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globe, et que le retour à l'ordre a coûté de si grands efforts, il faut que chaque citoyen immole ses regrets pour ne voir que la patrie.

C'est d'après ces motifs que le tribunat a voté l'adoption du projet de loi.

Le corps législatif ordonne l'impression.

La parole est à un orateur du gouvernement.

Bruix.-Législateurs, les développemens qu'ont donnés les orateurs du tribunat au projet de loi présente, me dispensent de longs détails, je produirai des résultats qui, sans placer la question dans un point de vue nouveau, puissent démontrer son impor tance, et fassent taire une philantropie trop expansive, devant la raison d'état plus sévere.

Qu'une portion du genre humain soit condamnée par la nature ou par des institutions sociales au travail servil et à l'esclavage, on peut en gémir, sans doute! Mais nous écouterous les leçons de notre expérience et celles que nous donne l'exemple de nos ri

vaux.

Des philosophes en Angleterre réclamaient la liberté des noirs: un gouvernement éclairé réjeta ou du moins éluda cette proposition que des esprits ardens recueillirent en France; n'accusons pas leur intention. Mais si l'organisation des gouvernemens nouveaux leur était inconnue, s'ils ignoraient les bases de tout système de commerce maritime, et le degré de jouissance que chaque état peut trouver dans la sagesse du régime de ses colonies, instruits du moins à l'école des anciens, à cette école qui jadis forma des citoyens, et non des cosmopolités, ils eussent pu se rappeller que Sparte avec ses ilotes, Rome avec ses esclaves, connurent, chérirent, adorerent la liberté. Les peuples libres sont jaloux de leur noble prérogative: ils ont aussi Teur égoisme; mais ce sentiment ne doit pas être poussé trop loin. La liberté dans Rome s'entourait d'esclaves. Plus douce parmi nous, elle les relégue au loin. La différence de couleur, de mœurs, d'habitudes, pourraient encore excuser la domination des blancs; mais la politique, le soin de notre grandeur, et peut-être de notre conservation, nous prescrivent de ne pas briser la chaîne des noirs.

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En effet, le monopole du commerce de nos îles, le droit exclusif de leur porter des matieres brutes ou manufacturées, et de rapporter en retour leurs denrées, peut seule nous assurer ce double gain d'exportation et d'importation dont jouissent à l'égard de leurs colonies respectives, les autres nations Européennes. Le goût de nos arts, certaines habitutes et des besoins factices sont des liens pour le Créole. Le negre libre, moins actif, sans désirs, dedaignerait les productions de notre continent. Pour lui le manioc est préférable à nos moissons, la liqueur du sucre, à nos vins. La température du tropique lui rend à charge le moindre vêtement et le dispense d'employer les produits de nos manu

factures; exempt d'ambition, parce qu'il n'a pas besoin d'une longue prévoyance, son incurie égaie celle du Caraïbe, de qui up écrivain philosophe a dit......" Il vient pleurer le soir pour qu'on lui rende le lit de coton qu'il a vendu le matin."

Les cultures languiraient, et d'autres causes encore concourraient à anéantir notre commerce. La France pourrait-elle comp. ter sur des colonies peuplées en majeure partie de noirs libres? Leurs intérêts deviendraient bientôt indépendans de toute affection pour la métropole, car la patrie absente pour le negre des Antilles, c'est l'Afrique. Les sacrifices que fait avec jóie le colou attaché à la France par la conformité des mœurs, par des rela tions d'amitié, par les liens du sang, ces sacrifices légers pour un Créole originaire d'Europe, paraîtraient graves à l'Africain. Nous verrions celui-ci bientôt éluder le régime prohibitif, sans lequel ne seraient administrées par nous qu'au profit de nos voisins. Le monopole de nôtre commerce, en effet, en renchérissant pour les autres peuples les produits de nos colonies, restreint la consommation de ces produits, diminue la réproduction, et met d'utiles entraves à l'industrie du colon qui encore paie plus cherement les marchandises de l'étranger, parce qu'elles lui parviennent d'une main tierce. Tels sont, législateurs, les désavantages du Créole; il eut toujours assez de patriotisme pour s'y soumettre; car tels sont aussi les avantages des métropoles d'Europe dans tout systême colonial. Que les noirs y deviennent propriétaires; et bientôt toutes les denrées récoltées passeront dans un commerce de contrebande. Il faut donc que les propriétés et le pouvoir soient dans les mains des blancs peu nombreux; il faut que les negres en grand nombre soient esclaves. -Tout l'exige, la sûreté du colon, l'activité des cultures, la conservation des colonies, l'intérêt du trésor public, commerce, colonies, finances, parties du même tout, élémens homogenes que la pensée sépare un moment pour les analyser, et qu'elle est forcée de rassembler pour les mieux définir.

Employons donc les seuls moyens, qui puissent nous garantir P'utilité et la conservation de notre territoire d'outre-mer.

Sans la possession de ces colonies ainsi mises en valeur par des mains esclaves, plus de commerce en Afrique, plus de moyens d'accroître nos pécheries qui manqueraient de débouchés. L'activité de nos cultures, et de nos manufactures en Europe déchoirait, ainsi que notre commerce aux Indes Orientales; notre puissance navale éprouverait, au sein de la paix, les plus funestes échecs, par la diminution de nos matelots et de nos ouvriers. Tant de maux variés résulteraient de la liberté des noirs, car nos intérêts politiques sont tous liés à la grande question qui vous est soumise. Ainsi les deux lois qui doivent terminer cette mémorable session présentent le plus vaste intérêt; elles se prêtent un appui réciproque: l'une fécondera la paix que l'autre aura confirmée.

L'impression de ce discours est ordonnée.

Regnault (de Saint-Jean d'Angely) orateur du gouvernement. Pour traiter d'une maniere convenable à la gravité du sujet l'importante question qui vous est soumise, il faudrait enlever à l'interessante discussion qui va s'ouvrir devant vous, plus de momens que je ne dois vous en dérober.

Je crois cependant devoir ajouter, sans préparation et sans art, quelques réflexions à celles qui viennent d'être développées, moins pour éclairer, pour assurer votre decision, qui n'est pas douteuse pour moi, que, pour établir d'une maniere positive les principes qui ont dirigé le gouvernement dans la conception de la loi que vous allez juger.

Nagueres encore nous n'avions pas de colonies; la victoire nous a donné la paix et la paix a rendu les colonies, toutes les colonies à la république.

En assurer la conservation, la tranquillité, la prospérité, est un devoir pressant que le gouvernement s'est empressé de remplir, en posant dans une loi solennelle les bases invariables de leur législation.

Il a considéré, avant de prendre une détermination, ce que lui prescrivaient: 1°. les relations politiques de la république avec les états voisins; 2° l'intérêt des manufactures, de l'agriculture et du commerce; 3. l'intérêt même de l'humanité et une philantropie éclairée.

Sous les rapports politiques, le gouvernement a vu que les états avec lesquels nos relations sont les plus habituelles, ont des colonies, et attachent à leur conservation, à leur prospérité, un intérêt proportionné aux avantages qu'ils en retirent. Et ces avantages sont fondés sur une législation pareille à celle que la loi proposée doit maintenir.

Par tout des bras asservis fécondent, et peuvent seuls féconder ces terreins que les mains des Européans, auraient laissé couverts de forêts impénétrables, de marais incultes ou de plantes sauvages.

Dans l'Amérique septentrionale même, dans ce pays de la liberté, sur cette terre où les descendans de Penn montrent tant de respect pour les droits de l'humanité, et pour ces douces vertus qui font la force du lien social, il y a aussi des hommes esclaves. Le nom seul leur est épargné, et sous celui d'engagés, leur condition est la même que dans les autres climats où on transporte leurs compatriotes.

L'intérêt des nations continentales a crée, sanctionné ce moyen unique de culture auquel aucune d'elles ne peut renoncer, sans perdre de ses avantages dans la balance de l'Europe, sans descendre du rang auquel elle se trouve placée.

Et ne croyez pas que cette vérité soit méconnue, ou même douteuse chez cette nation voisine, avec qui le gouvernement a conclu la paix que vous allez ratifier.

A l'époque, il est vrai, où toutes les idées libérales si manifestées, s'exageraient au sein de l'assemblée constituante, où les

amis de la France pouvaient craindre jusqu'aux égaremens d'un honorable délire, où ses ennemis pouvaient se flatter d'induire les esprits en erreur, en faisant parler le sentiment, on parla de la suppression de la traite et de la liberté des noirs.

Wilberforce, trop lié avec le ministere, avec le chef du ministere, le chancelier de l'échiquier, pour qu'on ne puisse pas raisonnablement regarder leurs pensées comme communes, Wilberforce bien sûr, sans doute, du succès de sa proposition avant de la faire, jeta, au sein du parlement d'Angleterre, la proposition de supprimer la traite des noirs.

Monument de l'habileté avec laquelle le génie qui l'inspirait, marchait vers son but, la discussion fut assez chaleureuse pour être remarquée, assez sage pour ne pas amener d'entraînement, assez bien conduite pour n'aboutir qu'à un ajournement à l'an 1800, ajournement renouvellé, et dont la postérité seule est sans doute destinée à connaître le terme.

Un tel débat pouvait, devait animer, électriser des esprits ardens et pour peu que son effet fut secondé dans l'intérieur, par quelques hommes habiles à créer une chaleur factice, à developper une chaleur réelle, il n'était pas impossible de se flatter d'amener l'assemblée constituante à un résultat funeste pour nos colonies.

Mais elle résista à toutes les suggestions directes et indirectes; elle consacra, au contraire, comme principe, qu'il ne serait rien changé à l'état des personnes dans les colonies sans l'initiative des assemblées coloniales; et lorsque subjugée par la force des principes qu'elle consacrait, elle accorda le droit de cité aux hommes de couleur, elle ne le donna qu'à ceux nés de pere et mere libres, et le refusa aux affranchis, laissant ainsi, comme à Rome, une distance, entre gelui pour qui la liberté est recouvré, et celui qui en use comme citoyen dans toute sa plénitude.

L'assemblée constituante sentait que détruire le régime des coJonies, ou détruire les colonies était une même chose: elle voulait améliorer et non bouleverser. Elle voulait et le gouvernement veut aujourd'hui, en revenant même sur son ouvrage, conserver les colonies pour ajouter encore ce poids au poids continental de la république, pour avoir encore ce moyen de rétablir la spleudeur de notre marine militaire, pour exercer dans des voyages, dans des croisieres nos anciens marins et les éleves qui vout former, pour préparer dans le développement de leurs talens, une gloire maritime digne de la gloire de nos bataillons victorieux. Mais non-seulement des considérations politiques ont déterminé le gouvernement: Fintérêt du commerce à été un motif non moins pressant.

Et pour parler d'abord de notre marine marchande, ne seraitelle pas, sans nos colonies, condamnée à un humiliant cabotage sur nos côtes où dans les ports des états voisius?

N'irait elle pas, stérile instrument d'un roulage maritime, porter whez nos voisins le superflu de notre culture, ou de nos manu

factures, et rapporter en échange, mais avec un immense désavantage, les denrées coloniales dont le luxe, et plus encore l'habitude, ont fait un besoin pour une partie de la nation?

Avec les colonies, au contraire, la métropole fait un commerce qui la rend indépendante des états voisins. En échange de la protection qu'elle leur accorde, des avantages qu'elle leur assure, elle se réserve le droit exclusif de leur approvisionnement d'Europe, que la nature n'a pas permis à leur sol de produire: elle seule peut extraire de leur ports les riches et abondans produits de leur culture, et les offrir sur nos marchés aux besoins des consommateurs, ou aux spéculations des négocians.

C'est ainsi que l'on a vu et que l'on reverra fleurir le commerce de Bordeaux, de Nantes, de la Rochelle; c'est ainsi que l'affranchissement de l'Escaut appelle Anvers à être aussi un vaste, magnifique et opulent entrepôt.

C'est ainsi que la masse des capitaux diminuée, s'accroîtra avec rapidité. Et vous le savez, législateurs, les capitaux commerciaux d'une nation ne sont pas composés seulement de son numéraire effectif, mais de toutes les valeurs mobiliaires qu'elle peut offrir en échange aux états voisins, et placer dans la balance de ses transactions avec eux.

Des magasins pleins de sucre, de coton, de café renfermaient avant la guerre, et renfermeront bientôt des capitaux qui feront renaître l'aisance sur les places maritimes; et seront le gage d'un crédit qui décuple les richesses effectives d'un peuple.

Eh bien! ces capitaux, c'est du sol colonial qu'il faut les tirer; c'est-là qu'on peut recueillir cent pour un des avances qu'on fait à la culture, et qu'on peut ouvrir à la république une source féconde et rapide de réproduction et de réparation de ses pertes.

Et on ne peut attendre tous ces avantages qu'en rétablissant, ou plutôt en conservant aux colonies désignées dans la loi, le régime qui y est établi, et qui commandé par la politique et par l'intérêt commercial de la république, l'est aussi par l'humanité.

L'humanité ne consiste pas dans les déclamations sentimentales, dans le fastueux étalage de quelques phrases bannales que l'esprit le plus médiocre prête souvent au cœur le plus froid.

L'humanité ne veut pas qu'on s'appitoye avec exaltation sur le sort de quelques hommes, et qu'on cherche à leur procurer des biens douteux, én exposant une autre partie de l'espèce humaine à des maux certains et terribles.

Personne plus que moi ne rend justice à cette société des amis des noirs, formée d'hommes si opposés de principes, que la faulx révolutionnaire a moisonnés presque tous, et parmi lesquels je comptais mes plus honorables amis, Dupont (de Nemours) Larochefoucault et plusieurs autres noms respectables.

Cette société, même au milieu de l'exaltation de ses sentimens, au sein de quelques erreurs, respectables quand elles sont adoptées de bonne-foi, était loin de vouloir les secousses violentes, dont son existance et ses écrits ont été la source ou le prétexte.

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