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(Moniteur, No. 198.)

18 Germinal An 10.

DISCOURS SUR LE CONCORDAT-TRIBUNAT.

Présidence de Girardin.

SEANCE DU 17 GERMINAL.

Siméon a la parole au nom de la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif au concordat et de ses articles orga niques.

Siméon. Citoyens tribuns, parmi les nombreux traités qui depuis moins de deux ans viennent de replacer la France au rang que lui assignent, dans la plus belle partie du Monde, le génie et le courage de ses habitans, la convention sur laquelle je suis chargé de vous faire un rapport, présente des caracteres, et doit produire des effets bien remarquables.

C'est un contrat avec un souverain qui n'est pas redoutable par ses armes, mais qui est révéré par une grande partie de l'Europe, comme le chef de la croyance qu'elle professe, et que les wonarques même qui sont séparés de sa communion ménagent et recherchent avec soin.

L'influence que l'ancienne Rome exerça sur l'univers par ses forces, Rome moderne l'a obtenue par la politique et par la religion. Ennemie dangereuse, amie utile, elle peut miner sour dement ce qu'elle ne saurait attaquer de front. Elle peut consacrer l'autorité, faciliter l'obéissance, fournir un des moyens les plus puissans et les plus doux de gouverner les hommes.

A cause même de cette influence, on lui a imputé d'être plus favorable au despotisme qu'à la liberté; mais l'imputation porte sur des abus dont les lumieres, l'expérience, et son propre intérêt

'ont banni le retour.

Les principes de Rome sont ceux d'une religion qui, loin d'ap. pesantir le joug de l'autorité sur les hommes, leur apprit qu'ils ont une origine, des droits communs, et qu'ils sont freres; elle allégea l'esclavage, adoucit les tyrans, civilisa l'Europe. Combien de fois ses ministres ne reclamerent-ils pas les droits des peuples? Obéir des puissances, reconnaître tous les gouvernemens, est sa maxime et son précepte. Si elle s'en écartait, on la repousserait, on la contiendrait par sa propre doctrine. Elle aurait à craindre de se montrer trop inférieure aux diverses sectes chrétiennes qui sont sorties de son sein, et qui déjà lui ont causé tant de pertes. Elle a sur elles les avantages de l'ainesse; mais toutes recomman dables par la tige commune à laquelle elles remontent, et par l'unité de la morale qu'elles enseignent unanimement avec Rome, elles lui imposent, par leur existence et leur rivalité, une grande circonspection.

Des législateurs n'ont point à s'occuper des dogmes sur lesquels elles se sont divisées. C'est une affaire de liberté individuelle et

the conscience; il s'agit, dans un traité, de politique et de gouvernement. Mais c'est déjà un beau triomphe pour la tolérance dont Rome fut si souvent accusé de manquer, que de la voir signer un concordat, qui ne lui donne plus les prérogatives d'une religion dominante et exclusive; de la voir consentir à l'égalité avec les autres religions, et de ne vouloir disputer avec elles que de bons exemples et d'utilité, de fidélité pour les gouvernemens de respect pour les lois, d'efforts pour le bonheur de T'humanité.

Un concordat fut signé il y a bientôt trois siecles entre deux hommes auxquels les lettres et les arts durent leur renaissance, et l'Europe, l'aurore des beaux jours qui depuis l'ont éclairée, je veux dire Francois I, et Leon X. C'est ainsi à une grande époque de restauration et de perfectionnement que le concordat nouveau aura été arrêté.

Les premiers fondemens de l'ancien concordat furent jetés à la suite de la bataille de Marignan, c'est la dix-huitieme bataille à laquelle se trouvait le Marechal de Trivulce; it disait qu'elle avait été un combat de géans, et que les autres n'étaient auprès que des jeux d'enfans. Qu-eût-il dit de celle de Maringo? Quels autres que des géans eussent monté, et descendu les Alpes avec cette rapidité, et couvert en un moment de leurs forces et de leurs trophées l'Italie qui les croyait si loin d'elle ? Le nouveau concordat est donc aussi, comme l'ancien, le fruit d'une victoire mémorable et prodigieuse.

Combien les maux, inséparables des conquêtes, ont paru s'adoucir au yeux de la malheureuse Italie, lorsqu'elle a vu cette religion dont elle est le siége principal, à laquelle elle porte un si vif attachement, non-seulement protégée dans son territoire, mais prète à se relever chez la nation victorieuse qui, jusques-là ne s'étant montrée intolérante que pour le catholicisme!

Nous n'aurons pas seulement consolé l'Italie: toutes les nations ont pris part à notre retour aux institutions religieuses.

Effrayées de l'essor que notre révolution avait pris et des excès qu'elle avait entraînée, elles avaient craint pour les deux liens essentiels des sociétés : l'autorité civile et la religion. Il leur paraissait que nous avions brisé à la fois le frein qui doit contenir les peuples les plus libres; et ce régulateur plus puissans, plus universel que les lois, qui modere les passions, qui suit les hommes dans leur intérieur, qui ne leur defend pas seulement le mal, mais leur commande le bien; qui anime et fortifie toute la morale, répand sur ses préceptes les espérances et les craintes d'une vie à venir, et ajoute à la voix souvent si faible de la conscience, les ordres du ciel et les représentations de ses ministres.

Comme il a été nécessaire de raffermir le gouvernement affaibli par l'anarchie, de lui donner des formes plus simples et plus énergiques, de l'entourer de l'éclat et de la puissance qui conviennent à la suprême magistrature d'un grand peuple, de le rapprocher des usages établis chez les autres nations, sans rien perdre de ce qui est essentiel à la liberté dans uue République, il n'était

pas moins indispensable de revenir à cet autre point commun à toutes les nations civilisées, la religion.

Comme le Gouvernement avait été ruiné par l'abus des principes de la démocratie, la religion avait été perdue par l'abus des principes de la tolérance.

L'on avait introduit dans le gouvernement et l'administration, l'ignorance présomptueuse, l'inconséquence, le fanatisme politique et la tyrannie sous les formes populaires : l'envie avait amené l'indifference, et bientôt l'oubli des devoirs publics et privés, déchainé toutes les passions, développé toute l'avidité de l'intérêt le plus cupide, détruit l'education, et menacé de corrompre à la fois et la génération présente et celle qui doit la remplacer.

Rappelons nous de ce qu'on a dit chez une nation, notre rivale et notre émule dans tous les genres de connaissances, et qu'on n'accusera point apparemment de manquer de philosophie? Quels reproches des hommes célebres par la libéralité de leurs idées et par leurs talens, n'ont-ils pas faits a notre irréligion? Et quand on pourrait penser que leur habilité potilique, les armait contre nous d'argumens auxquels ils ne croyaient pas, n'est ce pas un bien de les leur avoir arrachés et de les réduire au silence sur un objet aussi important?

S'il est des hommes assez forts pour se passer de religion, assez éclairés, assez vertueux pour trouver en eux-mêmes tout ce qu'il faut quand ils ont à surmonter leur intérêt en opposition avec l'intérêt d'autrui ou avec l'intérêt public, est-il permis de croire que le grand nombre aurait la même force?

Des sages se passeraient aussi de lois; mais ils les respectent, les aiment, et les maintiennent, parce qu'il en faut pour la multitude. Il leur faut encore ce qui donne aux lois leur sanction la plus efficace; ce qui, avant qu'on puisse les mettre dans son mémoire, grave dans le cœur les premieres notions du juste et de l'injuste; développe par le sentiment d'un Dieu vengeur et rémunerateur l'instinct qui nous éloigne du mal et nous porte au bien. L'enfant en apprenant dès le berceau les préceptes de la religion, connaît, avant de savoir qu'il y a un code criminel, ce qui est permis, ce qui est defendu. Il entre dans la societé tout préparé à ses institutions.

Ils seraient donc bien peu dignes d'estime, les législateurs an ciens qui tous fortifiaient leur ouvrage du secours et de l'autorité' de la religion! Ils trompaient les peuples, dit-on, comme s'il n'était pas constant qu'il existe dans l'homme un sentiment religieux qui fait partie de son caractere, et qui ne s'efface qu'avec peine; comme s'il ne convenait pas de mettre à profit cette disposition naturelle; comme si l'on ne devait pas s'aider pour gouverner les hommes, de leurs passions et de leurs sentimens, et qu'il vaut mieux les conduire par des abstractions!

Hélas! qu'avons-nous gagué à nous écarter des voies tracées; à substituer à cette expérience universelle des siècles et des nations, de vaines théories!

L'assemblée constituante qui avait profité de toutes les lumieres répandues par la philosophie, cette assemblée où l'on comptait tant d'hommes distingués dans tous les genres de talens et de connaissances, s'était gardé de pousser la tolérance des religions jusqu'à l'indifférence et à l'abandon de toutes. Elle avait reconnu que la religion étant un des plus anciens et des plus puissans moyens de gouverner, il fallait la mettre plus qu'elle ne l'était dans les mains du gouvernement, diminuer sans doute l'influence qu'elleavait donnée à une puissance étrangere, détruire le crédit et l'autorite, temporelle du clergé qui formait un ordre distinct dans l'Etat, mais s'en servir en le ramenant à son institution primitive, et le réduisant à n'être qu'une classe de citoyens utiles par leur instruction et leurs exemples.

L'assemblée constituante ne commit qu'une faute, et la convention qui nous occupe la répare aujourd'hui: ce fut de ne pas se concilier avec le chef de la religion. On rendit inutile l'instrument dont on s'était saisi, dès lors qu'on l'employait à contresens, et que malgré le pontife, les pasteurs et les ouailles, on formait un schisme au lieu d'opérer une réforme, Ce schisme jetta les premiers germes de la guerre civile que les excès révo lutionnaires ne tarderent pas à développer.

C'est au milieu de nos villes et de nos familles divisées, c'est dans les campagnes dévastées de la Vendée qu'il faudrait répondre à ceux qui regrettent que le gouvernement s'occupe de religion.

Que demandait-on dans toute la France, même dans les départemens où l'on n'exprimait ses desirs qu'avec circonspection et timidité? La liberté des consciences et des cultes; de n'être pas exposé à la dérision, parce qu'on était chrétien; de n'être pas persécuté, parce qu'on préferait au culte abstrait et nouveau de la raison humaine, le culte ancien du Dieu des nations. Que demandaient les Vendéens les armes à la main? Leurs prètres et leurs autels. Des malveillans, des rebelles et des étrangers associerent, il est vrai, à ces réclamations pieuses, des intrigues politiques; à côté de l'autel, ils plaçaient le trône. Mais la Vendée a été pacifiée, aussistôt qu'on a promis de redresser son véritable grief. Un bon et juste gouvernement peut-être imposé aux hommes: leur raison et leur intérêt les y attachent promptement, mais la conscience est incompressible, On ne commande à son sentiment; de tous les temps, chez tous les peuples, les dissentions religieuses furent les plus animées et les plus redoutables..

Ce n'est point la religion qu'il faut en accuser, puisqu'elle est une habitude et un besoin de l'homme; ce sont les imprudens qui se plaisent à contrarier ce besoin, et qui, sous prétexte d'eclairer les autres, les offensent, les aigrissent, et les persécutent. Nous rétrogradons, disent-ils; nous allons retomber dans la barbarie. J'ignore si le siecle qui nous a précédé était barbare; si les hommes de talens qui ont préparé, au-delà de leur volonté, les coups portés au christianisme, étaient plus civilisés que les

Arnaud, les Bossuet, les Turenne. Mais je crois qu'aucun d'eux n'eut l'intention de substituer à l'intolérance des prètres contre lesquels ils déclamerent si éloquemment, l'intolérance des athées et des déistes. Je sais que les philosophes les moins crédules ont pensé qu'une société d'athées ne pouvait subsister long-temps; que les hommes ont besoin d'être unis entr'eux par d'autres régles que celles de leur intérêt, et par d'autres lois que celles qui n'ont point de vengeur lorsque leur violation a été secrette; qu'il ne suffit pas de reconnaitre un Dieu; que le culte est à la religion ce que la pratique est à la morale; que sans culte, la religion est une vaine théorie bientôt oubliée; qu'il en est des vérités philosophiques comme des initiations des anciens: tout le monde n'y est pas propre.

Et si l'orgueil autant que le zele de ce qu'on croyait la vérité, a porté à dévoiler ce qu'on appelait des erreurs, on ne pensait certainement pas aux pernicieux effets que produirait cette manifestation. Qui aurait voulu acheter la destruction de quelques erreurs, non démontrées, au prix du sang de ses semblables et de la tranquillité des états?

A l'homme le plus convaincu de ces prétendues erreurs, je dirai donc Nous ne rétrogradons pas: ce sont vos imprudens disciples qui avaient été trop vite et trop loin. Le peuple, resté loin d'eux, avait refusé de les suivre ; c'est avec le peuple et pour le peuple que le gouvernement devait marcher; il s'est rendu à ses vœux, à ses habitudes, à ses besoins.

Les cultes, abandonnés par l'état, n'en existaient pas moins; mais beaucoup de leurs sectateurs, offensés d'un abandon dont ils n'avaient pas encore contracté l'habitude, et qui était sans exemple chez toutes les nations, rendaient à la patrie l'indifference qu'elle témoignait pour leurs opinions religieuses. On se les rattache en organisant les cultes; on se donne des partisans et des amis, et l'on neutralise ceux qui voudraient encore rester irréconciliables. On ôte tous les prétextes aux mécontentemens et à la mauvaise foi: on se donne tous les moyens.

Comment donc ne pas applaudir à un traité qui dans l'intérieur, rend à la morale la sanction puissante qu'elle avait perdue; qui pacific, console et satisfait les esprits; qui, à l'extérieur, rend aux nations une garantie qu'elles nous reprochaient d'avoir étée à nos conventions avec elles; qui ne nous sépare plus des autres peuples, par l'indifférence et le mépris pour un bien commun, auquel tous se vantent d'être attachés. C'est au premier bruit du concordat que les ouvertures de cette paix, qui vient d'être si heureusement conclue, furent écoutées. Nos victoires n'avaient pas suffi; en attestant notre force, elles nous faisaient craindre et hair. La moderation, la sagesse qui les ont suivies, cette grande marque d'égards pour l'opinion générale de l'Europe nous les ont fait pardonner, et ont acheve la reconciliation universelle.

Le concordat présente tous les avantages de la religion, sans aucun des inconvéniens dont on s'était fait contre elle des

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