enfants vous assurent tous de leur respect. Il m'est resté de nia maladie une dureté au côté droit, dont j'avois témoigné un peu d'inquiétude; mais M. Morin m'a assuré que ce ne seroit rien, et qu'il la feroit passer peu à peu par de petits remèdes : du reste, je suis assez bien, Dieu merci.

Je n'ai point été surpris de la mort de M. du Fossé; mais j'en ai été très touché. C'étoit pour ainsi dire le plus ancien ami que j'eusse au monde. Plût à Dieu que j'eusse mieux profité des grands exemples de piété qu'il m'a donnés ! Je vous demande pardon d'une si longue lettre, et vous prie toujours de m'assister de vos prières.

FIN.

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