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civils, il serait on ne peut pas plus facile d'adopter quelque dispo sition supplémentaire qui se conciliât avec l'organisation primitive de la légion d'honneur.

On pourrait, par exemple, décréter qu'une exception de ce geure ne serait jamais opérée que par une loi, et que la loi ne pourrait en accorder plus de trois dans la même année. Toute idée capable d'amener quelque perfectionnement, sera d'autant plus aisément saisie par le gouvernement qu'il n'a pas déterminé pour l'organisation définitive de la légion d'honneur une époque plus rapprochée que le 1 Vendémiaire, an 12. Il a senti parfaitement qu'il ne pouvait réserver avec trop de soin au grand conseil la faculté de mûrir, la nomination dont il est chargé.

Si vous fixez votre attention, citoyens tribuns, sur le serment que doivent prêter les légionnaires, vous remarquerez que leurs devoirs s'étendent avec leur illustration, que plus ils ont fait pour la patrie, plus on les croit dignes de faire encore pour elle.

Ce qui n'est pour les autres citoyens qu'une convenance morale ou politique, devient pour eux une obligatiou étroite. Si la gloire les distingue entre les Français c'est pour que leur conduite soit érigée en exemple, c'est pour que leur existence soit consacrée au maintien de la liberté et de l'égalité. Les principes que l'une et l'autre nous rendent si chers, me paraissent recevoir une application heureuse dans l'article qui veut que la premiere organisation faite, nul ne puisse parvenir à un grade supérieur qu'après avoir passé par le plus simple grade. Ainsi, des hommes qui auront atteint les places les plus éminentes dans leurs carrieres respectives, lors de leur admission dans la légion d'honneur, se trouveront de niveau avec d'autres citoyens qui auront prévenu par des actions d'éclat l'avancement que le tems devra leur procurer, tandis que l'utilité publique établira et maintiendra dans la societé des differences de grades, de fonctions et de dignités; la plus brillante des récompenses nationales, deviendra une sorte de contre-poids à cette hiérarchie, d'ailleurs si nécessaire et si respectable, du sein même des distinctions sortira une leçon d'égalité, qui aura en outre l'avantage de conserver au plus simple grade dans la légion d'honneur tout le prix qu'il doit avoir.

En recherchant le principe, et en analysant les détails du projet de loi sur lequel vous allez exprimer votre opinion, citoye s tribuns, vous avez vu qu'il remplit le vœu de la constitution; qu'il associe aux services militaires dans la distribution des recompen• ses nationales d'autres services également recommandables; qu'en acquittant la dette du passé, il confie à l'avenir le germe de la plus noble émulation, qu'il rétablit l'égalité entre ceux des citoyens qui se destinent aux professions lucratives; et ceux qui se con acrent soit aux sciences, soit aux fonctions publiques, qu'il donne à l'autorité uu moyen d'influence dont le gouvernement d'une grande nation ne doit pas être, privé; qu'il fonde enfin une institution analogue an caractere national, et propre à satisfaire les amis de la liberté, en opposant de nouve les précautions à la possibilité du regret et du retour des institutions de la monarchie.

En même tems que des considérations si respectables réclament votre assentiment pour la loi qui vous est présentée, le moment où ellevous est soumise se range même parmi les motifs qui doivent vous déterminer. Hier vous avez noté l'adoption du traité qui a rétabli la paix générale d'une maniere si glorieuse pour la République; hier vous avez décerné des remercimens au négociateur distingué dont vous avez déjà remarqué les vertus et les talens lors de la conclusion du traité de Luneville. Dans peu de jours la volonté du peuple Français, confirmant le vœu que vous a inspiré votre patriotisme, va se prononcer, pour que les rênes du gouvernement restent le plus long-tems possible dans cette main puissante, qui a su arrêter la révolution, et relever la France au rang qui lui appartient en Europe.

Vous délibérez, citoyens tribuns, à une époque consacrée par la reconnaissance nationale, et vous allez en assurer une des plus belles applications, en accordant votre suffrage à un projet de loi qui place sous l'influence de l'honneur la récompense et l'émulation des Français.

Chauvelim. Tribuns, vous vous apercevrez aisément que c'est presque sans préparation que je me présente à cette tribune,

En me livrant à l'étude du projet pour éclairer mon vote, de grands inconvéniens, des conséquences dangereuses, m'ont vivement frappé et je crois de mon devoir de vous soumettre mes idées, quoique le tems me permette à peine de la mettre en

ordre.

Outre que dans une discussion aussi raccourcie il faut éviter toute répétition; j'avoue que je craindrais d'affaiblir en les reproduisant toutes les considérations présentées par un préopinant, sur les vices et les dangers du projet.

Ces vices, ces dangers me paroissent grands, je l'avoue, et bien sûr que les motifs pour lesquels ils vous ont été développés, n'ont pas manqué de faire sur vous une forte impression, je me bornerais à vous faire remarquer combien les auteurs et les défenseurs du projet, se sont écartés du but qu'ils annoncent.

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Sans doute il fallait, il faut acquitter toute la dette de la reconnaissance nationale envers nos illustres guerriers, il fallait confirmer les récompenses déjà décernées, il fallait en ajouter de nouvelles, honorables, signalées, éclatantes.

Si ce but unique eût été atteint par le projet, une voix unanime l'eut confirmé,

Ses auteurs et ses défenseurs ne parlent, il est vrai, que de récompense mais par un singulier écart ils vont envelopper ces récompenses dans une conception que je suis loin de trouver heureuse.

Fallait-il en effet, pour créer des récompenses et pour les décerner égales aux vertus civiles, aux dévouemens et aux exploits guerriers, incorporer des fonctionnaires civiles dans une organisatiou toute guerriere, leur donner des titres, des grades, des devoirs, des relations de commandement et d'obéissance; enfin, les

associer dans un nombre nécessairement si petit, à cette masse armée qu'on appelle à les envelopper dans son sein?

Dans les Etats libres, dans les Républiques anciennes, on a vu souvent les exploits militaires payés par des distinctions civiles, par des récompenses tout-à-fait étrangere aux attributs de la guerre, comme aux trophées de la victoire une couronne de laurier, une feuille de chène, ornaient également la tête du conquérant, et du magistrat, du poëte et de l'artiste. Mais on pourrait s'étonner de voir pour la premiere fois, dans une République, payer l'heroisme civil par une qualification militaire, par des grades et des signes qui ne sont rien aux yeux de la raison, s'ils ne sont achetés dans les combats.

C'est, en un mot, prendre la partie pour le tout dans une association politique, vouloir fondre le civil dans le militaire; c'est au contraire, vers la direction opposée qu'il serait très-essentiel de tendre toujours.

Fallait-il pour créer des récompenses, mettre spécialement sous la garantie privilégiée et comme exclusive, de six mille personnes, en France, tout ce qui intéresse de plus près la nation entiere, le maintien de la liberté, de l'égalité, la défense du gouvernement.

Si le serment exigé était nécessaire à l'affermissement de nos droits, c'est à tous les Français, c'était aux maires, à tous les fonctionnaires publics, qu'il fallait le demander.

Sans doute, cette précaution a paru superflue aux auteurs de notre cons itution, et vous avez imité leur sécurité, en imposant à chacun de nous une simple promesse de fidélité à cette constitution.

Il résulterait, cependant, du serment prêté, par les seuls légionnaires, qu'il y aurait dans la République des hommes plus engagés que vous à la défense des droits du peuple, à la garantie, de sa liberté, au maintien de l'égalité; que vous, ses mandataires, ses magistrats que vous, qui influez à chaque instant sur son sort par vos délibérations, vos penseés, vos actes et vos opinions.

Oui, je le répete, si ce serment est nécessaire, c'est à vous, c'est au peuple, c'est aux quatre cents mille hommes de votre armée, qu'il faut le faire prêter à la fois.

S'il est superflu, il ne peut aboutir qu'à remettre en question tout ce qui est irrévocablement jugé; à remettre en question l'égalité consacrée par toutes vos lois, déjà chere à tous les FranJais, préparée par les mœurs depuis un siecle, plutôt reconnue que conquise dès 89, et implorée même aujourd'hui par les hommes qui se sont si vainement armés contre elle; à remettre en question le retour de cet absurde régime féodal qui se survivait depuis longtems à lui-même avant sa destruction définitive, contre lequel il est permis d'être suffisamment rassuré par les lumieres du 19me siécle, par 10 ans de victoires, par la fécondité de nos campagues et le bonheur de leurs habitans.

Fallait-il enfin pour créer des récompenses, s'écarter encore de son but en ne les faisant pus personnelles, en instituant une corpora

tion tout à la fois politique et militaire, étrangere à l'armée comme aux corps civils constitués?

Une corporation établie, et repartie sur toute la France par les quinze chefs-lieux de cohorte, et dont la hiérarchie et les affilia tions subordonnées aux collatérales, concourent à former une organisation forte et puissante, menacent du retour de cet esprit de corps, qui dénature les meilleures pensées, et corrompe les in tentions les plus généreuses?

Une corporation, qui formée sous le titre et les couleurs de la liberté et de l'égalité, blesserait par trois de ses membres, la cons titution dans le sénat, l'égalité, dans le corps-législatif et dans le tribunat.

Une corporation, qui, participant aux vices de la noblesse par ses distinctions de corps, à ceux de l'ancien clergé par les dotations et la possession de main-morte, tendrait à former bientôt un ordre dans l'état; car ce n'est pas l'hérédité, qui constitue uniquement l'existence d'un ordre privilégié; l'ancien clergé de France en était la preuve.

Une corporation enfin que l'auteur de l'exposé des motifs de la loi, vous annonce déjà lui-même, comme une institution politique qui place dans la société des intermédiaires, par lesquels les actes du pouvoir sont traduits à l'opinion avec fidélité et bienveillance, et par lesquels l'opinion peut remonter jusqu'au pouvoir.

Je vous demande, citoyens tribuns, dans ces paroles de l'orateur du Gouvernement, si vous ne croyez pas entendre parler de vous-mêmes.

Oui, dans un Gouvernement représentatif et chez un peuple assez heureux pour posséder une discussion publique de ses lois, les véritables les seuls intermédiaires entre lui et son Gouvernement, ce sont les corps constitués.

Ici c'est par le sénat, c'est par le corps-législatif, c'est par vous que les actes du pouvoir doivent être traduits à l'opinion; c'est par le s'énat, par le corps législatif et par vous que l'opinion doit remonter jusqu'au pouvoir.

Si cette communication, cette espece de circulation vous est étrangere, si elle agit hors de vous, qui, choisis parmi toutes les classes de la société, renouvelés incessamment en elle, liés à tous les divers intérêts qui l'unissent, présentez ici sa vive image, vous devenez ici plus qu'inutiles; l'essence de votre existence n'est plus en vous-même, elle est transportée hors de vous.

Tels sont les principes et la nature du systême représentatif, cette premiere des pensées modernes. Là, où le systême n'au rait pas atteint sa perfection, on pourrait tenter de l'obtenir, mais non de le dénaturer, de l'abatardir en cherchant à le combiner avec de ces inventions destructives, dignes de l'enfance des sociétés, bonnes pour remédier alors par des vœux, des confrairies, des associations et des corps informes et bizarres, à tous les abus de l'injustice et de l'ignorance.

Dans l'embarras d'acquitter d'une maniere digne de son objet, toute la delte de la reconnaissance nationale, on a pu rechercher

une monnaie qui la représente et la retrace à tous les yeux; mais au moins faudrait-il que cette monnaie fût bien uniquement personnelle, et qu'elle ne fût pas frappée aux dépens de la sou veraineté, inalienable de la collection de tous les Français.

Sans doute il faut effacer les distinctions nobiliaires aux yeux de ceux qui les remarquent encore; mais les effacer et non les couvrir, les anéantir et non les remplacer, les détruire par des principes, et non les combattre par d'autres préjugés; enfin, ne pas tomber dans l'erreur d'une troupe qui aurait vaincu l'ennemi sur un point faible et mal fortifié, et s'y renfermerait ensuite comme pour lui offrir sa revanche. Je me résume.

Le projet proposé pour payer aux services militaires comme aux services civils, le prix du courage qu'ils ont tous mérités, se détourne de cet objet par l'établissement d'une institution militaire de la plus haute importance.

Cette institution toute militaire dans ses titres, ses formes et son organisation, loin de réunir les services militaires et civils dans un genre de distinction, qui consacre leurs droits égaux et mutuels, ne tendrait, en incorporaut le civil au militaire, qu'à dénaturer tous les principes sur les relations réciproques qu'ils doivent avoir pour le bonheur de la société.

Le serment exigé des seuls légionnaires contre le retour du régime féodal, et pour le maintien de la liberté et de l'égalité, est inutile, et ne pourrait être que nuisible; ces avantages reposent et doivent reposer sur des bases plus étendues et les plus solides.

L'espece de corporation privilégié qui serait établie par le projet, menacerait de former un Etat dans l'Etat; constituerait un ordre intermédiare, nuisible à côté d'une institution représentative, pernicieux dès qu'il recevrait des circonstances, toute direction contraire à son objet.

Enfin le besoin, le devoir de décerner des récompenses aux vertus civiles, aux services militaires, peuvent être satisfaits par des moyens plus simples, et dont les conséquences ne pourraient offrir aucun danger.

Je vote le rejet du projet.

Carrion de Nizas. Citoyens collégues, il est peu d'entre vous qui n'aient entendu parler du fameux Villepatour, l'un des plus habiles officiers de l'artillerie Française.

Couvert de blessures et chargé de récompenses pécuniaires,il sollicitait cette décoration, la seule honorable, parce qu'elle était la seule personnelle. Le ministre lui envoya le brevet d'une nouvelle pension!

Le brave s'indigne. A telle époque, répondit-il au ministre, j'ai en le bonheur de faire une action d'éclat, et j'ai reçu tant de pen

sion.

A telle bataille j'ai été blessé et j'ai reçu une gratification de tant; autre blessure, autre pension; autre blessure encore, autre gratification. Ainsi donc par un simple calcul arithmétique, je pourrais savoir au juste le tarif et le prix du sang que je verse; j'aime mieux l'iguorer toujours.

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