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Les indépendans enhardis par le succès qu'ils avaient obtenu le 6, ignorant les dispositions des citoyens en leur faveur, ne comp tant que sur leur propre valeur, s'approchèrent de la ville dans la nuit du 8 mars, et l'attaquèrent sur tous les points, à cinq heures du matin. Le général Geffrard avait formé quatre colonnes de son armée. Cangé el Moreau, à la tête de la 1re, s'efforçaient d'enlever le portail du grand chemin; Gérin et Jean-Louis François, -à la tête de la deuxième, attaquaient les fossés du côté du fort I'llet; Vancol, à la tête de la troisième, tentait de traverser la rivière Renaud; et Férou donnait assaut vers le poste Trousse-Côte. Berger et Laplume, excitant l'ardeur de la 86e et des polonais, faisaient de toutes parts face à l'ennemi. Une partie de la garde nationale demandait, à grands cris, à faire une sortie par le grand chemin de la plaine; beaucoup de citoyens devaient se rendre à l'ennemi. Tout à-coup l'on entendit s'élever des rangs des indigènes les cris mille fois répétés de vive Dessalines! Les sympathies qu'on éprouvait pour les indépendans se changèrent en fureur. On crut que Dessalines en personne dirigeait l'attaque. En même temps la colonne que commandaient Cangé et Moreau culbuta les polonais qui gardaient le pont, pénétra dans la ville, et se mit aussitôt à piller la première boutique qu'elle rencontra. Mais assaillie tout-à. coup, elle ne put résister au choc impétueux de la cavalerie, et fut rejetée au-delà du pont. Gérin, de son côté, faisait de prodigieux efforts pour franchir les fossés qui couvraient le poste l'ilet; mais de vives décharges de mousqueterie et d'artillerie le contraiguiront à abandonner le terrain. I rallia les indigènes qui revinrent au combat avec tant d'audace que rien ne put arrêter leur élan; et le chef de bataillon Francisque planta un drapeau sur les remparts près du palais du gouvernement. Mais une batterie de six pièces de canon, tout-à coup démasquée, vomit un feu si meurtrier sur les grenadiers indépendans, qu'ils furent obligés d'abandonner le poste dont ils s'étaient emparés. Francisque fut emporté par ses soldats, atteint d'un coup de mitraille à la cuisse. L'on se battait avee acharnement depuis cinq heures du matin; les indigènes n'avaient pas d'artillerie, et de toutes parts les bonlets leur enlevaient des lignes entières. Vancol fut repoussé, après avoir tenté, plusieurs fois, de traverser la rivière Renaud. Geffrard voyant tomber ses meilleurs soldats commanda la retraite à 7 heuers du matin. Il se retira en bon ordre au camp Gérard, et se disposa à cerner la ville. Férou reçut lordre d'aller s'établir aux Coteaux pour intercepter les communications par terre que pourrait entretenir la garnison des Cayes avec celle de Tiburon.

Comme les munitions de guerre commençaient à manquer aux Cayes, le colonel Berger en envoya chercher à Jérémie par une goëlette que montait le commandant Kerpoisson. Celui ci parvenu

à Jérémie chargea de poudre le navire et appareilla pour les Cayes. Après qu'il eut doublé le cap Tiburon, il vit la mer devenir calme et la goëlette demeurer immobile. Bégon, homme de couleur, et Aoua, noir, chefs des barges indigènes du Sud, se tenaient cachés dans les anses de la baie des Anglais. .ès qu'ils aperçurent le bâtiment français, ils sortirent de la baie, à force de rames, avec quatre barges montées chacune de trente hommes. Malgré le feu des canons de la goëlette, les indigènes l'abordérent à la fusillade.. Bégon et Aoua, armés chacun d'une hache, s'élancèrent dans le navire suivis de leurs matelots. L'on se battit corps à corps sur le pont. Les français furent la plupart égorgés, et Kerpoisson fut fait prisonnier. Bégon envoya à Armand Berrault, commandant du poste établi aux Anglais. En voyant arriver, fortement garrotté, le blanc le plus cruel de la province, les indigènes laissèrent éclater une vive joie. Kerpoisson, depuis longtemps, ne se livrait qu'au pillage et à l'assassinat. I noyait impitoyablement les prisonniers indigènes qui étaient à bord des bâtimens de guerre en station dans le Sud, ou les vendait à des espagnols qui les conduisaient comme esclaves à Cuba, à Porto Rico, ou à la Côte-Ferme. Armand Berrault lui dit qu'il supporterait toutes les tortures qu'il avait fait endurer à ceux des indigènes qui étaient tombés en son pouvoir Avant de lui ôter la vie, les indépendans le plongèrent dans la mer, le fouetterent, le percèrent de coups de baionnettes, et lui brisèrent tous les membres à coups de fusil. Ils le transportèrent, pendant qu'il lui restait un souffle d'existence, aux Quatre-Chemin, à l'entrée des Cayes, et le pendirent, au milieu de la nuit, avec cet écriteau sur le dos: le crime ne reste jamais impuri. » La prise de sa goëlette procura aux indépendans des munitions en abondance.

Ce fut à cette époque, que les français pénétrèrent, pour la première fois, au sommet des hautes montagnes du Maniel. Le général Kerverseau, commandant de l'ancienne colonie espagnole, apprenant que des indépendans qui reconnaissaient, assurait on, autorité de de Lamour Dérance, avaient dans les mornes de Maniel un dépôt considérable de vivres, résolut de leur enlever ce point important. Il divisa ses troupes dont le chiffre montait à 2000 hommes en trois colonnes. Celle Celle du centre fut confiée au chef de bataillon Camberlin, celle de droite à Mirdonday, et celle de gauche à Wives. Pour atteindre le sommet de ces mornes presque inaccessibles, il employa huit jours. Au milieu des plus grandes difficultés, l'armée traversa de profondes ravines, gravit des rochers qui pendaient audessus de sombres abymes. Si les français avaient été attaqués dans leur marche, ils eussent tous péri, écrasés sous d'énormes masses de picrres. Le 15 Mars, Kerverseau parvint au camp du Maniel; il y rencontra une belle population cultivant d'immenses champs de

bananiers, d'ignames et de patates. A la première décharge que firent les français, les indépendants prirent la fuite et disparu rent dans les forêts. Kerverseau trouva dans une des cases du plateau 600 livres de poudre, 200 fusils et quelques pistolets. Peu de jours après, il descendit de la montagne, après en avoir ravagé toutes les plantations. Cette course du général Kerverseau demeura infructueuse. Les indépendans du Maniel avaient des camps en cent

lieux divers.

Rochambeau qui avait appris les progrès de l'insurrection du Sud, se détermina envoyer des renforts aux Cayes. I ordonna au général Sarrasin qui venait d'arriver au Cap avec quelques forces, de partir pour le Sud, à la tête de la 14e légère. Sarrasin s'embarqua sur le vaisseau l'Atalante, et fit voile pour les Cayes. C'était un officier général de réputation. Sous le Directoire Exécutif, il avait eu le commandement d'une division de 6000 hommes de l'armée cxpéditionnaire d'Irlande. Le 9 mars, il se trouva en vue de Tiburon. Quoiqu'il eût reçu l'ordre, pour épargner aux troupes de rudes fatigues, d'atteindre les Cayes, directement, par mer, il entra dans le port de Tiburon et se resolut à se rendre à sa destination, par terre. Les officiers indigènes encore fideles aux français lui firent en vain observer que les chemins étaient presque impraticables à cause des pluies et du débordement des rivières. Plein de confiance en la valeur de ses troupes, il ferma Foreille à tous les sages avis qu'on lui donna, et se détermina à traverser un espace de 24 lieues, couvert d'embuscades, de Tiburon aux Cayes. de Tiburon aux Cayes. Après avoir écrit au général Laplume de s'avancer à sa rencontre avec une partie de la garnison des Cayes, il confia le commandement de son avant garde au chef de bataillon Lespos, celui de son arrière-garde au capitaine Verime, et sortit de Tiburon, précédé de guides indigènes. 40 Mars. La 44e suivit la route qui longe le rivage de la mer. Quand elle arriva à la Colanne, elle rencontra un poste indigène qu'occupaient quelques troupes sous les ordres de Férou. Le combat s'engagea; il fut opiniâtre et meurtrier. Le chef de bataillon Lespos enleva la position à la baïonnette. Les indigènes, s'éche lonnant en tirailleurs des deux côtés du chemin, commencèrent sur les français une fusillade qui peu soutenue n'arrêta pas leur marche. Néanmoins la colonne européenne fut obligée d'abandonner ses blessés qui furent égorgés. Le 14 Mars, Sarrasin aperçut le village des Anglais, situé à cinq lieues de Tiburon. I avait déjà perdu 50 bommes. Il y avait au pied d'un morne que traverse le grand chemin trois mille cultivateurs armés la plupart de bâtons et de pierres. Il n'y avait pas cent fusillers parmi eux. Ils étaient retranchés derrière de grands arbres renversés; ils n'avaient pas une seule pièce de canon. Le général Sarrasin, en les découvrant, so tourna vers ses grenadiers et leur dit : « Ces brigands pourraient

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ils vous arrêter? En avant! » La charge se fit entendre, et la 14e s'avança audacieusement contre le retranchement exécutant des feux de pelotons. Les indigènes firent pleuvoir une grêle de pierres sur les blancs qui les abordèrent à la baïonnette. Le capitaine Monvoisin, à la tête des grenadiers, s'empara des retranchemens. Les indigènes prirent la fuite, et allèrent attendre l'ennemi un peu plus loin. A sept heures du matin, Sarrasin était maitre des Anglais. Il s'y reposa le reste de la journée. Ses troupes étaient harassées de fatigues; elles avaient traversé plusieurs torrens, marchant tantôt dans des chemins boueux, tantôt dans des sentiers rocailleux, la nuit la pluie sur le dos, et dans la journée brûlés par les ardeurs du soleil. Elles reprirent leur marche dans la nuit du 12. Avant le lever du soleil, elles tombèrent dans une embuscade qu'elles levèrent après avoir perdu une vingtaine d hommes. Pendant cet intervalle, le général Laplume sortait des Cayes, et marchait à la rencontre de Sarrasin avec 800 hommes de trou. pes et deux pièces de campagne. Il arriva à Welche Taverny, et y attendit inutilement pendant 24 heures le général Sarrasin. Craignant d'être enveloppé par les insurgés, il rentra aux Cayes.

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Le 43 Mars, le général Sarrasin atteignit la Grande Crête du PortSalut dont le sommet était occupé par un millier d'indépendans sous les ordres de Bazile. Les indigènes étaient dans une position for• midable. Le général Sarrasin, voulant traverser ce morne avant la nuit les attaqua avec vigueur. Le combat dura trois heures. Les français après une perte de 200 hommes s'emparèrent de la position. Sarrasin s'était battu comme le plus intrepide de ses grenadiers. I était parti de Tiburon à la tête de 1200 homares, et la 14e était réduite à 900 hommes. I ne donna cependant pas à ses troupes le temps de reprendre halcine. Le même jour, il continua sa marche s'ouvrant passage à la baïonnette au travers des embuscades qu'il rencontrait de distance en distance. Il arriva à Welche Taverny, non loin de Torbeck. Il vit les troupes indigènes encore rangées en bataille devant lui. Il leur envoya un parlementaire qui leur demanda à s'entretenir avec leur chef. Bazile se présenta avec Jean Jacques Sully, son secrétaire. Celui-ci avait abandonné la cause française après les combats du Morne Fendu et de Maraudhuc. Le parlementaire, s'adressant à Jean Jacques Sully, proposa aux indigènes. une trève de quatre heures pendant laquelle on donnerait des soins aux blessés de part et d'autre. Bazile l'accepta. Sarrasin réunit les cabrouets de l'habitation Welche Taverny, auxquels il attela des chevaux, y plaça ses blessés, et laissa ses troupes se reposer. Après leur repás les français reprirent leurs armes, et se mirent eu bataille. Leur général fit annoncer à Bazile qu'il eut à se préparer à recevoir son feu. Les indigènes se saisirent de leurs armes, et les français s'ébranlèrent. La 14° fut harcelée avec acharnement

jusqu'à Houc, où le combat fut des plus sanglans. Sarrasin se présepta à son arrière-garde, et fit signe aux indigènes de suspendre. le feu. Bazile fit cesser la mousqueterie, et s'avança jusqu'à lui. Le général français lui demanda, avec instances, de prendre soin de ses blessés s'il était battu, et lui promit de son côté de donner toutes sortes de secours aux indigènes, s'il était vainqueur. Bazile lui accorda sa demande, et le combat recommença. Les indépendans talonnèrent les français jusqu'à Torbeck. Pendant cet intervalle le général Geffrard avait appris, par un envoyé de Férou, la marche de Sarrasin. Il était sorti du camp Gérard avec son armée se dirigeant sur Torbeck où il devait attendre l'ennemi. Il s'établit au carrefour de Torbeck et dans les environs. A la pointe du jour, Sarrasin voyant de fortes cólonnes se déployer pour l'envelopper pénétra aussitôt dans l'église du bourg et s'y barricada. Si Geffrard, cherchant l'ennemi, avait passé par l'habitation Bagatelle, il eut joint les français avant leur arrivée à Torbeck et les eut extermi nés. Sarrasin manquant de munitions envoya, au rivage de la mer, la nuit qui suivit, cent chasseurs qui réunirent des bois secs, firent trois énormes bûchers auxquels ils mirent le feu successivement. Deux frégates qui étaient mouillées dans la rade des Cayes aperçurent ces feux. Laplume et Berger pensant qu'ils ne pouvaient être qu'un signe de la détresse de Sarrasin, envoyèrent aussitôt, le long des rivages de Torbeck, plusieurs. chaloupes chargées d'armes et de munitions. Les matelots débarquèrent les munitions qui furent distribuées à la 14°. Dans la même nuit le général Laplume envoya des Cayes à la rencontre de Sarrasin une division de 700 hommes et 2 pièces de campagne. Au jour les troupes de Geffrard commencèrent à échanger des coups de fusils avec les français qui occupaient l'église de Torbeck. En même temps les troupes des Cayes parvenaient sur l'habitation Dérodière que traverse la rivière de Torbeck. Elles y rencontrèrent un rempart dans le grand chemin qu'occupaient les independants. Ceux-ci craignant d'être placés entre deux feux, l'abandonnèrent après avoir essuyé deux coups de canon. lonne sortie des Cayes continua sa marche. Elle rencontra le géné. ral Sarrasin qui avait abandonné l'église du bourg, et tournait le carrefour de Torbeck. Elle ouvrit ses rangs, laissa passer la 14, qui prit la droite. Elle même forma l'arrière garde. Jusqu'aux Quatre-Chemins, à l'entrée des Cayes, les français ne firent qu'échanger des coups de fusils avec les indépendans. Sarrasin entra aux Cayes avec 700 hommes de la 14 sans avoir perdu un seul drapeau. Les troupes françaises s'étaient battues avec un rare courage. Doit-on s'étonner des prodiges qu'elles on faits en Europe, courant de victoire en victoire, chantant des hymnes de liberté, quand on les a vues, combattant pour l'esclavage, au-delà de l'Atlantique, déployer tant d'intrépidité ? gloire et honneur à nos pères qui par

La co

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