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discrétion des ministres Anglais. Affirmation d'un côté, et déné gation de l'autre; en sorte qu'il n'y a de compromis que l'ambas sadeur. Sans doute le ministere Anglais a eu la louable intention de compromettre le gouvernement Français avec la Porte Ottomane; mais il aurait pu remplir son but plus sûrement, et en même-temps, selon sa coutume, avec plus de perfidie, en communiquant secretement au ministere Ottoman les prétendues confidences du Premier Consul; il aurait fait son métier, sauf au Turcs à apprécier à leur juste valeur, les insinuations Anglaise ; mais instruire le Grand Seigneur et toute l'Europe, par la voie de l'impression, est une marche tout-à-fait nouvelle; elle est conséquente à la conduite des ministres Britanniques depuis la conclusion du traité d'Amiens, et probablement elle aura une grande influence sur les communications que se feront dorénavant les cabinets de l'Europe.

Les remarques attribués au Premier Consul ont été étayées du rapport du Colonel Sebastiani; il faut croire que si la journée de cet officier eut en pour objet secret de préparer les Egyptiens à une invasion de la part de la France, le Gouvernement Français n'aurait point publié son rapport; car on ne prend point l'univers pour confident d'un secret de cette importance. Quoiqu'il en soit, il suffit de lire le rapport en question pour connaître le véri table but du voyage du Colonel Sébastiani: il s'agissait de rétablir nos relations commerciales dans le Levant; mais il fallait auparavant se rassurer sur la disposition des esprits dans des contrées aussi indépendantes de la Porte que le sont l'Egypte et la Syrie, et où les Anglais avait affecté de rendre les Français odieux, dans la vue d'y détruire leur commerce. Voilà ce que tout le monde y voit et qu'on peut y voir. Mais l'Angleterre vouJait Malte, ou plutôt la guerre, et tout prétexte lui était bon pout la colorer et la rendre populaire. Si un pareil exemple divient le droit public de l'Europe; s'il est adopté dans le code des nations, le sort des peuples et des empires dépendra des caprices du plus fort: toutes ses entreprises seront justes si le succès les couronne, c'est-à-dire que le Monde sera replongé dans le chaos.

Mais enfin entrons dans le sens du ministere Anglais; supposons au Gouvernement Français des vues positives sur l'Egypte. Quelle conduite autorisaient de sa part et le droit des gens, et la saine politique?-Deux choses étaient à examiner: la premiere si le gouvernement Français n'en était encore qu'à la pensée, au simple désir, ou bien s'il avait déjà fait des dispositions indiquant clairement ses intentions, son projet par des faits. Dans le premier cas, il fallait déjouer la France par des négociatious, et des alliances; il fallait donner l'éveil à Constantinople et à toutes les cours de l'Europe; dans le second cas, le cabinet de SaintJames était évidemment autorisé à se montrer à découvert, à. mettre dans toute leur évidence les vues et les procédés de la France, à exposer à toute l'Europe le danger que court sa liberté; à déclarer enfin que sa sûreté, comme celle de l'Empire Ottoman et de toutes les nations, exigeait des précautions pour leur salut

commun, et que ce salut consistait dans la conservation de Malte Cette marche aurait été réguliere; elle aurait été pleinement justifiée; et la guerre, si elle eût été le résultat, de sa conduite, n'aurait point pu lui être imputée: elle aurait été exclusivement l'ouvrage de la France.-Mais alléguer une simple intention; ne prendre conseil que d'une crainte chimérique ou au moins exagéré; présenter la possibilité comme une réalité, une conversation comme un fait, le rapport d'un voyageur comme une acte hostile, non seulement pour retenir Malte, mais pour déclarer brusquement la guerre, c'est une marche inconnue jusqu'à présent dans les annales de la politique.-Si même nous donnons à la politique toute la latitude dont elle est susceptible, si nous la calquons sur celle de Machiavel, elle ne saurait absoudre le ministere Britannique. Il pouvait avoir, si l'on veut, des prétextes plausibles pour prolonger la possession de Malte car la mauvaise foi est toujours fertiles en ressources: mais déclarer la guerre en manifestant l'intention positive, péremptoire de s'approprier cet ile, c'est violer ouvertement et les loix des nations, et les premieres notions de la morale politique, même la plus relâchée. Et c'est cependant par l'effet d'un pareil écart que les deux nations sont de nouveau plongées dans les horreurs de la guerre.

Je ne puis passer sous silence un grief que la cour de Londres a exposé avec emphase, et qui est véritablement digne de remarque. Elle reproche au Gouvernement Français les mesures qu'il prend pour la prospérité de l'industrie nationale, et les prohibitions qui frappent sur l'introduction des marchandises Anglaises. Sans doute il convient aux Anglais de répandre dans tous les marchés de l'Europe le produit de leur industrie; mais chaque nation est maîtresse chez elle; c'est à elle seule de juger si il lui convient ou non d'admettre la concurrence des marchandises de l'étranger. Cette vérité a pour base l'indépendance des nations. Les traités seuls peuvent modifier ce principe: or, il n'existe aucun traité de commerce entre la France et l'Angleterre; par conséquent les deux pays ont la liberté la plus absolue d'adopter, à l'égard du commerce étranger, tel régime qu'ils jugent le plus convenable à leur intérêt. Si la France adopte le régime prohibitif, l'Angleterre est en droit de l'adopter de son côté à titre de rétorsion: voilà tout ce qu'elle peut faire. Tout ce qu'elle se permet audelà ne saurait être justifié; et faire de cet objet un grief de nature à légitimer la guerre, est une monstruosité en moral, comme en politique; c'est traiter la France en petite colonie c'est lui dire de sacrifier la prospérité nationale à la prospérité de sa rivale, de son ennemi naturel, et d'un ennemi irréconciliable. Sans donte l'Angleterre a un grand intérêt à la prospérité de son Commerce, parce que le commerce soutient son industrie, et que son industrie est la base de son existence. Mais, est-ce à la France à la seconder? Est-ce à la France à promouvoir une prospérité qui vaudrait absorber l'univers entier ?

Passons enfin au résultat ;

L'Angleterre prétend qu'il lui faut une guarantie nouvelle pour

sa sûreté. Cette garantie, elle la fait consister dans la possession de l'île de Malte, et elle a provoqué la guerre pour consolider cette possession,

Pour que l'Angleterre soit autorisée à reclamer une guarantie nouvelle, il faut qu'il soit survenu, relativement à cette puissance, un nouvel ordre de choses depuis la signature du traité de paix d'Amiens. Or, il est démontré, par les observations faites plus haut, que les choses sont aujourd'hui dans le même état où elles étaient à l'époque du traité; par conséquent, la cour de Londres n'a ni motif, ni prétexte pour demander une nonvelle garantie pour sa sûreté. Elle a jugé suffisante celle que lui donnait le traité de paix; elle doit donc encore la regarder comme telle aujourd'hui. Prétendre le contraire, est une violation révoitante de la foi publique; c'est manifester sans déguisement une ambition qui ne connait point de bornes; c'est se jouer des principes et des traités; c'est, en un mot, abandonner au hasard la tranquilité publique et l'ordre social.

Terminons ces observations, en révelant le secret de la poli tique Anglaise.

Ce n'est point le sort du Continent Européen qui occupe, qui inquiete le Cabinet de Saint James; il feint de s'y intéresser, sans avoir été provoqué, pour masquer ses vues personnelles; et ses vues sont évidentes. Non content de dominer dans la Manche, il veut aussi dominer dans la Méditerranée; et il ne voit que Malte pour remplir ce but. Et en effet, ce poste lui procurait un établissement militaire inexpugnable qui placerait sous son influence immédiate les régences barbaresques, l'Egypte, la Syrie, et tout l'Archipel, le mettrait à même d'en imposer à l'Italie; lui offirait de plus pour son commerce un entrepôt qui le rendrait maitre de tous les marchés du Levant, et le mettrait en mesure d'en expuiser l'industrie Française. Enfin il éloignerait par-là les Français de l'Egypte, et rendrait impossible toute en treprise par cette voie sur les Indes Orientales.

Mais pour parvenir à son objet, c'est-à-dire, pour rompre un traité solennel avec quelqu'espoir de succès, il a jugé devoir saisir le moment où la France, employant au-dehors ses forces maritimes, était hors d'état de s'opposer à ses entreprises en Europe, et se håter de consommer son ouvrage avant qu'elle ait eu le tems de restaurer sa marine et de maintenir la liberté des mers.

Voilà les motifs qui ont engagé le ministere Anglais à rallumer le flambeau de la guerre; ainsi c'est essentiellement pour les ma nufacturiers Anglais que le sang humain va couler encore.

Après cela, que les Anglais viennent encore nous parler de leur justice, de leur magnanimité, de leur philanthropie; qu'ils viennent encore nous précher une croisade contre l'avidité, l'ambition, l'accroissement de puissance, du Gouvernement Français ! Sans contredit, la nation Française ressuscité, est grande, puissante; elle est en etat de se défendre contre toute attaque étrangere, et d'influer efficacement sur le maintien de la tranquilité générale. Mais elle n'est point la seule qui ait changé les anciens

rapports, dérangé l'ancien équilibre; sans parler des usurpations Colossales faites dans l'Inde par l'Angleterre, ne compte-t-on pour rien le partage de la Pologne ? et est-il un homme tant soit perversé dans la politique, qui ne soit convaincu que cette révolution a sensiblement influé sur la puissance re'ative de la France, et qu'en adoptant, selon la méthode habituelle du Cabinet de SaintJames, le système d'équilibre pour régle unique de sa conduite, elle aurait pu faire de son côté des acquisitions équivalentes ? Mais ce n'est point a titre de convenance que la République Française a étendu ses limites. Elle a fait, il faut en convenir, oui, elle a fait d'importantes conquêtes, mais dans quelles cirConstances, à quel prix, sur quels ennemis les a-t-elle faites? Elles ont été la suite d'une guerre légitime, necessaire. elle y était autorisée, elle a profité de ses succès pour s'indemuiser des frais de cette même guerre, provoquée par la coalition de la plupart de puissances de l'Europe conjurées pour partager ses dépouilles.

mot, tout ce

Comme

Elle peut donc les avouer ces conquêtes; elles ne sont point le fruit de la violence, de l'usurpation, de la perfidic: la France ne les a point conservées contre la foi de ses engagemens. En un qu'elle a requis est avoué par les principes les plus positifs du droit des gens, et lui a été assuré par des traités solennels conclus avec les parties intéressées, pour qui la paix était un bienfait et le ministere Anglais les connaissait avant de conclure sa paix particuliere. C'est-à-cette derniere époque que son zèle pour l'intérêt commun aurait dù lui faire élever la voix, qu'il aurait dû s'établir le champion du Continent; mais il s'en est bien gardés; il avait alors un besoin instant de la paix, et il ne voulait point l'entraver pour une cause étrangere qu'il avait abandonnée, et qui était jugée en dernier ressort. sans doute dès-lors que le Gouvernement Français, se reposant il prévoyait, sur un traité solennel, employerait sans défiance sa marine pour Soumettre Saint-Domingue: c'est là où il l'attendait pour enfin mettre ses vues à découvert, et pour donner à l'Europe et à la postérité un nouvel exemple de sa loyauté, de son amour pour la pais, et de son respect habituel pour ses engagemens.

(Moniteur, No. 291.)

Si on veut voir une grande nation tourmentée du spleen, courant aveuglément à sa perte, au milieu d'une agitation qui ressemble au courage, comme les convulsions galvaniques ressemblent à la vie, il faut lire les papiers Anglais, et surtout les débats du Parlement Britannique. Quiconque a connaissance de l'Angleterre, sait que dans ce pays marchand, tout est réglé, casé, et en quelque sorte enrégimentés comme le serait un atelier. Ce pas la terre seule qui appelle les bras; ce sont tous les objets de manufacture; ce sont ensuite tous les moyens d'apport et Une activité incessante a tout organisé, soit pour

n'est

de

transport.

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apporter le plus sûrement et le plus commodément possible les matieres premieres du Continent, soit pour les lui rapporter ensuite, quand elles ont été préparées et façonnées dans le pays. Il y a beaucoup de loisir en France; il n'y en a point en Angleterre.

Cette ordre une fois établi; il a toujours été commode au peuple Anglais de faire combattre son argent, et non pas ses hommes. On sait ce qui s'y est pratiqué jusqu'à présent. Au premier coup de canon, plusieurs régimens de guinées partaient, et allaient faire leur service ou clandestinement auprès des passions, ou ostensiblement auprès des armées. De cette maniere, l'Angleterre domait, il est vrai, le fruit, mais elle conservait l'arbre, En ce moment, il faut qu'elle donne l'arbre et le fruit; il faut qu'elle mette sous les armes sa propre population; il faut qu'elle bouleverse tous ses ateliers de reproduction et de fécondité; il faut qu'elle demande aux mêmes hommes leur industrie et leur vie. Voilà, n'en doutons pas, le secret de tous les débats et de tous les embarras : ils roulent sur un dilemme dont les Anglais ne parviendront pas à sortir. Adopte-t-on le plan du secrétaire de la guerre? On aura trois corps d'armée, qui, par leur composition, se désorganiseront réciproquement. M. Windham, sur ce point, a toute raison; la milice dissoudra l'armée de réserve; l'une et l'autre, l'armée de ligne. Veut-on adopter, au contraire, le plan de M. Windham? On aura une belle levée en masse, qui désorganisera la nation entiere.

Dans une situation aussi singuliere, nous ne pouvons qu'admirer la confiance du chancélier de l'échiquer. Les taxes ont pu répandre à leur combinaison, dans la derniere guerre; la nature des cir constances était telle, que les Anglais avaient accaparé le commerce du monde entier. Si, par hasard, la guerre actuelle venait à ne pas offrir les mêmes avantages, le produit de ces prétendues taxes pourrait se trouver très-aventuré. L'attitude à laquelle se décide beaucoup de puissances maritimes (1), et la soustraction subite de toute la côte du Nord, pourraient déranger à cet égard beaucoup de calculs. Les circonstances nous paraissent en tout point differentes.

D'abord, à cet époque la guerre avait pris en Europe on ne sait quel manteau au moins hypocrite de guerre sociale, qui donnait à toutes les neutralités une attitude timide; le Dannemarck, la Suede, la Prusse, et les puissances d'un ordre inferieur, avaient beau être insultées, vexées et pilliées sur les mers, à peine avaientelles proferer quelques plaintes. Elles s'estimaient trop heureuses de se sauver, au prix de quelques bâtimens, des hasards d'une guerre où elles ne voyaient aucun avantage. Si une semblable situation devait se renouveler, rien ne serait plus profitable pour l'Angleterre elle commencerait, comme elle l'a fait déjà, à s'emparer des bâtimens marchands des autres puissances; elle s'emparerait bientôt de tout leur commerce. On peut d'avance indiquer sa marche.

Nous ne voulons point être injustes envers nos ennemis: nous

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