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tacher qu'à des intérêts isolés; en retrempant toutes les âmes, en les relevant, elle a préparé l'accomplissement de ce vœu ou de cette prédiction que je rappelais tout-à-l'heure ; nous avons maintenant un honneur national qui, après s'être signalé, demande aliment et récompense; il veut être reconnu, proclamé, étroitement engagé à l'intérêt public. Il demande de nobles liens à la patrie, et le législateur l'a entendu.

Quelle circonstance, citoyens législateurs, pour la concession qui vous est proposée, que celle de la paix générale, qui est comme la clôture de la révolution! Vous allez en même-tems acquitter la dette de la reconnaissance et sceller la promesse de nouveaux services. Quatre mille braves ont été déjà décorés d'armes d'honneur. Mais plusieurs encore ont des titres à faire valoir; mais tous désirent voir consacrer par l'aveu national la distinction qu'ils ont obtenue, mais les militaires n'ont pas eu seuls la gloire du courage, et la gloire du courage n'est pas la seule qui ait brillé dans cette révolution dont nous voyons le terme : les services civils attendent aussi leur récompense et leur encouragement. La légion d'honneur satisfait à tous ces droits, à tous ces intérêts; elle paye la dette nationale.

Et comment payer autrement qu'en cette monnaie de l'honneur des actes de dévouement qui sont au dessus de toutes les récompenses! L'or ne paye ni les hautes vertus ni les hautes actions. Les trésors de l'honneur seuls sont assez opulens, seuls ils sont solvables pour toutes celles qu'a produites la guerre de la liberté. L'or! législateurs, vous n'en donneriez jamais assez aux citoyens illustres, pour que leur honorable opulence attestat la munificence publique, au milieu de ce faste ruineux qui écrase aujourd'hui toutes les fortunes! Donnez leur une autre distinction que celle de l'or, et qu'un titre honorable leur épargne l'humiliation d'acheter par leur dépense l'attention et les égards.

Citoyens législateurs, en récompensaut ainsi, vous encouragerez encore plus que vous récompenserez.

Il n'est point échappé, sans doute, à votre attention, qu'autant cette jeunesse opulente qui fait le mouvement et l'éclat de nos cités, mettait de zèle au service militaire, lorsque c'était un privilége d'entrer au service militaire au rang d'officier, autant il est à craindre qu'elle n'y mette de l'indifférence, aujourd'hui que les drapeaux sont consacrés à l'égalité. L'attrait que le privilége donnait autrefois, il est nécessaire qu'une institution en offre l'équivalent aujourd'hui ; il faut que l'orgueil soit assez excité par l'appat d'une récompense d'honneur, par l'aspect de la considération assurée à ceux qui l'ont obtenue, pour qu'il ne laisse pas hésiter dans le dévouement au service de l'état, au moins lorsqu'un intérêt pressant le demandera.

Dans le jeu de la machine politique, l'institution de la légion produira un aussi bon effet sans doute que dans le systême militaire; elle en adoucira l'action, elle la rendra plus facile, plus réguliere. Quel lien unit aujourd'hui l'autorité centrale avec les

autorités extremes, les premiers magistrats de la république avec la magistrature judiciaire, administrative, départementale, com. munale, municipale, avec la masse des citoyens ? une correspon dence officielle d'ordres et d'obéissance. Quelle sécheresse, quelle dureté dans de tels rapports! Par où croit-on que circule l'esprit public qui s'en va éclaircissant de proche en proche tous les doutes, déterminant toutes les hésitations? C'est par les insinuations amicales, les correspondances, les conversations particu lieres des citoyens accrédités dans l'opinion, avec les citoyens obscurs. La lettre d'un correspondant de Paris arrivée dans une petite ville en même-tems qu'une loi qui inquiéte et agite les conversations, dont cette lettre est le texte, souffit souvent pour tout calmer, tout éclaircir. C'est pas ces rapports souvent peu suivis, souvent fortuits de quelques hommes sages, animés d'un même esprit, que s'entretient et se fortifie l'union des citoyens avec le gouvernement. Eh bien! en établissant par la légion une sorte de fraternité entre tous les amis des mêmes principes, on prépare de ces relations de confiance qui mettent de l'unité dans les opinions; on place dans les relations de société, dans les divers corps militaires ou civils dont les légionnaires feront partie, autant d'hommes accrédités qui seront écoutés et serviront de railiement à l'opinion des citoyens bien intentionnés. C'est ainsi qu'autre fois lé vieux militaire décoré, était consulté sur l'honneur du corps, sur celui des particuliers, sur la discipline. Il était le dépositaire des plaintes secretes, et le conseiller des devoirs. Voilà ce qui j'ai appelé des intermédiaires utiles à la politique, et je n'ai pas été peu surpris qu'au tribunat on ait argumenté contre cette théorie toute morale, comme contre le système des corps intermédiaires des monarchies, quoiqu'il fût d'ailleurs bien entendu que la légion n'était point un corps, n'avait point de fonctions, que ce n'était qu'une association d'hommes répandus dans tous les corps et lis vrés à tous les genres de services publics, sans colésion, et même sans communications habituelles.

Ce que je viens de dire, législateurs, et surtout ce qui a été dit avant moi, suffit pour vous montrer l'intention et le but du projet de loi; mais j'ai à repondre à plusieurs objections; elles se reduisent à trois.

La premiere c'est que le projet de loi appelle un sénateur dans le grand conseil d'administration, et que l'article 18 de la constitu tion défend aux sénateurs l'exercice de toutes fonctions publiques. La deuxieme c'est que l'institution forme autorité dans autorité, imperium in imperio.

La troisieme c'est qu'elle blesse l'égalité.

De ces trois objections il n'en est qu'une de sérieuse; c'est la derniere.

Peu de mots suffiront pour les deux autres.

L'institution ne forme point autorité dans autorité. 10. Elle n'est point une corporation; 20. Elle ne peut avoir d'autorité que sur les biens affectés à chaque cohorte, et encore cette autorité sera

déléguée à une partie de la cohorte; 30. Elle a pour chef, le chef

de l'état.

Si l'institution n'est point une corporation, si elle n'a aucune fonction publique, l'article 18 de la constitution qui interdit toute fonction aux sénateurs, n'y est point applicable. Ici il faut observer que la loi n'affecte pas même au grand conseil, comme aux cohortes, une portion quelconque de domaines nationaux, de sorte qu'il n'a pas même entre les mains l'administration de biens qui est confiée aux cohortes, et qui au reste n'est pas plus une fonction publique, que ne le serait la gestion des domaines nationaux affecté au sénat, s'il la gérait lui-même.

Je passe donc à la grande objection, celle qui accuse l'institution proposée, de blesser l'égalité.

Elle n'est qu'une distinction accordée du mérite personnel, ou plutôt ce n'est que la distinction du mérite même qui est reconnu et consacrée.

Si elle blesse l'égalité, c'est que sans doute le mérite éminent la blesse aussi.

Et en effet il offense l'égalité absolu, mais non pas l'égalité de droits, puisque tout le monde pouvait prétendre au mérite, ayant le droit d'être vertueux, généreux, courageux, a le droit d'acquérir la distinction du courage de la générosité, de la vertu. Or l'égalité de droits est la seule que le bon sens, les lois des pays libres aient jamais voulu consacrer. Avant la révolution le fils d'un plébéien ne pouvait être officier: c'était là un état de choses offensant pour l'égalité, parce que les moyens de montrer son courage, son dévouement à la patrie, étaient le privilége des patriciens. Mais qu'à de commun la légion d'honneur avec ce privilége? accorde-t-elle aux membres qui la composent le privilége des périls, des sacrifices et du dévouement? choisit-elle ses membres dans une classe privilégié ! non, en quoi donc blesse-t-elle l'égalité?

On répond: elle la blesse de quatre manieres; d'abord en ce qu'elle assure cinq sixieme des places aux services militaires; 20. En ce qu'elle fait entrer les citoyens honorables par les services civils, par un grade inférieur à celui qui peut être donné au service militaire; 30. En ce qu'elle fait passer sous une dénomination et sous un pouvoir militaire le fonctionnaire civil et militaire les récompenses au lieu de les civiliser; 40. En ce qu'elle tend à ramener des distinctions héréditaires et des priviléges. Je répondrai à ces quatre propositions.

Et d'abord je demande sur quoi l'on se fonde pour avancer qu'il n'y a que le sixieme des places de réservées au civil! La proportion n'est déterminée nulle part. A la vérité la légion ne doit guere excéder 6000 personnes, et 4000 militaires ayant reçu des armes d'honneur, en sont membres de plein droit; mais 10. Il reste un tiers des places à donner: pourquoi préjuger qu'il n'y aura que moitié de ce tiers décerné aux services civils? 20. Le grand nombre des militaires appellés à composer en ce moment la légion, est un effet de la guerre. Après quinze ou vingt ans de paix, les

citoyens engagés dans les services civils, doués des qualités civiles auront sur les militaires oisifs, le même avantage, qu'après une si terrible guerre ceux-ci ont dû avoir sur les premiers; 30. Enfin, pour être en droit de préjuger que le nombre des hommes civils ne sera pas proportionné avec celui des militaires, et que les uns se ront plus favorisés que les autres, il faudrait que le corps électoral de la légion fut militaire: or, je vois que le m de établi pour la composition, tend à le rendre plutôt civil que militaire, puisqu'il est formé des trois consuls et des délégués de quatre corporations civiles.

Je passe à la seconde objection. On a dit: "Le projet porte, qu'après la premiere formation, il faudra passer par le plus sim"ple grade pour parvenir aux grades supérieurs; or, cette con"dition n'est imposée que pour les services civils, et une action "d'éclat à la guerre suffit pour autoriser une nomination à tous "les grades. Ainsi, (a-t-on ajouté) un militaire entrera dans la "légion comme grand-officier, tandis que Montesquieu, tenant à "la main l'Esprit des Lois, n'entrera que par le grade légion"naire."

Je réponds d'abord que la loi laisse à l'arbitrage du grand-conseil l'admission des membres de la légion; que ce grand-conseil est essentiellement civil, qu'ainsi quand il aura à balancer entre un magistrat tel que Montesquieu, et un militaire, il n'élevera celui-ci au-dessus du premier que pour un de ces actes de dévouement, tels que le prix de l'honneur lui soit dû de préférence au plus bean livre; et ici, j'ose ajouter que Montesquieu serait le premier à mettre en principe que l'utilité d'un livre, et celle d'une action périlleuse étant égales, le grade d'honneur est dû à l'action que l'honneur seul peut inspirer: or, la composition du meilleur livre n'est pas une des actions qui n'ont leur source que dans l'honneur, et il serait révoltant qu'un guerrier qui aurait sauvé la pa trie fût réduit à passer par le dernier grade; au lieu que jamais l'opinion ne s'offensera de ne pas voir arriver d'emblée au premier rang un officier civil.

Vient enfin cette question: Pourquoi le projet de loi a-t-il militarisé l'institution au lieu de la civiliser? Il n'y a de militaire dans l'institution que son titre de légion et les dénominations des grades.

Au fond, la légion est une institution morale, politique, civile et militaire. De tous les reproches auxquels le gouvernement pou vait s'attendre, le dernier était, sans contredit, celui d'avoir formé une corporation militaire. Quatre mille sabres d'honneur ont été distribués dans l'armée Française, et aucune distinction civile n'a encore été accordée. En cela se rencontrait une grande inégalité entre le civil et le militaire. Cependant personne ne songeait à réclamer contre elle, lorsque le gouvernement a eu recours au moyen de la faire cesser et à proposé la légion; et c'est lorsqu'il y appelle les hommes distingués par les services civils, qu'on l'accuse de les méconnaître! Quoi de plus injuste! Tout était si bien! a dit hier un honorable membre du tribunat; il ne

s'agissait que de régulariser la distribution des sabres d'honneur; et il jettait cette exclamation, après beaucoup de plaintes, sur l'espece de répudiation à laquelle il trouvait condamnés les fonctionnaires civils! Cette maniere de critiquer n'est pas dangereuse..

(Moniteur, No. 243.)

CORPS LEGISLATIF.

Discussion sur le Traité d'Amiens.

Bruix, orateur du gouvernement. Législateurs, tout nous confirme dans cette opinion, qu'aucun des articles du traité discuté devant vous, n'a besoin d'être défendu.

Le sentiment du tribunat, celui que manifesterent solennellement le sénat et le corps législatif à la premiere annonce des conditions auxquelles nous avons déposé les armes; l'allégresse publique et notre retour à ces mœurs aimables qui font accourir dans nos murs l'élite des nations; tant de circonstances heureuses permettent de préjuger l'unanimité des suffrages dans la loi que vous allez porter.

En effet le traité d'Amiens sanctionne tous les traités que dictait pour ainsi dire, à chaque victoire, le citoyen illustre que la confiance du peuple a chargé de tenir les rênes de l'état.

Au nord et au midi de la France, des vastes états se trouvent indissolublement liés à nos destinées. Nos frontieres sont reculées jusques aux bornes que la nature avait posées et que nous Be saurions éloigner sans danger.

L'Angleterre nous restitue toutes celles de nos colonies, que le sort des armes ou les rêves d'une imprudente philantropie avaient fait tomber en son pouvoir; bientôt ces possessions d'outre-mer recouvreront leur ancien éclat, pour les prospérités mêmes de la métropole et s'il fallait ici parcourir diverses époques plus ou moins favorables à une pacification durable, j'ose le dire, législa teurs, nous avouerions que l'époque à laquelle le gouvernement vous invite à décréter le repos de l'Europe et la liberté des mers, promet seule à la France de glorieux et solides avantages.

Mais est-il besoin de vous arrêter à la date d'un traité que tous les vœux appelaient, et dont les conditions ont surpassé les espérances les plus hardies? Faut-il même en examiner les articles? Ils nous rameneraient sans cesse de nos victimes multipliées à nos succès en politiques, et de l'éloge des armées à celui des négociatears. En vous parlant ici de nos ministres, inspirés par un homme de génie, guidés par son exemple ou dirigés par sa sagesse, je paraitrais vouloir acquitter un tribut de louanges, la dette de la postérité, seule juge impassible de l'admiration des peuples. Une seule considération frappera donc ici vos esprits: pour la premiere fois depuis le traité d'Utreclit, la France a conclue la paix maritime saus aucune sorte de concession de sa part. Les maux qui nous restent à réparer après la guerre, sont ceux que nous ne pouvons imputer qu'à nous seuls; bientôt la fin de ces maux mêmes

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