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que celui de la législation; alors en harmonie avec les habitudes, avec les intérêts particuliers et l'intérêt général ils contribueront réellement au bonheur de tous.

Je n'ai traité jusqu'à ce moment, citoyens tribuns, la question qui nous occupe que dans l'intérêt des colons et du commerce Français, si je parlais devant une assemblée moins éclairée que la vôtre, je l'examinerais dans l'intérêt même des noirs, et je prouverais, sans peine, que des hommes qui n'ont aucune idée de cette oběissance volontaire qui caractérise le citoyen, briseraient le joug des lois qu'on voudrait leur imposer, et après avoir épou vanté le monde de scenes de sang et de carnage, retomberaient dans les fers de celui de leurs égaux, à qui la nature aurait donné une plus grande force de corps, un plus grand courage, ou une ambition plus ardente.

Il suit donc de ce qui précede qu'en envisageant la question de T'affranchissement des noirs, dans nos rapports avec l'Europe, et dans l'intérêt des colons de la métropole et celui des Africains même, le gouvernement n'a pu le résoudre à l'affirmative.

Maintenant, mes collégues, que je vais parler de l'importation des noirs aux colonies, si vous vous portiez par la pensée sur les plages de l'Afrique; si vous considerez les noirs attachés au sol qui les a vu naître, séparés de ceux que la nature leur a appris à chérir, portant des yeux baignés de pleurs sur le rivage qu'ils vont quitter pour toujours, tourmentés par l'inquiétude de l'avenir, déchirés par les souvenirs du passé, et bientôt enchaînés dans une prison flottante, où ils ne respirent qu'un air brûlant, vos cœurs se serreraient, et si, écoutant que la pitié, vous proscririez à l'instant même, la traite comme la plus barbare des institutions.

Mais, devez vous, comme magistrats, vous laisser entraîner pat un sentiment qui vous honore comme hommes? hélas non! quelque rigoureux que soit le devoir qui vous est imposé, vous devez le remplir. Si un général au moment de livrer une bataille, où il est certain de triompher, perdait de vue l'intérêt de son pays, pour se peindre la mort moissonnant les rangs ennemis et entassant les uns sur les autres des milliers de victimes; si à la vue du sang qui coule à ses yeux de toutes parts, il cédait au mouvement de son âme, et ramenait ses soldats bouillans de courage sous leurs pavillons, au lieu de les conduire au combat; excusable aux yeux de l'homme privé, il ne le serait pas aux yeux de ceux qui gouvernent les empires, et qui savent qu'il est des maux qu'on doit supporter pour en empêcher de plus grands; il ne le serait pas aux yeux de ses concitoyens qui lui reprocheraient d'avoir par un sentiment mal-entendu, compromis leur sûreté et leur indépendance. Eh bien! mes collégues, n'imiteriez vous pas ce général, si n'envisageant que le tableau que je viens de vous présenter tout-à-l'heure, vous détourniez vos yeux des colonies et de la France, pour ne les porter que sur l'Afrique; si vous sacrifiez aux noirs les intérêts et la prospérité de votre pays, en détruisant une constitution nécessaire aux progrès

des colonies, devenues elles mêmes nécessaires à notre existence ? Mais quel bien les Africains retireraient-ils de notre renonciation à la traite? L'esclavage serait-il pour celà aboli dans leur pays? Les prisonniers de guerre cesseraient-ils d'être mis dans les fers? Les débiteurs insolvables ne perdraient-ils plus les prérogatives d'hommes libres? Les maures ne viendraient-ils plus traiter des Africains? Les autres nations de l'Europe suivraient-elles notre exemple? Non, l'Afrique conserverait son organisation actuelle, et les vaisseaux Européens cingleraient toujours vers les Antilles pour y porter les cultivateurs que leur industrie agricole réclame de l'Afrique.

Sans améliorer sous aucun rapport le sort des noirs, nous nous priverions des avantages que nous retirons de la traite, et nous ferions passer dans la main des étrangers les 39,000,000 que le commerce de la côte d'Afrique versait dans notre commerce, Car, n'en doutez-pas, citoyens tribuns, à notre défaut, la contrebande viendrait suppléer à l'importation des noirs, et l'intérêt des colons, comme l'avidité des vendeurs, sauraient se jouer de toutes les entraves, de toutes les prohibitions qu'on voudrait opposer. Je sais qu'on peut m'objecter que le premier ministre d'une grande puissance commerciale de l'Europe, aussi éclairé sur les intérêts de son pays que sur ceux des autres états du monde, a proposé l'abolition de la traite des noirs. Mais je sais aussi qu'il a éprouvé la plus forte résistance de la part d'hommes aussi intéressés que lui au bien de leur pays. Je n'examinerai pas si il a été guidé dans sa démarche par des vues d'humanité ou par d'autres motifs. Mais je me bornerai à dire que ceux qui combattaient ordinairement à ses côtés, se sont montrés dans cette circonstance, comme les avocats de la cause Européenne, et ont été ses plus terribles adversaires; que quelle qu'ait été sa pensée, il est bon qu'on n'ignore pas que ce n'était pas celle du commerce de sa nation, et par-tout le commerce connaît aussi bien que le gouvernement les intérêts de son pays. On se tromperait, mes collégues, si l'on ne voyait pas un terme à la traite des noirs; plu, sieurs causes doivent nécessairement la limiter et la faire disparaitre un jour.

D'une part, les changemens, que les efforts constans et multipliés de l'humanité, apporteront dans son état actuel, en civilisant les peuples grossiers de l'Afrique, en les amenant par degrés à l'a griculture, au commerce, en introduisant peu à peu les principes qui nous régissent, ils tendront à faire disparaître l'esclavage d'au milieu d'eux, et les détourneront d'un commerce que l'humanité ne peut avouer, mais que la politique est forcée de tolérer. D'une autre part, à mesure que les colonies s'avanceront vers leur pros périté, le besoin de nouveaux bras diminuera; avant cette époque même il se fera moins sentir, si des réglemens sages, mais compatibles avec l'organisation coloniale, favorisent la population s'ils veillent à la conservation de la mere pendant la grossesse, et le tems qu'elle allaitera ses enfans; s'ils écartent du jenne noir les ma

ladies qui l'assiégent à sa naissance; s'ils le garantissent des cruels effets d'une maladie qui enleve tant d'enfans en Europe, et qui est plus terrible encore sous la zone torride; si enfin un jour les primes accordées pour l'importation des noirs aux colonies, prennent une direction plus noble en devenant la récompense du colon dont les soins vigilans et paternels auront fait excéder le nombre des naissances sur celui des morts. N'en doutons pas, mes collégues, le gouvernement qui a tant fait pour la gloire de la France, qui n'a d'autres pensées que de rendre heureux tout ce qui vit sous l'empire Français, ne laissera pas échapper l'occasion de servir l'humanité et de donner aux autres nations un grand exemple à suivre, sans craindre de compromettre leur sûreté. Jusques-là, citoyens tribuns, bornons-nous à former des vœux pour que les Européens sachent concilier leurs intérêts avec les devoirs de l'humanité dans la traite des noirs. Quelque bornée que soit l'intelligence des Africains relativement à nous; quelque différence qu'il y ait entre leur espece et la nôtre, qu'on n'oublie jamais qu'ils sont hommes!

S'il résulte des considérations que je vous ai exposées rapidement, qu'on ne pourrait renoncer à la traite des noirs sans préjudicier à la culture des colonies, sans augmenter la valeur des denrées coloniales, sans donner aux étrangers le profit qu'en retire notre commerce; si d'une autre part, notre renonciation à un usage commun à toutes les nations de l'Europe, n'améliorait sous aucun rapport le sort des Africains, vous conclurez avec votre commission, que le gouvernement ne pouvait abandonner la traite.

Pour terminer la tâche que m'a imposée votre commission, citoyens tribuns, je n'ai plus qu'à vous parler de la disposition qui donne au gouvernement le droit de déterminer par des réglemens, indépendamment des lois antérieures, le régime des colonies. Vous n'ignorez pas, citoyens tribuns, que depuis le commencement de la révolution, la législation des colonies n'a eu aucun caractere de stabilité. Déclarées parties non intégrans de l'empire Français par l'assemblée constituante, ces colonies pouvaient établir, avec l'approbation du roi, le régime intérieur qu'elles trouvaient convenable de se donner. Mais l'assemblée constituante s'était réservé le droit de régler leurs relations commerciales. Dépouillées de ce droit par la convention, elles furent soumises à ses lois, pour leur régime intérieur; et le gouvernement en fut confié à des commissaires revêtus de pouvoirs illimités. Lors de la constitution de l'an 3, les colonies furent considérées comme parties intégrans de la république, et régies par ses lois sans aucune restitution. Plus sages que leurs prédéces seurs, les auteurs de la constitution de l'an 8, ont voulu que le régime des colonies fut soumis à des lois spéciales. Ces lois rentrent dans la classe des lois ordinaires; c'est en vertu de cette disposition de la constitution que vous devez voter sur le projet que j'examine. Vous sentez tous, mes collégues, que les circonstances exigeaient que les premieres autorités donnassent leur assentiment

à une mesure qui doit porter la sécurité dans les colonies qui vont nous être restituées, dans celles ou l'esclavage a été maintenu.

Mais toutes les mesures que l'administration des colonies exigeaient ne sont pas de cette nature. Toutes n'ont pas besoin pour produire l'effet qu'on en attend, d'avoir le caractere de loi, et le gouvernement par ses arrêtés, par ses réglemens, atteindra sans nulle difficulté, le but que lui indiquent et les intérêts de la métropole et ceux des colonies. Mais quand il en serait autrement dans l'état présent des colonies, pouvons-nous faire un bon code de lois coloniales? Non, sans doute, nous n'avons encore aucune des données qui nous sont nécessaires. Il nous faut les conseils du tems et de l'expérience. C'est au gouvernement qu'il appartient de les recueillir, et nous lui en accorderons les moyens, en lui concédant le droit qu'il demande aujourd'hui. Nous ne pou vons nous dissimuler en outre, mes collégues que la situation des colonies exige une police prompte, active et sévere, aussi variée dans ses mesures que les événemens dont elle doit prévenir ou arréter les effets; aussi mobile, si je peux m'exprimer ainsi, que les circonstances qui la nécessitent. Ce sont tantôt des mécontens qu'il faut rappeller à l'ordre, tantôt des mutins qu'il faut contenir; ici, c'est une révolte qu'il faut comprimer; là, une rébellion dont il faut extirper la racine; les lois, l'état des personnes, les circonstances, les possessions sont variées dans les causes et dans les effets, et les remedes doivent varier de même que les maux. Ajoutez à celà la nécessité de la célérité dans leur application, et l'éloignement des colonies de la France, et voyez, si nous pouvons dans le moment actuel, laisser à la législation la part que la constitution lui assigne dans le régime colonial.

Mais en outre, ne serait-ce pas se faire une fausse idée du caractere de la loi, que de vouloir l'appliquer aux mesures que dans des tems difficiles, nécessitent les besoins du moment, et dont la durée par la nature des choses, est limitée à celle de ces besoins? La loi doit être permanente, les réglemens seuls peuvent être transitoires.

Que le tems, que les mesures adoptées par le gouvernement, ramenent, consolident la paix dans les colonies; que leurs rapports avec la métropole soient bien établis; que leurs besoins présens soient connus; qu'on puisse prévoir leurs besoins à venir; alors elles rentreront sous l'empire de la loi; alors elles auront une constitution appropriée à l'organisation qu'elles exigent, conforme à leurs intérêts et aux nôtres.

Jusqu'à cette époque, réposons nous avec confiance sur le gouvernement; que les colonies attendent tout de sa sagesse; mieux instruit que la monarchie sur leurs vrais intérêts, sur ceux de la métropole, il saura appliquer avec discernement aux colonies, nos lois civiles et criminelles; il saura y apporter les modifications que les localités exigent; riche des lumieres de l'expérience, il préviendra ou réprimera les abus que les dépositaires de l'autorité faisaient trop souvent de leurs pouvoirs dans ces contrées loin taines; il éteindra une main également protectrice sur tous les

habitans des colonies; par là il les contiendra dans les limites de leurs devoirs; il tendra sans cesse à unir, à confondre leurs intérêts, et chaque colonie deviendra bientôt, par ses soins, une grande famille où il n'exercera qu'une autorité paternelle, et dont toutes les parties prenant sans s'en apercevoir, l'esprit général, ne verront plus dans leurs chefs qu'elles considéraient jadis comme un maître superbe, qu'un pere attentif à leurs besoins, et n'offriront plus au philosophe, à l'ami de l'humanité que ces scénes touchantes de la vie patriarchale, sur lesquelles l'homme de bien repose avec tant de délices son esprit et son cœur. Votre com

mission spéciale, composée des tribuns Legonidée, Pérée, Duveyrier, Costé, Perau, Pernon, Bosc, Boisjolin, Guttenguet, Jaubert et du rapporteur, d'après les diverses considérations que je n'ai pu vous exposer que rapidement, vous propose à l'uuanimité de voter l'adoption du projet de loi rélatif aux autres colonies Françaises.

L'impression de ce rapport est ordonnée.

Le tribunat délibere de suite sur le projet, et en vote l'adoption à la majorité de 54 voix contre 27.

(Moniteur, No. 241.)

CORPS LEGISLATIF.

Séance du 29 Germinal, An 10.

On introduit les orateurs de tribunat, Lucien Bonaparte, Tréville et Girardin et les Conseillers d'état Roederer, Marmont et Dumas. L'ordre du jour appelle la discussion sur le projet de loi relatif à la création d'une légion d'honneur. La parole est à l'un des orateurs du tribunat.

Lucien Bonaparte.-Législateurs, le tribunat à adopté le projet de loi portant création d'une légion d'honneur et nous a confié le soin de développer dans votre sein les motifs de son adoption. Nous examinerons ce projet de loi sous le double aspect des récompenses militaires et des récompences civiles,

Nous jouissons des douceurs de la paix; le moment est donc arrivé d'organiser le mode de récompense nationale que la constitution promet aux guerriers qui se sont distingués en combatlant pour la république,

Déjà le gouvernement a commencé l'exécution de cette volonté constitutionnelle, et beaucoup d'armes d'honneur ont été distri buées dans les armées,

Aujourd'hui ces mesures partielles sont devenues insuffisantes; ceux qui en sont l'objet ont reçu une distinction honorable, mais cette distinction n'est pas assez éclatante; ils jouissent de pensions proportionnées à leurs grades; mais ces pensions prélevées sur le trésor public ne sont point assez indépendantes des circonstances; en un mot, les brevets d'honneur ne sont pas assez fortement constitués; depuis la paix, les brevets sont devenus des marques trop faibles de la reconnaissance nationale. La paix a tellement re

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