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No. II.

Rapport de la Mission dont j'ai été chargé par le Conseil d'Etat et Préfet du Département du Bas-Rhin, près M. Francis Drake, Ministre de l'Angleterre à Munich.

Le 4 Germinal j'arrivai à Munich à six heures du soir et fus descendu chez M. Drake, ministre d'Angleterre, il me logea chez lui, dans une chambre au rez-de-chaussée au-dessous de son appartement, comme nous en étions convenus lors de notre premiere entrevue; tout Jacobin que j'étais censé être, il me reçut avec des démonstrations affectueuses; je lui remis la lettre de mon prétendu général en l'engageant à y répondre de suite, ce qu'il fit le lendemain. Cette réponse présentaut, pour ainsi dire, tous les principaux détails de notre entretien; je me bornerai à donner le résultat succint de notre communication.

M. Drake me demanda ce qu'il y avait de nouveau en France, comment allait les affaires : Je lui répondis, que jamais événemens n'avaient été plus favorables pour nous; que les arrestations, qu'on avait exercées sur différens royalistes, avaient jeté une voile impénétrable sur nos projets secrets, et que nous nous étions rejouis de voir qu'aucun jacobin n'avait été arrêté, &c.

Je crois comme vous, me répondit M. Drake, que vous êtes à l'abri de tout souçon, et je ne doute pas que vous dirigiez vos coups avec plus de sûreté; mais ressouvenez-vous de recommander à votre général, qu'il est essentiel de réuuir tous les partis dans les premieres opérations qu'il entreprendra; il est nécessaire qu'il ait à opposer au consul une masse imposante; il pourra se servir avec avantage du parti royaliste.

J'observai à M. Drake, que mon général était parfaitement de son avis, mais que le comité ne pourrait se résoudre à unir à une si belle cause un parti si contraire à ses principes, &c. &c.

Servez vous en toujours, me disait-il en se promenant dans son jardin et lorsque vous aurez terrassé B......, il vous sera trèsfacile de vous purger de ce qui ne sera pas de votre parti, comme vous l'avez déjà fait plusieurs fois dans la révolution.

Il fallut me ressouvenir de la tâche qui m'était imposée et de l'utilité dont ma mission pouvait être à ma patrie, pour contraindre le sentiment d'indignation auquel je fallis me livrer, je me sentais pressé du besoin de me faire connaître sous mon véritable nom à ce misérable, et de lui demander à l'instant raison, l'épée à la main, de tout le mal qu'il osait dire et penser. Toutefois je me contins. La conversation languissait; Drake la reprit bientôt: Souvenez-vous, me dit-il, d'appuyer sur l'idée que je donne dans ma lettre à votre général. Il faut promettre une augmentation de solde aux régimens sur lesquels vous pouvez compter. Je fournirai pendant plusieurs mois à cette dépense, et vous pourrez ensuite, moyennant les biens que vous confisquerez sur ceux qui ne sont pas de votre parti, y subvenir vous-même.

J'aurai désiré que votre général attendit encore quelque tems avant de commencer ses premieres opérations; mais puisqu'il croit que le moment est favorable, il est urgent qu'il s'empare de la place d'Huningue; elle n'est pas éloignée du centre de vos opérations. Je compte m'installer à Fribourg, pour être à portée de vous donner des secours prompts et sùrs: quant à la citadelle de Strasbourg, il n'y faut plus penser c'est trop loin.

Je crois que votre général n'aura pas manqué de se faire un parti puissant dans l'armée, pour faire opérer une diversion; car sans cela B.... pourrait vous combattre avec avantage. Il faut bien calculer d'avance tous les moyens qu'il a à vous opposer, afin de rendre tous ses efforts inutiles.

Mais profitez, lorsqu'il en sera tems, du trouble où sera plongé le reste de ses partisans. Ecrasez-les sans pitié: la pitié n'est pas de saison en politique!

M. Drake insista beaucoup sur ce que mon général lui envoya de suite M. Muller. Il m'est indispensablement nécessaire. J'en ai besoin pour qu'il me mette au courant et qu'il me fasse connaître ceux qui sont de votre parti; car sans cela je ne me trouverai pas à même de me justifier auprès de mon gouvernement, qui voudra connaître le nom des principaux personnages, lorsqu'il sera question de sommes aussi considérables que celles qu'il faudra vous donner. J'insiste donc pour que votre général m'envoie M. Muller.

M. Drake me remit une somme de 74,976 livres en or: c'est tout ce que je peux faire pour vous dans ce moment, me dit-il; mais je vous adresse à M. Spencer Smith à Stutgardt, qui vous remettra une plus forte somme. Je vous donne une lettre pour lui, et un passeport comme courrier d'Angleterre chargé de nos dépêches pour Cassel; comme cela vous ne serez pas obligé de vous présenter chez l'envoyé Français, qui épie jusqu'à nos plus petites démarches: vous ne direz rien du tout à M. Smith de ce qui se passe entre nous; vous pourrez cependant satisfaire sa curiosité sur les nouvelles de France."

Je pris donc congé de M. Drake le Lundi 5 courant; je montai dans une voiture de poste qui me fut amenée à la porte de son hôtel, à dix heures et demie du soir, et m'acheminai vers Stutgardt. J'arrivai dans cette ville le Mercredi, 7, à une heure et demie de l'après midi, avec le caractere de courrier d'Angleterre, Je fus loger à l'auberge du Cor de Chasse d'Or; je me fis conduire par un garçon de la maison chez M. Spencer Smith, où je me fis annoncer sous le nom de Lefebvre. Il me reçut d'abord avec méfiance et l'accueil le plus froid; je lui remis la lettre de M. Drake. Il ne m'eut pas sitôt connu, qu'il me combla d'honnêtetés; il me pria de l'excuser de ce qu'il m'avait si mal reçu, c'est que, me dit-il, je ne suis pas du tout en sûreté ici, je vous assure. Depuis quelques jours, je ne reçois personne que le pistolet à la main; je ne suis pas sur un lit de roses, tant s'en faut; je me regarde comme un avant-poste, et je vous atteste que si B.... demandait

à l'électeur de Wurtemberg mon arrestation (inalgré que son épouse soit une princesse d'Angleterre,) il me livrerait sans me faire prévenir; car déjà il se doute de ce qui m'occupe ici, et il craint que cela ne le compromette avec le consul

Il s'informa avec beaucoup d'intérêt des affaires de France et il me dit que l'arrestation du duc d'Enghien l'avait fortement déconcerté: qu'il prenait une grande part au malheur de Pichegru, que l'Angleterre avait avec raison fondé de grandes espérances sur la mission d'un homme aussi populaire qu'habile. Je le connaissais beaucoup, me répéta-t-il avec une très-forte émotion ; j'étais au fait, parce que c'est le lieutenant de mon frere qui l'a débarqué sur la côte de France. J'avais même espéré qu'il parviendrait à s'échapper; il n'y faut plus compter, puisqu'il paraît certain qu'il est arrêté.

Il me pria instamment d'écrire une lettre, à mon passage à Strasbourg à Mad. Franck banquier, pour l'inviter à lui faire parvenir de suite toutes les lettres, qu'elle aurait reçues à l'adresse du baron de Herbert, officier Allemand, elle pourra me les faire passer sous le couvert factice de M. le fils de Georges Henri Keller, banquier de Stutgardt; j'attache le plus grand prix à les recevoir, il doit y en avoir de Pichegru. Il me pria aussi de m'informer de Mad. Henriette de Fromelin, dont il avait connu le mari à Constantinople. Cet émigré devait être en ce moment aux environs de Brest.

Il eut l'extrême bonté de m'apprendre que son nom de guerre était Leblond, et il parut tirer vanité de la réputation d'intrigue qu'il assurait avoir donné à ce nom-là.

Ce M. Smith a pour secrétaire M. Péricaud, secrétaire de l'ancien évêque de Sééz; cet émigré m'entretint long-tems de ses jérémiades; il me fatigua par toutes les horreurs qu'il débita sur le chef de la nation Française; il me parut fortement inquiet et agité. M. Spencer Smith, me dit-il, est ministre, et moi, comme émigré, je n'ai rien à alleguer. La police de France pourrait me faire arrêter comme les émigrés qu'on a enlevé de Ettenheim, ou comme l'évêque de Châlons dont on à obtenu l'arrestation à Munich.

M. Drake, M. Smith et M. Péricaud ne m'ont pas laissé ignorer qu'ils s'ennuyeraient beaucoup à Munich et à Stutgardt sans l'occupation que leur donnent les affaires de France. Ils se vantent de pouvoir tirer des sommes considérables sur le gouvernement Anglais. Donnez confiance à vos amis, me dit M. Spencer Smith, voilà des lettres de change pour 113,150 livres. Je leur ferai passer ce dont ils auront besoin; mais, par Dieu, qu'ils frappent ferme. En prononçant ces dernieres paroles, il me présenta une paire de pistolets de la manufacture d'armes de Versailles. Puis il me dit: vous pourrez-vous en servir avec avantage; avec de petits amis semblables, on ne manque jamais. Je fus un instant à hésiter avant de les recevoir; mais enfin je sentis la nécessité de ne point quitter mon rôle et d'achever ma mission. Je

me considérai comme un officier de génie ou d'artillerie, qui va, déguisé, faire une reconnaissance dans une place ennemie. Tous les masques lui sont bons; il étouffe sa sensibilité, et il ne voit que l'ordre de son général et le but de sa mission.

Il devait aussi me remettre une somme en or: tout était arrangé pour cela: mais au moment où il allait me la donner, il reçut le journal de Manheim, et dans ce journal on lisait un extrait du Moniteur et de la correspondance de M. Drake. M. Smith hésita, et je me gardai bien d'insister. J'étais encore chez M. Smith, lorsqu'un nommé Leinhard, emigré à la solde d'Angleterre, vint demander, au nom de ses camarades éplorés, se cours et protection. On ne veut plus nous souffrir dans l'électorat de Bade; on nous chasse de par tout, et nous ne savons bientôt plus où nous réfugier.

Le ministre Anglais crut pendant quelques instans que c'était un agent Français envoyé par la police avec des papiers trouvés sur des personnes arrêtées, qui venait pour le confesser et tirer de lui quelques éclaircissemens.

Je ne pus m'empêcher de lui dire en riant, qu'il devait se tenir en garde contre de pareils émissaires, et qu'il était vraisemblable que la police de Strasbourg lui en enverrait dont-il ne se défierait pas. Oh! oh! dit-il, je n'en suis à mes preuves et je les attends de pied ferme.

Ce sont absolument les expressions dont se sont servis les ministres d'Angleterre dans ma conversation avec eux.

Je pris congé de M. Spencer Smith le 9 du courant; il m'envoya chercher des chevaux de poste; qui me furent amenés par un de ses domestiques, et attelés à ma chaise à quatre heures après midi. Je fus rendu à Strasbourg le lendemain 10, et coutinuai ma route pour Paris, où j'arrivai le 14.

J'essaierais vainement de peindre les sentimens de haine et la fureur dont ces monstres sont animés contre notre patrie. Ils ne respirent que pour nous voir armés les uns contre les autres. Il n'est pas de métier vil ou atroce dont ils ne soient capables: mais en même-tems il serait difficile de trouver des gens plus lâches, L'ombre d'un brave homme les ferait rentrer sous terre. Ils passent leur vie à tramer des complots; et par un effet naturel et une juste punition du crime, ils se croient sans cesse environnés d'embuches et de dangers. Soit que dans ses cours amies de la France, et qui ont des obligations si essentielles au premier Consul, on ne les voie pas d'un œil favorable; soit qu'ils aient été dévinés par les habitans des villes où ils résident; et qu'ils s'aper çoivent que l'opinion leur est contraire; soit enfin qu'une voix intérieure leur dise sans cesse que l'homme qui ne respecte rien n'à droit à aucun respect, ils ont l'air courbé sous le poids du mépris public, et déjà flétris de l'opprobre ineffaçable qui doit s'attacher

à leurs noms.

(Signé) ROSEY, Adjudant Major au 9me Régiment de Ligne.

No. III.

Copie du Passeport donné par Francis Drake à Lefebvre.

Nous Francis Drake, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de sa majesté Britannique auprès de son altesse sérénissime l'électeur palatin de Baviere, et son ministre plénipotentiaire auprès de la diete de Ratisbonne.

Prions tous les gouverneurs, commandans de villes et officiers tant civils que militaires, non seulement de laisser passer librement M. Lefebvre, allant d'ici à Cassel, chargé de nos dépêches, sans lui donner ni permettre qu'il lui soit donné empêchement quelconque, mais de lui prêter toute l'aide dontil pourra avoir besoin dans sa route.

Donné le présent à Munich, ce 26 Mars, 1804, que nous avons signé, et y avons fait apposer l'empreinte de nos armes. FRANCIS DRAKE.

Valable pour huit jours.

Au dos est écrit.

Le courier ci-dedans mentionné, reçu à Stuttgardt, ce Mercredi 28 Mars 1804, à midi; réexpédié le.................

Gratis.

No. 93, Extérieur.

(Signé)

.....

SPENCER SMITH.

H. B. M's Envoy Extraordinary.

No. IV.

Désignations des Quatre Lettres de Change donnés au Citoyen Rosey par M. Spencer Smith.

10. Une lettre de change de 30,000 florins, signées Georges Henri Keller fils No. 4334, tirée sur Metzler et Co. à Francfort, payable à huit jours de vue.

20. Autre de 6,600 écus de Brabant à 2 florins 42 kreutzers, signée Jacob Kaulla, No. 2944, sur Zurich, payable à quinze jours de date, par Jean Gaspard Eschen fils.

30. Autre de 4,400 écus de Brabant, idem

40. Autre de 24,000 livres tournois.

No. V.

idem.

Copie de la Lettre de M. Francis Drake.

No. 10, Triplicata.

Monsieur,

Munich, 10 Mars, 1804.

Il est nécessaire de vous informer que le commis de la poste ici, a trouvé bon de renvoyer cinq de vos lettres; savoir

Deux arrivées de Kell le 3 de ce mois, renvoyées à Kell.

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Une arrivée de Cassel le 7 do. renvoyée à Cassel.

Une arrivée de Francfort le 7 do. renvoyée à Francfort.

Je vous en dirai la raison à votre arrivée ici. En attendant, je vous écris ce peu de lignes que j'adresse à chacun des trois endroits sus-mentionnés, dans l'espoir qu'elles pourront vous parvenir

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