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été prises pour les terminer, je dois d'abord rappeler l'état de choses qui les a précédées.

Des frontieres de l'Egypte au détroit de Gibralter, le nord de l'Afrique est possédé par les hommes étrangers au droit public de l'Europe. Les principes et les mœurs qui, des sociétés Européunes, n'ont fait, pour ainsi dire, qu'une même société; qui, non-seulement défendent d'opprimer, mais commandeut d'accueillir, de protéger, de secourir dans le danger la navigation et le commerce des peuples paisibles; qui reprouvent toute aggression injuste, qui flétrissent la valeur, si elle est cruelle, et veulent que les droits de l'humanité restent toujours sacrés; ces mœurs sout encore inconnues aux peuples de ces contrées.

Ils n'ont d'autre droit des gens que les lois mêmes de leur police qui permettent chez eux les violences individuelles, les autorisent à l'égard des étrangers, et les consacrent même comme des actes de courage à l'égard des ennemis: ils ignorent que le droit des gens par ses régles générales abolit les droits chimériques que des peuples trop imbus de leur importance locale prétendent retirer de la licence de leurs usages. Il faut croire, pour l'honneur de l'Europe, que, sur ce point, la suprématie du droit public assignant de justes limites à la tolérance des législations particulieres, ne sera désormais méconnue qu'en Afrique.

La régence d'Alger s'est particulierement signalée par une audace que quelques événemens durent accroître.

Charles-Quint tourna contre l'Afrique ses armes victorieuses: il voulait délivrer l'Europe des incursions des Barbaresques, et les réduire à l'impuissance; mais le succès trompa sou attente, et ne répondit point à la grandeur de ses préparatifs.

Dans des tems postérieurs, Louis XIV. vengea sur les Algé riens l'honneur du pavillon Français. Alger fut, par ses ordres, bombardé trois fois dans l'espace de six années mais là dut se borner sa vengeance. Les affaires d'Europe réclamaient toute son attention, du moins, les Algériens apprirent-ils dès lors à craindre et à respecter la France, et la paix qui fut conclue en 1689 subsistait depuis plus d'un siécle lorsque les instances et les ordres de la sublime porte la firent rompre en l'an 7.

Des ennemis qui restaient à la France lorsque le premier-consul prit les rênes du gouvernement, la régence d'Alger était le moins redoutable; mais le premier conseil désirant de faire cesser partout les calamités de la guerre, instruit que le dey d'Alger l'avait déclarée contre son inclination et qu'il souhaitait la paix, fit partir pour Alger un négociateur. Précédé par la renommée des exploits dont l'Italie, l'Allemagne, l'Egypte, la Syrie avaient été le théâtre l'envoyé du premier consul fut accueilli comme il devait l'être. La paix fut arrêtée, prociamée même dans le divan. Cependant une nouvelle intervention de la sublime porte en fit ajourner la signature.

La guerre parut renaître ; mais ce fut une guerre sans hostilités.

Tous les Français purent se retirer librement d'Alger avec toutes leurs propriétés, et l'agent de la France attendit à Alicante le moment où les négociations pourraient être reprises.

Enfin un traité définitif qui assura à la France tous les avantages stipulés par les traités anciens et qui, par des stipulations nouvelles, garantit plus explicitement, et mieux, la liberté du commerce et de la navigation Française à Alger, fut signé le 7 Nivôse dernier.

La paix générale était conclue, et le commerce commençait à reprendre ses routes accoutumées.

Mais bientôt on apprend que des armemens d'Alger parcourent la Méditerranée, désolent le commerce Français, infestent les côtes. Le pavillon et le territoire même de la république ne sont pas respectés par les corsaires de la régence. Ils conduisent à Alger des transports sortis de Toulon et destinés pour Saint Domingue. Ils arrêtent un bâtiment Napolitain dans les mers et presque sur les rivages de la France. Un rais algérien ose, dans la rade de Tunis, faire subir à un capitaine de commerce Français un traitement infâme.

Les barques de la compagnie du corail qui, aux termes du traité vont pour se livrer à la pèche, sout violemment repoussées des côtes, le chargé d'affaires demande satisfaction et ne l'obtient pas; on ose lui faire des propositions injurieuses à la dignité du peuple Français on veut......que la France achete l'exécution du

traité!

Informé de ces faits, le premier consul ordonne qu'une division navale se rendra devant Alger.

Je transmets par ses ordres des instructions au chargé d'affaires, le citoyen Dubois Thainville, qui s'est conduit avec autant d'énergie et de dignité, que de prudence.

La division, commandée par le contre-amiral Leissegues, parut devant Alger, le 17 Thermidor; à bord était un officier du palais l'adjutant commandant Hullin, porteur d'une lettre du premier consul pour le dey.

Le 18, cet officier descend à terre, est accueilli avec distinction, présenté au dey, et lui remet la lettre du premier consul.

Elle était ainsi conçue.

"Bonaparte, premier consul, au très-haut et très-magnifique "dey d'Alger; que Dieu le conserve en prospérité et en gloire." "Je vous écris cette lettre directement parce que je sais qu'il ya de vos ministres qui vous trompent et qui vous portent à vous conduire d'une maniere qui pourrait vous attirer de grands malheurs, cette lettre vous sera remise en mains propres par un adjutant de mon palais. Elle a pour but de vous demander réparation prompte et telle que j'ai droit de l'attendre des sentimens que vous avez toujours montrés pour moi. Un officier Français à été battu dans la rade de Tunis par un de vos rais. L'agent de la république a demandé satisfaction et n'a pu l'obtenir. Deux

bricks de guerre ont été pris par vos corsaires qui les ont amenés à Alger et les ont retardés dans leur voyage. Un bâtiment Napolitain a été pris par vos corsaires dans la rade d'Hieres, et par là ils ont violé le territoire Français; enfin du vaisseau qui a échoué cet hiver sur vos côtes, il me manque encore plus de 150 hommes qui sont entre les mains des barbares. Je vous demande réparation pour tous ces griefs, et ne doutant pas que vous ne preniez toutes les mesures que je prendrais en pareille circonstance, j'envoie un bâtiment pour reconduire en France les 150 hommes qui me manquent. Je vous prie aussi de vous méfier de ceux de vos ministres qui sont ennemis de la France; vous ne pouvez pas avoir de plus grands ennemis; et si je désire vivre en paix avec vous, il ne vous est pas moins nécessaire de conserver cette bonne intell' gence qui vient d'être rétablie et qui seule peut vous maintenir dans le rang et dans la prospérité où vous êtes; car Dieu a décidé que toux ceux qui seraient injustes envers moi seraient punis. Si vous voulez vivre en bonne amitié avec moi, il ne faut pas que vous me traitiez comme une puissance faible; il faut que vousfaissiez respecter le pavillon Français, celui de la république Italienne qui m'a nommé son chef, et que vous me donniez réparation de tous les outrages qui m'ont été faits, cette lettre n'étant pas à une autre fin, je vous prie de la lire avec attention vousmême, et de me faire-connaître par le retour de l'officier que je vous envoie ce que vous avez jugé convenable de faire."

Quelles que fussent les dispositions intérieures du dey, il ne me montra que le désir de vivre en bonne intelligence avec la république Française. "Je veux, dit-il, être toujours l'ami de Bonaparte."

Il promit et donna réellement toutes les satisfactious demandées. Pour rendre un hommage particulier au premier consul dans la personne de son envoyé, il voulut même s'écarter des formes ordinaires, et contre l'usage immémorial des régences, il reçut dans le plus magnifique kiosck de ses jardins, l'officier du palais, le chargé d'affaires de la république, le contre admiral Leissegues et son nombreux état major. C'est-la qu'il remit au géné ral Hullin la réponse qu'il avait préparée pour le premier consul et dont la teneur suit:

"Au nom de Dieu seul, de l'homme de Dieu, maître de nous illustre et magnifique seigneur Mustapha Pacha dey d'Alger, que Dieu laisse en gloire.

"A notre ami Bonaparte ! premier consul de la république Francaise, président de la république Italienne.

"Je vous salue, la paix de Dieu soit avec vous.

"Ci-après, notre ami, je vous avertis que j'ai reçu votre lettre datée du 29 Messidor. Je l'ai lûe: elle m'a été remise par le gé néral de votre palais, et votre vékil, Dubois Thaiuville. Je vous réponds article par article.

"1°. Vous vous plaignez du rais Ali-Tartar, quoiqu'il soit un de mes joldaches, je l'ai arrêté pour le faire mourir. Au moment

de l'exécution, votre vékil n'a demandé sa grâce en votre nom, et pour vous, je l'ai délivré.

2o." Vous me demandez la polacre Napolitaine, pris ditesvous, sous le canon de la France. Les détails qui vous ont été fournis à cet égard ne sont pas exacts; mais, selon votre désir, j'ai délivré dix-huit chrétiens composant son équipage: je les ai remis à votre vékil.

"3°. Vous demandez un bâtiment Napolitain qu'on dit être sorti de Corfou avec des expéditions Françaises. On n'a trouvé aucun papier Français ; mais selou vos désirs, j'ai donné la liberté à l'équipage, que j'ai remis à votre vékil.

"4°. Vous demandez la punition du rais qui a conduit ici deux bâtimens de la république Française. Selon vos désirs, je l'ai destitué; mais je vous avertis que mes rais ne savent point lire les caracteres Européennes; ils ne connaissent que les passeports d'usage, et pour ce motif il convient que les bâtimens de guerre de la république Française fassent quelque signal, pour ètre reconnues par mes corsaires.

"5°. Vous demandez 150 hommes que vous dites être dans mes états. Il m'en existe pas un, Dieu a voulu que ces gens se soient perclus, et cela m'a fait de la peine.

"6°. Vous dites qu'il y a des hommes qui me donnent des conseils pour nous brouiller. Notre amitié est solide et ancienne, et tous ceux qui chercheront à nous brouiller n'y réussiront pas. "7°. Vous demandez que je sois ami de la république Italienne. Je respecterai son pavillon comme le vôtre selon vos dé sirs. Si un autre m'eût fait pareille proposition, je ne l'aurais pas acceptée pour un million de piastres.

" 8°. Vous n'avez pas voulu, me donner les 200 mille piastres que je vous avais demandées pour me dédommager des pertes que j'ai essuyées pour vous, que vous me les donniez ou que vous ne me les donniez pas, nous serons toujours bons amis.

“9o. J'ai terminé avec mon ami Dubois-Thainville, votre vékil toutes les affaires de la calle, et l'on pourra venir faire la pêche du corail. La compagnie d'Afrique jouira des mêmes prérogatives dont elle jouissait anciennement. J'ai ordonné au bey de Constantine de lui accorder tout genre de protection.

“10°. Je vous ai satisfait de la maniere que vous avez désiré pour tout ce que vous m'avez demandé, et pour cela, vous me satisferez comme je vous ai satisfait.

" 11°. En conséquence je vous prie de donner des ordres pour que les nations mes ennemies ne puissent pas naviguer avec votre pavillon ni avec celui de la république Italienne, pour qu'il n'y ait plus de discussions entre nous, parce que je veux toujours être

ami avec vous.

"12°. J'ai ordonné à mes rais de respecter le pavillon Français à la mer. Je punirai le premier qui conduira dans mes ports un bâtiment Français.

"Si à l'avenir il survient quelque discussion entre nous, écrivezmoi directement, et tout s'arrangera à l'amiable.

"Je vous salue, que Dieu vous laisse en gloire.

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Alger, le 13 de la lune de Rabiad-Ewel, l'an de l'hégire 1217." En terminant ce rapport, je dois dire au premier cousul que l'adjudant-commandant du palais Hullin, et le contre-amiral Leissegues out rempli avec noblesse, fermeté et mesure, la commission qui leur était confiée.

CH MAU. TALLEYRAND.

Rapport fait au Premier Consul de la République, en Sénat, par le Ministre des Relations Extérieures, le 20 Fructidor, an 10.

Le caractere distinctif de l'époque à laquelle la paix générale a mis fin, a été une contradiction saillante et générale entre les sentiments, les intérêts et la conduite des peuples. Les états ont été entraînés, comme par une sorte de fatalité, dans leurs guerres, dans leurs alliances. Les uns ont fait cause commune, sans cesser de se haïr; les autres sans cesser de s'aimer, ont vécu dans un état de discorde et d'hostilité.

C'est que dans la dissolution dès long-tems préparée des rapports généraux de l'Europe, l'édifice du droit public s'écroulant, la politique a par-tout méconnu sa tradition, ses maximes, ses régles locales, et que plus d'un gouvernement pris au dépourvu, à l'approche du bouleversement, a perdu le discernement de ces plus chers intérêts, a vu du danger jusques dans ces plus salutaires habitudes, et s'est livré sans réserve aux plus vaines frayeurs et aux plus dangereuses suggestions.

Telle a été particulierement la position de la sublime porte, à cette période de la guerre où l'Europe l'a vu avec étonnement, se ranger au nombre des ennemis de la France. Ce gouvernement n'a pas tardé lui-même à partager cet étonnement; et en effet, tout ce qu'il a vu au-dedans et au-dehors, était bien propre à lui inspirer des regrets sur la détermination à laquelle il s'était laissé engager.

Il a vu le vainqueur fidele à la déclaration qu'il avait faite, en occupant une province Ottomane, pourvoir aux soins de sa conservation, la gouverner avec sagesse, préparer sa prospérité future, et lors mème qu'une déclaration de guerre non-provoquée, en avait fait une légitime conquête, annoncer par son respect pour les propriétés, les mœurs et la religion des vaincus, que son intention n'était pas changée. La France, eu effet, loin de vouloir attenter à la prospérité, et diminuer la force de la Turquie, n'eut en vue, à cette époque, que de la rendre plus puissante et plus heureuse, en introduisant dans son sein de nouveaux élémens de civilisation, et ouvrant au milieu de ses provinces, la grande route de commerce du monde.

Mais le gouvernement Ottoman s'était lié au-delà de sa pré

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