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Français s'était empressé d'accepter la dite garantie; et parune suite de l'esprit de conséquence et de fidélité à ses engagemens, qui caractérise l'Empereur Alexandre, il n'était nullement douteux qu'il n'accepta la proposition qui lui était offerte; mais la Providence qui se plaît par fois à confondre la mauvaise foi, fit arriver à la même heure, au même instant où Lord Whitworth remettait sa note, un courrier de Russie adressé aux Plénipotentiaires de cette Puissance à Paris et à Londres, par lequel S. M. l'Empereur de Russie manifestait avec une énergie toute particuliere, la peine qu'il avait éprouvée d'apprendre la résolution de S. M. Britannique de garder Malte; il renouvelait les assurances de sa garantie, et faisait connaître qu'il accepterait la demande de sa médiation qui, avait été faite par le Premier Consul, si les deux Puissances y avaient recours. Le soussigné s'empressa, le 22, de faire connaître à Lord Whitworth, par une note, l'erreur dans laquelle était sa cour, ne doutant pas que puis que c'était la seule objection qu'elle avait faite au projet qui avait été présenté, dès l'instant qu'elle connaîtrait la déclaration réitérée et positive de la Russie, elle ne s'empressa d'adhérer à la remise de Malte entre les mains d'un des trois Puissances garantes. Quel dût donc être l'étonnement du soussigné, lorsque Lord Whitworth n'entrant dans aucune explication, et ne cherchant ni à contredire ni à discuter les déclarations que lui avait faites le soussigné, a fait connaître par une note du même jour, qu'aux termes de ces instructions, il avait l'ordre de partir trente-six heures après la remise de sa derpiere note, et a reitéré la demande de ses passeports; le soussigné dût les lui faire passer immédiatement.

L'Ambassadeur d'Angleterre se serait-il comporté différemment si le gouvernement Français, eut été assiégé dans une place battue en brêche, et qu'il eut été question, non des intérêts les plus importans que le Cabinet Britannique ait traités depuis plus de huit cent ans, mais d'une simple capitulation?

On a fait précéder l'ouverture des négociations, par des armemens fastueusement annoncés; tous les jours, à toute heure on a signalé la reprise des hostilités.

Et quel est cet ultimatum qu'on présente au gouvernement Français pour être signé dans le délai d'un jour!

Il faut qu'il consente à donner une isle qui ne lui appartient pas, qu'il viole lui-même, à son détriment un traité solennel, sous le prétexte que l'Angleterre a besoin contre lui d'une garantie nouvelle; qu'il manque à tous les égards dus aux autres puissances contractantes, en détruisant sans leur aveu l'article qui, par considération pour elles, avait été le plus longuement discuté à l'époque des conférences; qu'il manque également à ceux qui sout dus aux puissances garantes, en consentant qu'une isle dont elles ont voulu l'indépendance, reste pendant dix ans sous l'autorité de la Couronne Britanuique; qu'il ravisse à l'Ordre de Malte sa souveraineté de l'état qui lui a été rendu, et que cette souveraineté soit transmise aux habitans, que par cette spoliation il offense toutes les puissances qui ont reconnu le rétablissement de

cet Ordre qui l'ont garanti et qui, dans les arrangemens de l'Allemagne, lui ont assuré des indemnités pour les pertes qu'il avait éprouvées.

Tel est le fond de cet ultimatum, qui présente une série de prétentions toujours croissantes, en proportion de la modération que le gouvernement de la République avait déployée. D'abord, l'Angleterre consentait à la conservation de l'Ordre de Malte et voulait seulement assujettir cet ordre et ses états à l'autorité Britannique.

Aujourd'hui, et pour la premiere fois, on demande l'abolition de l'ordre, et elle doit être consentie dans trente-six heures.

Mais les conditions définitivement proposées, fussent-elles aussi conformes au traité d'Amiens et aux intérêts de la France qu'elles leurs sont contraires, la seule forme de ses demandes, le terme de trente-six heures prescrit à la réponse, ne peuvent laiser aucune doute sur la détermination du gouvernement Français. Non, jamais la France ne reconnaîtra dans aucun gouvernement le droit d'annuller, par un seul acte de sa volonté, les stipulations d'un engagement réciproque. Si elle a souffert que sous des formes qui annonçaient la menace, on lui présentât un ultimatum de sept jours, un ultimatum de trente-six heures des traités conclus avant d'être négociées, elle n'a pu avoir d'autre objet que de ramener le gouvernement Britannique par l'exemple de sa modération; mais elle ne peut consentir à rien de ce qui compromet les intérêts de sa dignité et ceux de sa puissance.

Le soussigné est donc chargé de déclarer à S. E. Lord Whitworth qu'aucune communication, dont le sens et les formes ne s'accorderaient pas avec les usages observés entre les grandes puissances, et avec le principe de la plus parfaite égalité entre l'un et l'autre état, ne sera plus admise en France.

Que rien ne pourra obliger le gouvernement Français à disposer des pays qui ne lui appartiennent pas, et qu'il ne reconnaîtra jamais l'Angleterre le droit de violer, en quelque point que ce soit les traités qu'elle aura fait avec lui.

Enfin, le soussigné réitere la proposition de remettre Malte entre les mains de l'une des trois puissances garantes, et pour tous les autres objets étrangers au traité d'Amiens, il renouvelle la déclaration que le gouvernement Français est prêt à ouvrir une négociation à leur égard.

Si le gouvernement Anglais donne le signal de guerre il ne Jestera plus au gouvernement de la République qu'à se confier en la justice de sa cause et au Dieu des armées.

Le ministre des relations extérieures,

(Signé)

CH. M. TALLEYRAND.

Extrait des Régistres du Sénat Conservateur du 24 Floréal, An 11 de la République.

Le sénat conservateur, après avoir entendu les conseillers d'état Bigot, Préamenau, Dessolles et Fleurieu, orateurs du gouvernement,

Charge ses vice-président et secrétaires, auxquels sont adjoints les sénateurs Joseph Bonaparte, Laplace, Lespinasse, Jacque minot et Ræderer, membres de la commission nommée dans la présente séance, de porter au Premier Consul ses remercîmens pour la communication qui a été donnée au Sénat par son ordre. Il ne peut qu'applaudir à la modération et à la fermeté qui caractérisent les négociations ouvertes avec le gouvernement Britannique.

Il est impatient de donner à la France le signal de la reconnoissance, si la paix répond aux vœux du Premier Consul, et du dévouement si la dignité nationale lui demande la guerre.

Certifié conforme,

Le garde des archives et du scéau

CAUCHY.

Le Premier Consul a reçu à Saint-Cloud, Dimanche, 25, la députation du Sénat,

CORPS LÉGISLATIF.

Présidence de Lagrange,

Séance du 24 Floréal.

Les conseillers d'état, Thébaudeau, Saint-Cyr et Troguet, orateurs du Gouvernement, donnent communication de la note adressée, le 23 Floréal, par le ministre des relations extérieures à l'Ambassadeur de Sa Majesté Britannique.

(Voyez la note à l'article Sénat.)

Séance du 26 Floréal.

Sur la demande du Citoyen Fontanes, le Corps Législatif, s'étant formé en comité secret, le Citoyen Fontanes porte la pa

role en ces termes.

"Vous avez entendu, dans votre derniere séance, le message du gouvernement; l'opposition de sa conduite franche et loyale avec celle de l'Angleterre a frappé tous les yeux. J'ai vu se manifester votre opinion dans les nobles mouvemens qui vous agitaient; vous ne les avez retenu que pour imiter jusqu'au bout les sages égards et la circonception du gouvernement.

Mais que le Cabinet Britannique ne s'y trompe pas! qu'il se garde bien de voir de la faiblesse dans cette modération digne d'un grand peuple et de ses représentans! Il est assez fort pour être patient, ce peuple à qui on voudrait faire la loi; il est assez puissant pour être généreux, et dix ans de victoires lui ont acquis le droit de faire à la paix tous les sacrifices, hors celui de sa dignité. Les Anglais à cet égard doivent prendre toute espérance. Si, malgré cette résolution, inébranlable ils osaieut nous combattres, eh bien! Là France est prête à se couvrir encore de ces armes qui ont vaincu l'Europe. Ce n'est point la France qui déclarera la guerre, mais c'est elle qui l'ac ceptera sans crainte, et qui saura la soutenir avec énergie.

Malheur au ministre ambitieux qui voudrait nous rappeler sur le champ de bataille, et qui enviant à l'humanité un si court in

tervalle de repos, la replongerait dans les calamités dont elle est à peine sortie. Quand les fureurs de l'anarchie menaçaient le repos des états voisins, un prétexte au moins spécieux justifiait leurs

alarmes.

Aujourd'hui quel motif peut alléguer l'ennemi? La France a repris dans son administration intérieure ces mouvemens régu-liers et paisibles qui annoncent l'esprit d'ordre et de sagesse; elle porte dans ses relations au dehors cette mesure qui prouve la vé itable force, et qui double la considération. Les souvenirs amers s'éloignent de jour en jour; notre patrie est redevenue le centre de l'Europe civilisée. L'Angleterre ne dira plus qu'elle défend les principes conservateurs de la société menacée dans ses fondemens; c'est nous qui pourrons tenir ce langage, si la guerre se rallume; c'est nous qui vengerons alors les droits des peuples et la cause de l'humanité, en repoussant l'injuste attaque d'une nation qui négocie pour tromper, qui demande la paix pour recommencer la guerre, et qui ne signe des traités que pour les rompre.

Puisse l'Angleterre ne plus écouter les conseils imprévoyans qui l'égarent! Il ne sera plus tems de les abandonner, lorsque le cri de l'honneur national élevé de toutes parts dans cette enceinte, retentira jusqu'aux extrémités de la France. N'en doutons pas si le signal est une fois donné, la France se ralliera par un mouvement unanime autour du héros qu'elle admire. Tous les partis qu'il tient en silence autour de lui, ne disputeront plus que de zéle et de courage; tous sentent qu'ils ont besoin de son génie, et reconnaissent que seul il peut porter le poids et la grandeur de nos nouvelles destinées. Tous, au moment du péril, l'environneraient de leurs vœux et le seconderaient de leurs efforts; jamais la guerre en un mot n'aurait été plus nationale.

Les guerriers assis parmi nous répondeat, au nom de l'armée, des prodiges qui l'immortaliseraient encore. Les bannis, nouvellement rappelés dans leur patrie, seraient les premiers à la défendre.

Ils prouveraient qu'ils ne voulurent jamais attaquer la liberté publique, mais l'anarchie; qu'ils fuyaient leurs oppresseurs et non leurs concitoyens, en un mot tous les Français réunis autour des mêmes foyers, des mêmes autels, du même gouvernement com battraient pour la même cause.

J'en atteste les habitans de ces malheureuses contrées qui ont éprouvé si long tems les fléaux de la guerre civile, et qui n'ont que trop appris à connaître la politique d'Angleterre. Ils ont déjà manifesté l'esprit qui les auime. Cet esprit sera partout le mème. Représentans du peuple, c'est à vous qu'il appartient d'être aujourd'hui les interprétes et les garans de cette opinion universelle.

Je vote en conséquence pour que le corps-législatif envoye une nombreuse députation au Premier Consul. Cette députation sera chargée de lui porter l'expression du dévouement national et de l'assurer que si la négociation est rompue, le peuple Français, se

confiant de plus en plus en son chef, lui donnera tous les moyens de force, de crédit et d'union qui peuvent rendre la guerre courte, décisive et glorieuse."

Le corps-législatif adopte cette proposition.

Le 26, à midi, la députation votée par le corps-législatif et composée de 24 membres, s'est rendue à Saint-Cloud et a été admise à l'audience du premier consul.

Le citoyen Fontanes, orateur de la députation a prononcé le discours suivant.

Citoyen Premier Consul,

Le peuple Français ne peut qu'avoir de grandes pensées et des sentimens héroïques commes les vôtres. Il a vaincu pour avoir la paix; il la désire comme vous; mais comme vous il ne craindra jamais la guerre.

Le message que vous avez adressé au corps législatif doit redoubler la reconnaissance et le dévouement de la nation. Le gouvernement Français y donne à ses ennemis des exemples de sagesse et de modération, comme il leur en a donné plus d'une fois d'énergie et du courage.

Combien cette dignité simple et cette franchise généreuse sont opposées à la marche ambigue, aux incertitudes, à tout le melange d'audace et de faiblesse qui ont caractérisé, dans cette circonstance, le gouvernement Britannique! Menaçant et craintif à la fois il reprend ce qu'il a donné, il rend ce qu'il vient de reprendre, et ne sait jamais ni s'avaucer ni s'arrêter quand il le faut.

Tel doit être un ministere qui se disputent des partis divers. Lorsqu'un Etat est en proie aux factions du-dedans, sa politique est toujours incertaine au-dehors: tout est alors contradictoire dans les conseils, tout est désordonnné dans les mouvemens; on ne sait ni régler sa force, ni cacher sa faiblesse. Montesquieu á dit de l'Angleterre.

"Cette nation échauffée par l'esprit de parti, pourrait plus aisément être conduite par les passions que par la raison.-II serait facile à ceux qui la gouverneraient de lui faire faire des entreprises contre ses véritables intérêts."

Ce danger que l'auteur de l'Esprit des Lois redoute pour l'Angleterre, ne menace plus les Français, depuis que le monstre de l'anarchie est terrassé par celui qui les gouverne. Ils savent que nul esprit de faction ne maîtrise ses conseils, ils le regardent et prêts à prendre les armes si l'honneur l'exige, prêts à les déposer si l'honneur le permet, ils sont tranquilles et se confient également au vainqueur et au pacificateur de l'Europe.

Puisse la tranquilité du monde n'être pas troublée.

Puissent toutes les nations ne disputer désormais que la gloire des arts et les conquêtes de l'industrie.

Mais si le repos du Continent afflige l'ambition insulaire, si pour le troubler encore, elle nous prodigue l'insulte, certes les

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