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moins louable accepte; Chapelle pour stimuler d'autant Lavoisier lui dit qu'il verra celui qui doit porter le coup à Bonaparte. On se sépare à six heures, Lavoisier va joindre Leroi, lui rend compte de ce qui s'est passé, et du propos que lui a tenu Chapelle; tous deux se rendent au cabaret indiqué, ils y arrivent les premiers, Content en une chambre, demandent une choppine de vin et trois verres; conformément au mot d'ordre, ils en renversent un.

Peu après arrive un particulier reconnu depuis pour être le nommé Perrault; il sort et rentre, prend le verre renversé; Lavoisier lui offre de boire un coup, il accepte; peu après arrive Chapelle, il fait venir une bouteille de vin et trois verres; en prend un qu'il renverse en disant à Lavoisier: vois-tu? voilà comme l'on fait. Il veut payer le vin bu jusques-là, tant par Lavoisier, Leroi que par Perrault, et lui Lavoisier veut s'y opposer, mais Chapelle répond: cet argent n'est pas à moi, il est destiné à payer la dépense de la société; il laisse l'argent sur la table.

D'après cette explication qu'il est bon de remarquer, Chapelle . annonce qu'il a besoin de s'absenter l'espace de trois quarts d'heures; il part, et au bout de ce tems revient, et avec lui le nommé Humbert; on se réunit à la table, en ayant soin cepenpendant de paraître faire deux écots différens.

Chapelle demande à Humbert s'il a vu Dufour: oui, répond Humbert, il ne connaît l'affaire que d'aujourd'hui. Il m'a dit: il faut pour cette expédition un homme ferme et non peureux, je t'ai choisi et l'ai dit aux autres. Après ce colloque particulier, Chapelle s'adressant à toute la société, leur demande si le nommé Saulnier est venu, on lui répond que non; c'est en ce moment ou peu après que tous furent arrêtés et menés à la préfecture.

Au premier coup d'œil, les déclarations de Leroi et Lavoisier paraissent devoir n'être considérées comme n'en faisant qu'une, puisque l'un aurait parlé d'après ce qu'il aurait appris de l'autre; mais en considérant la méthode qui regne dans celle de Leroi; la simpli cité et même le désordre qui se rencontrent dans celle de Lavoi sier, en observant que les faits étant les mêmes, sont présentés avec des détails différens, on ne pourra que penser chacune d'elles mérite particulierement une entiere croyance; surtout à l'égard de ce qui s'est passé dans la soirée du 28.

Chapelle interrogé sur tous ces objets se retranche quant aux uus dans une négative absolue; quant aux autres, tels que sa reunion avec Lavoisier, Leroi, Perrault et Humbert il l'attribue au hasard, et à un concours fortuit de circonstances. Suivant lui, il aurait rencontré Perrault, Humbert et Saunier rue Montmartre et sur le boulevard en allant acheter du tabac; leur aurait donné rendez-vous dans le cabaret au coin de la rue de la Loi et de Louvois et il y aurait trouvé Lavoisier et Leroi qu'il ne savait pas devoir y être.

Enfin il n'aurait nullement parlé de Dufour et n'aurait pas ren versé un verre sur la table; mais Perrault dans son interrogatoire, déclare qu'il a rencontré Chapelle, près le palais Egalité, et non

aux environs de la rue Montmartre; qu'il lui a indiqué le cabaret aux coins des rues de Louvois et de la Loi; il convient que Chapelle a voulu payer la dépense, qu'il a renversé un verre sur la table en disant à Lavoisier: vois-tu? voilà comme l'on fait ; que Humbert a dit à Chapelle qui le lui demandait: j'ai vu Dufour, il m'a dit: je t'ai choisi comme un homme non peureux et propre à un coup de main. J'ai repondu en riant qu'oui.

Humbert dans son interrogatoire dit qu'il a rencontré Chapelle au moment où il entrait au palais Egalité, par la rue Honoré et non sur le boulevard ainsi que ce dernier le prétend; qu'il lui a proposé d'aller boire au cabaret de la rue de Louvois, qu'il s'y est rendu; quant au surplus il se renferme dans une dénégation totale, qu'ils n'ont aucunement parlé de Dufour.

Saunier interrogé sur ce qui le concerne, répond avec une franchise qui prouve sa parfaite innocence.

Il déclare que Chapelle s'est présenté chez lui, le 28 dans la matinée, qu'il était absent, qu'il y est revenu vers les quatre heures et l'a trouvé; qu'il l'a emmené en un cabaret, rue des Martyrs; que la, Chapelle lui a proposé de se rendre le soir en un autre cabaret au coin des rues de Louvois et de la Loi et de l'y attendre, qu'ils ne se sont point rencontrés sur le boulevard; que Chapelle lui ajouta qu'il y trouverait des connaissances, sans cependant les lui nommer; qu'ayant annoncé à Chapelle qu'il n'avait pas d'argent, celui-ci lui en a donné.

Il dit encore que l'air mystérieux de Chapelle, son air empressé, son affectation de ne pas vouloir nommer les connaissances qui devaient se trouver au cabaret indiqué, trahirent sa suspicion, qu'il s'y rendit avec précaution, et en sortit peu après sans avoir vu ou rencontré personne; que, déposé dans une chambre où était détenu Chapelle, celui-ci l'a engagé a dire qu'il l'avait rencontré sur le boulevard, et surtout à ne point déclarer qu'il était allé deux fois dans le jour chez lui Saulnier.

La demarche de Chapelle chez Saulnier explique pourquoi Lavoisier ne trouva pas le premier chez lui, le 28, vers six heures du malin.

Saulnier est sans emploi et dans la misere, et il paraît que Chapelle avait fondé sur sa position malheureuse l'espoir de l'affilier à son infâme projet.

les

Dufour, interrogé sur les mêmes faits, convient connaître Chapelle, avec lequel il dit être brouillé pour affaires d'intérêt; mais il nie connaître Humbert. (Le fait contraire est prouvé par déclarations de Lavoisier et Leroi, et l'interrogatoire de Perrault), et Humbert lui-même interrogé s'il connaît Dufour, en convient, et en niant l'avoir vu dans la journée du 28, il l'avoue l'avoir rencontré le 26 en un cabaret, rue des Boucheries Honoré et il faut se rappeler que Chapelle a désigné à Lavoisior, Dufour comme un des agens du complot.

Guibert a été également et sous les mêmes rapports designé

par Chapelle; cependant il ne paraît pas qu'il se soit trouvé dans aucun des cabarets fréquentés par ces réunions de conjurés.

Il faut cependant observer que Guibert étant instruit de l'arrestation de Lavoisier dans la soirée du 28, alla dans la matinée du 29 chez Jugié, et s'informer si Lavoisier était libre et qu'il ajouta: sa femme est venu chez moi ce matin et y a fait beaucoup de train.

Jallabert, coëffeur, n'est indiqué ni par Lavoisier, ni par Leroi ni par aucun détenu; mais il est allé boire, le 26, dans un des cabarets fréquentés par ces conjurés, et il ne peut nommer ceux avec lesquels il a bu, sauf Signoret, il rend un compte plus satisfaisant de sa conduite.

Mouton convient être allé le même jour dans ce cabaret; mais il dit y avoir été nécessité pour trouver le nommé Astruc, dit Laviolette, qui lui devait de l'argent; ce dernier a été entendu, et sa déclaration vient à la décharge de Mouton.

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Du 2me Jour complémentaire.

Les enragés suivent avec succès leurs sinistres projets.

Il existe véritablement un complot; mais on n'a pu encore saisir toutes les ramifications. Les chefs sont inconnus; quelques subalternes sont arrêtés, et il résulte de leurs déclarations et des rapprochemens faits entr'eux, qu'ils cedent à l'impulsion secrette et cachée d'hommes qu'ils ne connaissent pas et qu'on ne leur indique que très-vaguement.

Que ce sont des enragés agissant d'après leur propre fureur, réunissant l'audace à l'expérience des mouvemens révolutionnaires et capables de braver tous les périls, tous les dangers.

Ils reçoivent de l'argent, mais il sort encore de la main invisible qui les pousse, et n'arrive dans les leurs, qu'après bien des détours. Ils n'ont qu'un but, le renversement du gouvernement. Ils n'envisagent qu'en second les conséquences qui peuvent en résulter; détruire d'abord, voilà leur unique pensée, sauf à songer après comment on remplacera.

On saisit à fur et mesure ceux qui sont signalés par les réponses des hommes arrêtés; ils sont déjà au nombre de 19; on remonte avec prudence aux premiers échellons, et l'on prend toutes les précautions nécessaires pour arriver à la vérité.

Les royalistes s'approchent de ces hommes, mais avec discré tion et avec prudence; ils leur ont fait quelques avances, quelques ouvertures, et le préfet de police a su particulierement qu'un certain Rivarol, demeurant rue Joseph, vis-à-vis les bains, a lui-même offert de l'argent à un individu qu'il a cru gagé; qu'il lui a fait accepter 18 francs; qu'il l'a engagé à sortir toujours armé de pistolets et de poignards, l'assurant que le parti du roi ne tarderait point à l'emporter, et qu'une place honorable et lucrative serait la récompense du zèle qu'il mettrait à défendre et soutenir une si belle cause.

Ce Rivarol est bien connu depuis le commencement dé fa révolution, pour avoir été constamment en opposition avec le gouvernement; il est fin, délié, et par dessus tout très-intriguant.

On le suit avec adresse; cet homme a une cotterie au Palais Egalité; il s'y rend presque tous les jours; on saura ce qui s'y dit et ce qui s'y fait.

On a cru prudent de ne point encore le faire arrêter, parcequ'il se méfie de la police et qu'il n'a aucuns papiers chez lui; c'est en l'observant de près et en gardant le plus grand secret, qu'on parviendra à découvrir ceux qui le fréquentent et ceux qu'it va voir.

La tranquillité de Paris est toujours inaltérable.

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Des indices que les rapports journaliers des agens de surveillance rendaient, de plus en plus, dignes de foi, faisaient présumer au préfet de police que le pamphlet, ayant pour titre : le Turc et le militaire Français, était sorti de la plume d'un nommé Metge, l'un des chefs les plus connus parmi les exclusifs.

Cet individu, toujours actif, toujours entreprenant aux grandes époques, se cachait avec le plus grand soin et était venu à bout d'échapper à toutes les recherches, en sortant de Paris pendant le jour, n'y rentrant que la nuit close, et ne logeant pas deux fois de suite dans la même maison.

Entin, à force de recherches, on a découvert le lieu où il se retirait pour travailler à ces pamphlets. C'était dans une petite chaumiere à Montmartre. On a su que chaque soir emportant soigneusement tous ses manuscrits, rodant dans les faubourgs, il rentrait fort tard dans la ville, et allait coucher, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre.

Il fut suivi, le 11 de ce mois, et à la sortie du passage Feydau, l'officier de paix et les inspecteurs chargés de cette opération l'arrêtent. Metge se défendit avec beaucoup de violence, et porta plusieurs coups de stylet à l'officier de police, mais qui heureusement ne lui firent que de légeres blessures au poignet et à la main. Il fut conduit de suite au corps de garde le plus voisin et à la préfecture de police.

Aussitôt son arrivée, on le fouilla avec soin, et on lui trouva différens manuscrits, qui furent cottés et paraphés en sa présence.

Le lendemain 12, dès la pointe du jour, il fut conduit dans la rue Nicaise, où l'on avait découvert qu'il avait couché depuis deux jours chez une femme publique; on y trouva et l'on saisit un grand porte-feuille plein de manuscrits, de notes, d'adresses, parmi lesquels le manuscrit original du dialogue du Turc et du Militaire.

On le mena encore dans une autre maison qu'il avait habité rue de Thionville, mais on n'y trouva rien.

Metge ne veut point répondre aux interrogatoires qu'on lui fait, ni signer le proces-verbal de reconnaissance des scellés apposés sur ses papiers.

On s'occupe maintenant de leur examen; mais ils sont en si grande quantité que cette opération ne pourra être terminée que demain.

Metge est originaire de Carcassonne; il a été arrêté déjà plusieurs fois comme auteur de diatribes virulentes contre le gouvernement et la représentation nationale.

On ne lui connaît aucun moyen d'existence, et cependant il fait chaque jour une dépense assez considérable.

Cet homme est payé; reste à connaître la main qui le soudoie lui et ses pareils. Les recherches les plus actives continuent à cet égard, et l'on ne désespere pas d'arriver à la source.

Jusqu'à présent les soupçons ont été particulierement sur Félix Lepelletier, Antonelle et quelques anciens députés long-tems en observation.

Des ouvrages continuent leurs propos et leurs menées; ils ne sont certainement pas étrangers aux complots royalistes répandus dans l'enceinte de cette ville; certains discours que l'on a recueillis confirment cette opinion. Ils disaient entr'eux, ces jours-ci, qu'il fallait répandre que c'était le gouvernement et la police qui faisaient imprimer ces libelles, pour avoir occasion de servir contre les républicains prononcés.

Ces mêmes hommes se sont réjouis de la prise de Malte; ils font des vœux pour que cet événement ranime les espérances des puissances coalisées, et puisse retarder la paix qu'ils redoutent. Leurs menées sont étrangeres à la masse du peuple, qui les a en horreur, et qui jouit avec reconnaissance, de la tranquillité et du travail qu'un bon gouvernement lui assure.

Du 18 Vendémiaire, 5 Heures du Soir.

De nouveaux projets doivent éclater. Le citoyen Harel, capitaine, donne les moyens et de prévenir un attentat et d'arrêter quelques-uns des coupables.

Il est allé chez Demerville. Celui-ci après avoir sondé ses opinions politiques, avait cru pouvoir l'initier dans une vaste conspiration.

Bonaparte doit-être poignardé et le gouvernement changé. Demerville nomme plusieurs des conjurés. Des généraux, des hommes en place sont désignés par lui.

Harel s'est empressé de faire part au citoyen Lefevre des connaissances qu'il venait d'acquérir.

Harel a rendu une nouvelle visite à Demerville.

Demerville l'a invité à se procurer quatre hommes sur lesquels on puisse compter; une somme de 150 francs est alors donnée. Soixante mille fraucs sont promis pour récompenser leur action.

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