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à-la-fois aux portes de Rome et à celles de Vienne, un héros dicte des lois qu'il saura faire respecter; à peine l'Europe est-elle pacifiée, que l'élan des Français demandait une nouvelle carriere; Bonaparte jette ses regards vers l'Orient, il entreprend de porter la lumiere des sciences où jadis tant de princes croisés ne purent répandre la civilisation évangélique: bientôt, étendant ses conquêtes des plaines du Nil aux rives du Jourdain, il efface la mémoire de la défaite de nos ancêtres, et imprime dans Memphis comme dans Jérusalem, le respect de la grande nation. Comment tant de succès étaient-ils obtenus? Sans doute par l'assistance du Dieu des armées; parce qu'un général doué de tous les talens, flattait le sentiment le plus cher à sa patrie. Dans le combat, il avait observé autour de lui le sang-froid, l'audace, le dévouement; sur le champ de bataille, il se dépouillait, en faveur des plus braves, de l'épée qui les avait conduits à la victoire; et, avec une semblable récompense, distribuait l'enthousiasme à ses compagnons d'armes.

Assis au timon de l'état, le premier Consul pouvait-il mécon naître ou ne pas propager le principe de sa gloire? Il s'est plutôt empressé de faire brûler dans toute la France le feu d'honneur qu'il avait allumé dans ses camps; et encore son entreprise eût été imparfaite, s'il ne l'eût marquée du sceau de grandeur et de durée qui n'appartient qu'à lui; ainsi son institution généreuse a du s'étendre, non-seulement aux armées de la république, mais même à toutes les classes de la société; elle a dû recevoir la sanction légale; et votre avantage, citoyens légionnaires, est de concourir les premiers, à l'exécution d'une loi, dont le texte est profondément écrit dans le cœur de tous les Français.

Oui, l'honneur fut toujours notre passion dominante! il signale chaque époque de notre histoire. On se rappelle l'âge où Phi lippe, prêt à combattre, montrait sa couronne à des vassaux jaloux, et la proposait à quiconque la mériterait mieux que lui dans la bataille de Bouvines. Alors la chevalerie produisait des vertus héroïques! et si le tems a frappé d'un pied dédaigneux un édi fice d'orgueil, il n'a point enseveli sous ses ruines le sentiment moteur de toutes les belles actions. Au contraire, l'honneur, dégagé des entraves du préjugé, a fait pour la liberté, tout ce que la liberté avait fait pour lui. Delà cette bataille que le nouvel âge oppose à ce que les siecles ont le plus célébré, qui, dispersant des ennemis fiers de leur nombre et de leurs succès, a fait tomber douze villes fortes dans nos mains, rétabli un état allié, et terminé la guerre du continent; cette bataille si chere à la république, puisqu'elle lui donne à jamais pour chef celui en qui elle avait mis ses espérances et son affection: delà ces prodiges, tel que le Rhin et le Danube, ces fleuves aguerris, ne se rappellaient pas en avoir vu de semblables, si multipliées des Pyrenées à la Mer du Nord, que les faits connus sont la preuve d'un plus grand nombre de faits ignorés.

Cependant l'honneur qui caractérise la nation, ne produirait

pas sans culture des fruits toujours aussi beaux; son germe est inné, mais il se développe par les soins du législateur. Je ne prétends pas analyser l'essence de la passion la plus pure, creuser philosophiquement le cœur humain, pour vous démontrer ce que vous sentez; mais que la noblesse de vos sentimens me permette une réflexion.

Faire le bien pour l'estime de soi-même, est la suprême vertu; chercher l'estime des autres, serait faiblesse, si la vertu même n'y trouvait son soutien. Que la patrie dise au soldat: "Verse ton sang pour moi; personne, pas même ton enuemi, ne sera témoin de ton dévouement; tu périras inconnu, mais tu auras fait ton devoir." Obéir à cet ordre serait l'effet d'une résignation sublime; mais qu'elle dise plutôt: "Affronte la mort, tes camarades te voient, ton général compte sur toi; tu vivras dans les fastes militaires." L'acte n'en sera pas moins utile à la patrie, en même tems qu'il satisfera la victime.

Ainsi, lorsque Desaix, atteint d'un coup mortel, n'exprime qu'une crainte, celle de n'avoir pas assez fait pour la postérité, il dévoile le secret des grandes âmes. Voudrait-il beaucoup d'ans pour mourir enfin tout entier, ou abrégera-t-il des jours suivis d'une longue mémoire? L'honneur parle, et son choix est celui que fit le héros d'Homere.

Elle n'est donc pas vaine cette publicité qui précompte un prix tardıf, et fait retentir dans l'âme les applaudissemens que l'oreille' n'entendra pas. Elle est donc sage la précaution du législateur, qui emprunte de l'opinion la valeur rémunératoire du mérite.

Sans doute, citoyens légionnaires, aucun de vous, en se préci pitant au milieu des dangers, n'a fait un froid calcul; il a cédé au plus noble instinct sans composer avec l'avenir: mais si votre général appréciateur des services, n'avait pris soin de vos propres intérêts; s'il n'avait prétendu que l'enthousiasme du moment se perpétuât autant pour votre récompense que pour l'encouragement des autres, votre action remarquée sur le champ de bataille, se serait confondue dans la gloire publique.

Cependant un chef vainqueur a généreusement détaché de son front un rayon de gloire pour en décorer son compagnon d'armes; il a pensé que, de retour dans vos foyers, chacun de vous, montré au doigt, s'entendrait dire: "Voilà un de vos illustres défenseurs de la liberté, un des soutiens de l'empire!" Il a espéré que dans votre vieillesse, assis au milieu de vos enfans, vous lear reconteriez comment ils pourraient en mériter un semblable. I a prévu qu'un témoignage d'estime, perpétuant votre mémoire, de viendrait pour vos descendans une obligation, et jamais une dispense de vous imiter.

Tel est l'esprit d'une institution qui n'a rien de commun avec ces ordres imaginés pour satisfaire la vanité, et donner de la considération à l'insuffisance; alors on voyait un simbole de l'honneur être celui d'une exclusion politique; puisque la décoration accordée à l'industrie, et le plus souvent celle décernée à la bra

youre, attestaient l'impuissance d'obtenir la faveur la plus insigne ; cette contradiction ne peut plus faire injure au mérite; l'honneur Français demandait à être payé d'honneur, et il est satisfait. Une distinction commune à toute espece de service, est offerte comme, un salaire inappréciable, et c'est en recevant une marque distinctive que l'on jure de s'opposer à toute préférence qui ne serait pas fondée sur l'égalité des droits.

Français de toutes les conditions, efforcez-vous de bien faire aux yeux de vos concitoyens, et vous êtes sûrs de vivre honorés; que les occasions se présentent; tels que Scipion et Bayard, nos guerriers moutreront dans l'ivresse de la victoire leur respect pour la chaste pudeur; nouveaux Jeau Barts, nos marins se battront comme tout à l'heure dans la baie d'Algésiras; plus d'un Simonneau rejettera les demandes d'une tourbe séditieuse, et, inébranlable dans le tumulte, préferera les dangers du devoir aux attraits de la popularité; d'autres Belsunce, dans les ravages d'une épidémie, porteront aux malades abandonnés du médecin, les secours du cœur qui donnent la patience, rendent l'espoir, et souvent guérissent le corps; et tous, pour récompense, n'ambitionueront que le signe de l'approbation publique.

Dans une guerre à jamais mémorable, les occasions d'exposer. sa vie pour l'état ont assuré à ses défenseurs de justes avances sur tout le reste des Français. Les héros de quelques campagnes sont aussi nombreux que ceux de plusieurs siecles. Que de généraux niorts au champ d'honneur! Les noms de Dugommier, de Dampierre, de Joubert, de Marceau, se pressent et étouffent dans ma bouche d'autres noms aussi célebres. Mais ils ont été tués en combattant, tandis que Beaurepair, assiégé dans Verdun, a été réduit à se donner la mort plutôt que de rendre la ville qui lui était

confiée.

Faut-il donc interroger des monumens révérés, mais insensibles, et lire nos regrets sur les colonnes triomphales, quand devant nous respire l'héroisme heureux de ce qu'il a fait et jaloux de faire encore. O que de vertus admirables! que d'actions éclatantes! Comme ce dragon est désintéressé! Seul, il a fait prisonnier deux officiers, et sur l'offre d'une rançon: "Je combats pour la république, dit-il, et non pour de l'argent.". Est-on plus fidele que ce serjent-major? Il porte le drapeau déchiré de son bataillon, lui-même est couvert de blessures; mais il ne cédera point la gloire de sauver son précieux fardeau. Tairai-je la présence d'esprit du maréchal-des-logis chasseur, qui, à la tête d'une patrouille, rencontre un bataillon, arrête le chef, et ordonne à la troupe de mettre bas les armes et l'audace de l'artilleur qui entre dans une batterie par son embrasure pour enclouer trois pieces de canon et l'intrépidité du grenadier qui arrache les enseigues des remparts de Jaffa; ne saluerai-je pas le général allié au sang le plus auguste, et dont la cicatrice au visage rappelle la fermeté d'âme, alors que s'élançant dans les retranchemens d'Aboukir, il reçut une balle à travers la joue, et malgré la douleur la plus

vive, ordonna une nouvelle charge qui triompha de tous les obs tacles!

Avec quelle complaisance ne ferais-je point l'énumération pompeuse de tant d'exploits dont nos annales se sont emparées; mais ne faudra-t-il pas les admirer et les recueillir encore, quand nos esquifs, chargés de la vengeance nationale et poussés sur une rive prochaine par le Dieu protecteur de la bonne foi, auront déposé les Français là où seront vainement réclamés des traités qu'on ne garde pas ? Qu'il vous suffise donc, pour réveiller les souvenirs et faire nattre les espérances, d'appeler les braves légionnaires; leurs noms seulement prononcés retraceut toutes especes de talens et de services; et entre freres d'honneur, en louer un, c'est les louer tous.

Je ne retarderai plus, citoyens, votre empressement à contrac ter, dans les mains de la justice, une alliance rassurante pour la république, autant que formidable pour ses ennemis. Qu'elles sont douces vos obligations! Vous allez jurer de consacrer votre vie à la défense du gouvernement, c'est-à-dire, de couvrir de vos corps le grand homme qui, le laurirer à la main, vous fraye le chemin de l'honneur; songez que vous répondez de Bonaparte à la patrie, vous qu'elle charge de la défendre; plus heureux que le magistrat qui ne peut que jurer de l'aimer toujours!

Après ce discours, le président à prononcé la formule du serment, ainsi conçue:

“JEJURE SUR MON HONNEUR DE MEDEVOU ER AU SERVICE DE LA REPUBLIQUE, A LA CONSERVATION DE SON TERRI TOIRE DANS TOUTE SON INTEGRALITE, A LA DEFENSE DE SON GOUVERNEMENT, DE SES LOIS ET DES PROPRIETES QU'ELLES ONT CONSACREES; DE COMBATtre, par tous LES MOYENS QUE LA JUSTICE, LA RAISON, ET LES LOIS AUTORISENT, TOUTE ENTERPRISE TENDANTE A RETABLIR LE REGIME FEODAL, A REPRODUIRE LES TITRES ET QUALI. TES QUI EN ETAIENT L'ATTRIBUT; ENFIN DE CONCOURIR DE TOUT MON POUVOIR AU MAIntien de LA LIBERTE ET DE L'EGALITE."

Chaque légionnaire, appelé par ses noms et grade à successivement levé la main et prononcé ces mots: "Je le jure.'

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Du tout a été dressé procès-verbal, pour être transmis au chan celier du grand conseil de la légion d'honneur.

Les militaires admis au serment étaient environ 300 de toutes armes.

(Moniteur, No. 19.-12 Octobre 1803.)

ACTES DU GOUVERNEMENT

Saint Cloud, le 29 Fructidor An 11.

Le gouvernement de la République, vu la loi du 6 Floréal, an 11, sur le rapport du ministre de la guerre, arrête :

PREMIERE PARTIE,

Du Recrutement de l'Armée.

TITRE PREMIER.-Dispositions préliminaires.

Art. Ier. Dans les huit jours de la réception du présent arrêté, les préfets feront connaître aux sous-préfets le nombre de conscrits de l'an 11, et de ceux de l'an 12, que leurs arrrondissemens respectifs ou sous-préfectures devront fournir, tant pour entrer de suite dans l'armée, que pour rester en réserve, en spécifiant pour chaque classe le nombre nécessaire au contingent, et le nombre supplémentaire prescrit par les articles XXI et XXVI du présent arrété.

Ils fixeront l'époque à faquelle les opérations devront commencer dans chaque arrondissement, et celles où elles devront être terminées.

Dans le cas où les conseils-généraux n'auront point fait la répartition du contingent entre les arrondissemens, les préfets y suppléeront.

Les préfets auront la faculté pour les grandes communes, de ne point faire réunir, le même jour, les conscrits de l'an 11, et ceux de l'an 12.

II. Les désignations continueront à s'opérer par municipalités ; cependant, les préfets devront, toutes les fois qu'ils le croiront utile à la sûreté et à la célérité des opérations, réunir deux ou plusieurs municipalités, à l'effet de fournir un contingent commun.

Dans aucun cas le contingent commun ne pourra dépasser les contingens partiels.

Les réunions ne comprendront, à moins de motifs extraordinaires, dont les préfets rendront compte au ministre de la guerre, que les municipalités ou des municipalités du même canton.

Lorsque les préfets auront jugé convenable de réunir plusieurs municipalités, à l'effet de fournir un contingent commun, ils indiqueront le lieu où le travail de la désignation devra être fait, et ils formeront une commission à laquelle ils délégueront le droit de faire toutes les opérations relatives au recrutement, qui ont été confiés aux conseils municipaux. Les membres de cette commission seront pris parmi les individues composant les conseils municipaux des différentes communes réunis: Il y aura toujours dans la commission au moins le maire, ou un adjoint de chaque com mune. Cette commission, hors le cas de la réunion de plus de sept communes, ne sera composée que de sept membres. L'absence de quelques-uns des membres du conseil ou de la commission, ne pourra ni suspendre, ni invalider ses opérations.

III. Les sous-prefets feront connaître à chaque municipalité, ou réunion de municipalités, dans les huit jours de la réception des ordres du préfet, io. le contingent de chaque classe qu'elle doit fournir pour l'armée active et pour la réserve, spécifiant le nombre nécessaire au contingent, et le nombre supplémentaire pres

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