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finit par ces mots: "Ne pensons aujourd'hui qu'à la démolition de Dunkerque; et à son port, qui n'est pas comblé."

Ces déclamations contenues dans des feuilles périodiques se répandaient en Angleterre, et corrompaient l'opinion.

La plume des réfugiés les rendait en Français, et les presses Bataves les multipliaient dans l'Europe. Voltaire a dit que les feuilles volantes sont la peste de la litérature; elles ne sont pas quelques fois moins dangereuses en politique. Les diatribes de Steele furent vivement secondées par une révolution qui eut lieu dans le Ministere Anglais.

Malgré les nombreux avantages que le traité d'Utrecht avait procuré à l'Angleterre, ceux qui l'avait conclu furent disgraciés. Bolingbroke fut très-heureux de se sauver en France. Les papiers relatifs à la négociation de la paix, formant 14 volumes in folio, furent livrés à l'examen d'un comité secret de la Chambre basse. Le rapport de ce comité fût fait le 9 Juin 1715, par Robert Walpale. C'est un ouvrage de parti, fait avec fiel, et sans talent. Walpole dit dans ce rapport: "La démolition de Dunkerque avoit "toujours été un point si populaire, qu'il eut été difficile de frap"per plus fortement l'imagination du peuple, qu'en le flattant que "cette importante forteresse serait remise entre les mains de la "Reine. Les ministres crurent que cette demande, faite à propos, "ferait avaler le poison de la paix," (premiere partie, page 81.)

Le poison de la paix est une expression qui donne tout d'un coup la clef de l'esprit dans lequel ce rapport, ou plutôt ce plaidoyer est rédigé. Walpole ajoute ensuite:

"Mais pour peu qu'on examine, on trouvera la démolition "de Dunkerque supplée par un nouveau Canal, plus avantageux "à la France, et plus formidable à la Grande Bretagne que ne "le fut jamais Dunkerque." (Ibid, Page 82.)

En conséquence, M. Prior, ministre d'Angleterre à Paris, fut chargé de remettre un mémoire contre cette construction si formidable à l'Angleterre, si avantageuse à la France, que par ces deux raisons elle ne pouvait subsister,

La réponse du Roi est du 2 Novembre 1714. C'est un des derniers actes des son gouvernement. Cette réponse est sage et ferme. Voici comme le Roi s'explique, au sujet du canal, dont M. Prior se plaignait avec tant d'amertume.

"On a déjà repondu plusieurs fois aux plaintes qu'on reçoit depuis quelque tems sur l'ouvrage qu'on a été forcé de faire "pour empêcher la submersion d'une grande étendue de pays, que la destruction des écluses de Dunkerque aurait fait périr. "S. M. veut bien cependant répéter encore les éclaircissemeus qu'elle a donnés sur ce sujet.

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"Les eaux des canaux de Furnes, de la Moire, de Bergues et de Bourbourg, s'écoulaient par les écluses de Dunkerque; cet "écoulement était nécessaire pour préserver d'une inondation « inévitable les Chatellenies de Bourboug, de Bergue, et même " une partie de celles de Furnes; mais le Roi ayant permis la

"destruction totale des écluses de Dunkerque, donna les ordres "pour exécuter le traité, et cependant fit connaître à la reine "de la Grande Bretagne les inconvéniens que produirait cette "exécution rigide, lui demandant en même tems de consentir à "laisser subsister une des écluses de Dunkerque, uniquement "pour l'écoulement des eaux du pays.

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"Mais à son refus, il fallut nécessairement ouvrir ce canal, pour recevoir les eaux des quatre autres canaux.

"Ces quatre anciens canaux sont navigables, et ont ensemble "48 toises de largeur, et par conséquent le nouveau canal devait "nécessairement avoir une largeur suffisante pour recevoir toutes ces eaux et les conduire à la mer.

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"L'écluse doit aussi nécessairement être proportionnée à la "largeur du caual, à la quantité des eaux qu'il doit contenir; "car il s'agit d'empêcher les marées d'entrer dans le pays, "et de retenir les eaux des quatre anciens canaux à marées "hautes.

"La saison pressait la fin de cet ouvrage, et si le travail n'eut "été fait avec beaucoup de diligence, tout était à craindre du "désordre que les plaies de l'automne pouvaient causer.

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"Ce sont les motifs qui ont obligé le Roi à faire ouvrir le nouveau canal de Mardick, et à presser l'exécution de l'ouvrage. "S. M. n'a nulle vue, ni nulle intention de faire un nouveau "port à Mardick, d'y bâtir une place. Elle a déjà déclaré, et "elle répete, encore qu'elle ne veut que sauver un pays qui "serait submergé, si les eaux n'avaient pas un écoulement vers "la mer."

Voilà, certes, une réponse raisonnable et bien modérée. Il était difficile d'y répliquer avec justice. Mais peu de tems après, la mort frappa Louis XIV, et l'état dans lequel la France se trouva alors, était bien propre à rendre nos ennemis plus exigeans.

En effet, "un peuple épuisé par des guerres continuelles depuis 1666, à quelques petits intervales près; des campagnes presque désertées; un commerce anéanti; la confiance perdue entre les hommes; un nombre infini de familles réduites à une pauvreté extrême, avec des titres de propriétés immenses." Tel est le tableau affligeant que présente la France à la mort de Louis XIV. (Forbonnais, Recherches et Considérations sur les Finances, tome 5, page 191.)

La détresse avait été telle, que l'année même de sa mort, trois ans après la paix, Louis avait été obligé de négocier trente-deux millions d'effets pour en avoir huit en especes. Il mourut, après avoir dit: J'ai trop aimé la guerre, en laissant à son successeur la leçon contenue dans cet aveu tardif, et des dettes immenses.

Les revers de la fin du regne de Louis XIV sont vraiment effrayans; mais quels qu'ils soient, suffisent-ils pour excuser la clause par laquelle Phillipe, Duc d'Orléans, Régent de France, convint que les travaux du canal de Mardick seraient détruites de fond en comble, les bajoyers désassemblés, et qu'un commissaire Anglais résiderait à Dunkerque, pour veiller à ce que ces ouvrages

ne fussent jamais rétablis. (On peut voir l'analyse de ce traité honteux, dans le premier volume de l'ouvrage instructif du citoyen Chantereau, intitulé, La Science de l'Histoire, qui donne en peu de mots la substance des actes les plus essentiels, et qui, d'ailleurs, renvoie aux sources où l'on peut voir les textes mêmes.) Celui dont il s'agit ici est ce que l'on appelle le traité de la Haye, en 1717, ou la triple alliance, conclue entre la France, l'Angleterre et la Hollande. La face de l'Europe était, comme on voit, bien changée. La France s'était ruinée pour faire un Roi d'Espagne; elle s'unissait aux Anglais, pour lui faire la guerre. Voltaire fait honneur au ministre Walpole d'un caractere pacifique. Quel esprit pacifique, que celui qui commence par mettre ses rivaux hors d'état de songer à relever leurs ports, et qui ose établir sur un territoire étranger un commissaire Anglais! Et ceux qui goavernaient la France ont souffert cet affront pendant cinquante on soixante ans et le ministre de Londres voulait qu'en rappelant de pareilles conventions! Sans doute il faut s'en souvenir. C'est ici le cas, ou jamais, du maret alta mente reposum, mais à qui croyait-on que l'on avait affaire, mais quel front il falloit avoir, lorsqu'on voulait renouveler des pactes aussi odieux, et dont il n'y a point d'exemple dans l'histoire moderne!

Cet opprobre extraordinaire fut confirmée l'année suivante, par l'acte qui forma la quadruple alliance.

La Belgique, aujourd'hui réunie à la France, en était alors séparée. Elle n'eut pas moins à souffrir que l'ancienne France, da despotisme maritime du ministre Anglais. On peut mettre à côté de la ruine de Dunkerque la suspension que subit la compagnie d'Ostende. Cette affaire commença à faire du bruit vers 1726, et c'est encore un point qui n'a été traité d'ane maniere convenable par aucun bon historien. On n'a point la prétention de suppléer à leur silence. Un coup-d'œil sur l'histoire n'est pas l'histoire même; mais on est tenu ici d'indiquer ce que ferait une plume plus exercé dans ce genre d'ecrits, si utile et si négligé.

Il faut savoir que, par la paix d'Utrecht et les traités subséquens, l'Empereur avoit reconna Phillippe V pour Roi d'Espagne; celai ci avait cédé à l'Autriche les Pays-Bas et les Provinces que Charles Il avait possédées en Italie; mais toutes ces cessions n'avaient pas été faites sans regret; les esprits étaient encore aigris et agités.

L'Empereur, maître des Pays-Bas, et désirant depuis long-tems de prendre part aux profits du commerce maritime, avait encou ragé la formation à Ostende d'une Compagnie des Indes Orien tales. En outre, il avait fait publier en 1724, dans ses Etats héréditaires, la pragmatique sanction qu'il avait fort à cœur de faire reconnaître par toutes les puissances. Ce double objet l'oc cupait d'autant plus vivement, qu'il éprouvait de plus grands obs tacles. La France, quoique résignée dans ce tems à tout endurer, voyait avec chagrin se consolider et se perpétuer, dans la maison d'Autriche, une si grande masse de pouvoirs. L'Espagne

sentoit la faute énorme qu'elle avait faite de se désaisir de Gibraltar et du Port Mahon. Elle en demandait la restitution qui lui était refusée. Mais le Gouvernement Anglais ne pouvait se faire surtout à l'idée qu'on put établir une compagnie de commerce dans un port, dont auparavant on ne connaissait que le nom.

Au commencement de 1727, le Roi d'Angleterre jeta l'alarme à l'ouverture de son parlement (et ce serait une collection trèscurieuse que celle de ses gracieux discours émanés tous les ans du haut du trône). Tout était perdu. Le commerce Britan, nique était menacé par l'établissement de la compagnie d'Ostende, de sa ruine totale dans les Indes Orientales, et il n'était pas moins compromis en Amérique par l'audace des gardes-côtes Espagnols.

D'un autre côté, l'Empereur accusait à Ratisbonne, George I de souffler seul le feu de la guerre et d'intriguer même à Constantinople, pour porter les Turcs en Hongrie. L'Empereur fit sa paix séparée avec l'Espagne, moyennant qu'entre autres stipula tions, celle-ci lui accordat les priviléges les plus favorables au commerce de sa compagnie d'Ostende; il intéressa même successivement à cette cause les Cours de Petersbourg et de Stockholm: il y mettait tant de chaleur, que non-seulement la Belgique, mais des particuliers aussi de différens pays, prirent des actions de cette compagnie d'Ostende; mais le Cabinet de Saint James voulait l'anéantir et il y réussit. On tint le congrès de Soissons en 1728 exprès pour exiger que l'Empereur le supprimât, tout annonçoit un nouvel embrasement, tout aboutit à des négociations trèsJentes. La France lasse de la guerre, s'accoutuma insensiblement à l'indivisibilité des Etats Autrichiens. Les Espagnols oublierent peu à peu Gibraltar et le Port Mahon. L'Empereur était trop loin des Pays-Bas, pour s'occuper de leurs intérêts commerciaux, il était plus soigneux de ce qui le touchoit de plus près, et voilà le terrible danger pour un pays, d'avoir des maîtres éloignés! L'Empereur songea que Trieste pour raitbien remplacer Ostende; il transigea donc avec l'Angleterre aux conditions suivantes;

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Traité de Vienne, en 1731. "Le Roi d'Angleterre se rend "garant de la pragmatique sanction.-L'Empereur s'oblige à "faire cesser, incessamment et pour toujours, le commerce que quelques provinces de sa domination et qui avaient appartenu au Roi d'Espagne Charles II font aux Indes Orientales, se "réservant cependant la faculté d'y envoyer encore deux vais“seaux, qui pourront rapporter leur charge à Ostende et l'y "vendre." (Traité de Vienne, art, V.)

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On ne peut calculer le nombre des familles qui durent faire banqueroute dans les Pays Bas, en Lorraine, en Allemagne et même en France, par suite de leur confiance dans cette compaguie d'Ostende; mais veut-on avoir une idée de ce que les Anglais gagnerent à cette désolation et à ce bouleversement! on en juge parce qu'eux-mêmes annonçaient, dès le mois de Janvier, 1729, que la suspension de l'octroi de la compagnie d'Ostende avait

augmenté la vente des effets de la compagnie du Sud en Angle terre, de deux cents mille livres sterling, c'est-à-dire, d'environ cinq millions de notre monnaie pour une seule année. Ce souvenir doit être gravé dans la mémoire des habitans de la Belgique, il leur coûte assez cher, et j'en connais bien d'autres qui sentent encore aujourd'hui le contre coup de cette atteint que la suspension du commerce d'Ostende avait portée à leur fortune. Le ministere Anglais ne peut pas croire qu'il soit en grande vénération parmi tant d'hommes que lui seul a ruinés de fond en comble.

Le Traité de Vienne, en 1738, ne concerne directement l'Angleterre qu'en ce qu'il lui assurait des avantages de commerce avec l'Italie.

Mais tandis que l'on travaillait à la conclusion de cette paix définitive de 1738, des différends élevés en Amérique entre les Espagnols et les Anglais, au sujet du commerce et des limites de la Caroline, menaçaient ces deux peuples, et par conséquent leurs alliés d'une nouvelle guerre; par la maniere dont l'Europe était enchevêtrée dans ces diverses traités, le peuple ne pouvait plus se heurter dans une des parties du Monde, que les autres parties n'en fussent soudain ébranlées; l'Espagne croyait avoir pris des mesures très-efficaces pour empêcher la contrebande dans ses colonies; mais les navigateurs Anglais ont, par excellence, le génie interlope.

L'Espagne n'avait pas cessé d'avoir contre eux de justes plaintes; la cour de Madrid réclama et n'obtint point de satisfac tion, les esprits s'aigrirent, le Roi d'Angleterre voulant soutenir la liberté des mers figure très-bien, comme on voit dans une harangue du trône, quoiqu'on ne puisse pas croire cette phrase bien sé rieuse: Sunt verba et voces. Cette guerre était languissante; quelques événemens qu'on a pu croire purement fortuits vinrent bientôt l'envénimer. Les Empereurs et les Rois meurent. Ces accidens tout simples ont une très-grande influence sur les affaires de ce monde. On a bien osé dire, en plein parlement d'Angleterre, que la mort d'un grand personnage était arrivée à propos pour l'intérêt de ce pays. Celle de Charles VI n'avait rien que de naturel, mais ses suites furent terribles. An décès de cet Empereur, malgré les soins qu'il avait pris pour assurer l'ordre et l'indivisibilité de sa succession, plusieurs Princes prétendirent y avoir droit. La France paraissait devoir être l'arbitre de ces différends: c'est elle qui presque toujours, avait pacifié l'Empire; mais la France perdait du tems, tandis qu'elle déliberait, il pa rassait sur l'horison un phénoméne politique. Frederic, Roi de Prusse, entra tout à coup avec trente mille hommes dans la Silésie, décida l'Europe incertaine, et enleva au Cabinet de Versailles le premier rôle qu'il devait jouer dans cette grande affaire. La France s'unit d'abord au Roi de Prusse; mais elle s'y pris si mollement, que ses armées furent partout malheureuses. L'Angleterre affecta d'abord de garder, dans cette guerre, une neutralité qui n'était qu'apparente. Elle jeta selon sa coutume, sur le

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