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chemens et y pénétrait, pendant que l'avant-garde, embusquée sur le flanc gauche, faisait sur les français le feu le plus meurtrier. Les troupes françaises et espagnoles, au nombre de 800 hommes, résistèrent d'abord avec opiniâtreté. Mais l'état-major de Dessalines, monté sur de bons chevaux, et l'infanterie haïtienne que les difficultés du sol n'arrêtaient jamais, pénétrèrent dans le fort. Les fran çais et les espagnols abandonnèrent la position et prirent la fuite. Les haïtiens les poursuivirent à outrance, les sabrèrent et les firent prisonniers en grand nombre. Viet fut pris; il n'avait reçu aucune blessure: c'était un ancien colon des Grands Bois, connu des indigènes par sa cruauté et sa bravoure. Il avait servi avec distinction sous les ordres de Dessalines, du temps de Toussaint, et plus tard sous Leclerc. L'empereur lui dit en le voyant arriver devant lui : « comment as-tu pu croire que mes troupes eussent été arrêtées par ces épines et quelques canons, toi, colon, qui aurais dù connaitre l'agilité des indigènes dans les lieux où le blanc n'oserait pénétrer?-J'avais juré au capitaine général Ferrand, répondit Viet, que ce fort serait devenu le Tombeau des Indigènes. En présence des généraux Daut, Magloire, Bazelais, Gabart, de l'adjudant général Mentor, de Pétion, du capitaine Boyer, alors secrétaire de ce dernier, Dessalines le fit fouetter avec des branches d'acacia jusqu'à ce qu'il rendit le dernier soupir. Un sapeur lui ouvrit l'estomac d'un coup de hache, et mangea son cœur; ses entrailles furent dispersés dans les savanes. Ce sapeur avait appartenu, avant sa transplantation en Haïti, à une de ces tribus africaines qui se nourrissent de chair humaine. De semblables scènes d'horreur avaient eu lieu en 1792 sur les places publiques de Paris, pendant les massacres de Septembre: cependant il n'y avait pas en France de tribus sauvages de cannibales. Des monstruosités ont été commises chez tous les peuples qui néanmoins ont tous fourni des hommes vertueux. Les indépendans anglais, au 17e siècle, ne faisaient aucun quartier aux Irlandais; ils les fusillaient par centaines, ou les précipitaient dans la mer liés dos à dos. Les annales de la Russie nous présentent des scènes horribles, à toutes les époques, et particulièrement sous Iwan IV.

Les haïtiens, à l'attaque du camp Viet, qui fut démantelé, avaient éprouvé peu de pertes. Le capitaine Jérôme de la cavalerie fut tué d'un coup de pistolet; le colonel de la 4e., Guillaume, eut le bras gauche fracassé, et Pierre Louis, aide-de camp du général Daut, fut blessé au ventre.

Un aneien aide de-camp de Dessalines, sous Leclerc, nommé Daut, à présent au service des français, évacua un poste qu'il commandait entre Neybe et Azua, et se replia sur cette dernière ville que la population abandonna aussi après trois coups de canon qui donnèrent le signal de la retraite aux espagnols des campagnes.

L'empereur entra à Azua le 1er. Mars dans la matinée, et confia

le commandement de cette place à un officier espagnol Juan Ximenės qui s'était rendu aux haïtiens. Le lendemain, à 5 heures du matin, l'armée reprit sa marche, et fit halte à la rivière d'Ocoa. Les espagnols gagnés au parti français fuyaient de toutes parts à l'approche des troupes haïtiennes. L'empereur vit clairement qu'ils étaient irrévocablement attachés au gouvernement français, et que les ménagemens dont il usait envers eux, loin de les rallier à son armée, grossissaient les forces de Ferrand. I ordonna à ses soldats de les troiter en ennemis, et de brûler leurs habitations.

Le 4 Mars, à trois heures de Faprès-midi, il entra à Bany qu'il trouva abandonné. L'armée, pénétra dans une plaine de sable, longea les rivages de la mer, et aperçut, à la pointe du jour du cinq, non loin des côtes, deux vaisseaux anglais qui ne tardèrent pas à disparaitre dans les nuages de l'horizon. Dessalines, après s'être arrêté à Bias de Louna, reprit sa marche le 6, à la pointe du jour ; et à midi il avait atteint habitation Gaillard, distante d'une lieue de Sto. Domingo. y établit son quartier général, réunit autour de lui les compagnies de grenadiers de tous les corps de l'armée et en forma sa garde. Il fit aussitôt sommer le général Ferrand de lui ouvrir les portes de Sto. Domingo. Pour toute réponse l'ennemi incendia le faubourg St. Carles. Le lendemain, 7, au point du jour, les généraux Gabart et Pétion s'approchèrent de la place, et en examinèrent les fortifications. Les troupes haïtiennes s'établirent non loin des remparts.

La ville de Sto. Domingo, baie sur la rive droite de l'Ozama qui coule du Nord au Sud et se jette dans la mer des Antilles ou des Caraïbes, est forte par son sile et ses ouvrages. Elle a la forme d'un - trapèze de 2660 toises environ de tour. Le côté de son plan qui longe la mer est de 500 toises. Elle est entourée d'épaisses murailles, garnies, à de petites distances, de bastions et de forts armés de pièces de gros calibre. Une chaine de hauteurs s'étendant de l'Ozama à St. Carles, faubourg au Nord Ouest, la domine au Nord. Lcs français n'avaient pas eu le temps ni de fortifier ni de garder ces mornets. On pénètre dans la place par trois grandes pertes, dont deux à l'Est, vis à-vis de l'Ozama, celles de l'Atarazane et de St. Diègue, et une à l'Ouest, le portail de Comte qui donne sur le chemin conduisant à St. Jérôme. Entre l'Atarazane et St. Diègue se trouvent les débris du palais de Christophe Colomb.

En longeant le côté Nord de la place qui oblique vers le SudOuest, on rencontre, en partant de l'Ozama, les bastions et les forts de l'Angle, de Ste. Barbe, de San Antonio, de St. Francisque, de St. Lazarre et de la Conception. Cette dernière fortification qui est à l'extrémité de la ligne bat tant au Nord qu'à l'Ouest. En partant de la Conception, on rencontre, sur la ligne Ouest, le fort du portail de Com. te et celui appelé à présent Palohincado, le bastion de l'Escarapan et le

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fort de St. Giles battant tant à l'Ouest qu'au Sud. Sur la ligne Sud, en laissant St. Giles, on trouve la batterie basse de Saint Carle les bastions de San José, de St. Fernandez et de Sainte Catherine, la redoute Ste. Claire, et la batterie, de l'Arsenal dont les pièces sont braquées tant sur la mer que sur l'embouchure de l'Ozama. Sur la ligne Est, le long de l'Ozama, on trouve la prison que baigne le fleuve, et au-dessus de la prison la batterie de la Plate-Forme surmontée de la Tour et la batterie de l'Amiral entre St. Diègue et l'Atarazane. Le blocus de Sto. Domingo est des plus difficiles à cause des ouragans qui éclatent dans ses parages, et des rochers à pic ou côtes de fer qui en bordent les rivages.

Pendant que Dessalines arrivait devant Sto. Domingo, le général Christophe était parti du département du Nord, à la tête de sa division. Il avait ordonné aux deux premiers bataillons de chacune des demi-brigades cantonnées dans l'étendue de son commandement de se mettre en marche pour Sto. Domingo.

Le 18 Février, à dix heures du soir, les tère, 2e, 27c, 28e, et 29¢ et deux escadrons de dragons étaient sortis du Cap, par un violent orage, et avaient atteint la Grande Rivière à une heure du matin. La division, ne pouvant traverser le torrent qui était en débordement, fut obligée de passer la journée et la nuit qui suivit sur les propriétés voisines. Le lendemain 19, Christophe, suivi de ses troupes, longea la rive gauche du fleuve, parvint à son embouchure sur l'habitation Chatenoy, pénétra dans l'eau jusqu'à la ceinture et atteignir la rive opposée. Les troupes, après s'être reposées quelques heures à l'ancien bourg de Limonade, pénétrèrent dans la grande route du FortLiberté qui était couverte d'une eau boueuse: depuis plusieurs jours il pleuvait sans discontinuer. La division traversa les habitations Caracolle, Merée, et entra au Fort-Liberté le 20, à six heures du matin. Elle fut grossie le même jour de la 9e du Port-de-Paix qui était en retard. Le général Capoix avait fait tous ses efforts pour que ce corps, qui lui était très-dévoué, n'entreprit pas la campagne; il craignait que Christophe, son ennemi personnel, ne trouvât l'oc casion de jeter la 9e de à l'extermination pour lui enlever son appui le plus puissant.

Ce fut au Fort Liberté que les troupes du Nord furent habillées. Le général Clervaux retardé par le débordement des rivières ne les avait pas encore jointes. Le 21 elles prirent la route de Laxavon, la 9e à l'arrière-garde.

Le 22, elles traversèrent la savane de Tête, celle de llargue, et arrivèrent au milieu de la nuit dans celle de Guayabine. Le 23, à neuf heures du matin, la division traversa, non pas sans peine, la rivière de Guayabine. Après avoir suivi la route, non loin du cours du fleuve Grand-Yaque, dont les eaux vont s'engloutir dans la baie du Montéchrist, les troupes arrivèrent au bourg de l'Hôpital, situé dans la

magnifique vallée de St Yague, et y passèrent la nuit sur les hattes Hilaire Gaston et Pichasse. Le lendemain, à midi, elles entrèrent au bourg d'Amina, Elles marchaient à une distance de quatre lieues du cours du fleuve, dont elles s'approchèrent pour le traverser; et le 25, à quatre heures du matin, elles s'arrêtèrent sur la rive gauche. Elles aperçurent sur les bords opposés les troupes hispano-françaises rangées en bataille au nombre de 1,500 hommes environ, sous les ordres de Serapio, commandant en chef du département de Cibao. L'ennemi occupait un bastingage de 300 pieds de longueur, armé de deux pièces de campagne, ainsi qu'un fort défendu par une pièce de 12 et élevé sur un mornet. Quoique la division Clervaux ne fût pas arrivée, les tronces haïtiennes s'élevaient à 9,000 hommes. Les 2e et 27e demi brigades s'établirent en face des retranchemens ennen:is sur une éminence de la rive gauche; les 28e et 29e prirent position derrière elles, et les Are., 9e, le bataillon de St-Yague, les compagnies d'artillerie se tinrent au milieu du grand chemin, prêts à forcer le passage.

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Pendant que Christophe faisait ses dispositions d'attaque, le plus grand ordre existait dans les rangs ennemis. I envoya sur la rive opposée un officier du bataillon de St-Yague, Don Pedre, chargé de sommer Serapio de livrer le bastingage et le fort, et de lui dire qu'il ne venait pas avec des intentions hostiles aux espagnols, et qu'il ne faisait la guerre qu'aux français. L'ennemi répondit qu'il était disposé à mourir plutôt que de se rendre. Christophe fit aussitôt battre la charge, et le chef de bataillon Jason, suivi de la 1.ère demibrigade, du bataillon de St Yague et de la 9, s'élança dans le fleuve. Les soldats haïtiens, pénétrant dans de l'eau jusqu'à la ceinture, ne résistèrent à la rapidité du courant qu'en se serrant fortement les uns contre les autres. Nos troupes soutenues par le feu des 2e et 27e établies sur la rive gauche, atteignirent la rive droite où s'engagea un combat sanglant. Malgré les prodiges de valeur de Sérapio, officier noir, les hispanio-français commencèrent à fléchir. Dès que Christophe s'en aperçut, il ordonna au colonel Etienne Albert de traverser le fleuve avec la cavalerie et de charger. Les dragons haïtiens, ayant atteint la rive opposée, rompirent les rangs de l'ennemi que la 9e culbutait déjà, à la baïonnette. La déroule devint complète, et les fayards talonnés par la 9.e et sabrés par les dragons du 2.e régiment, rentrèrent à St-Yague. Le général Brave pénétra

*On doit se rappeler que re batailion dit de St-Yagne avait été formé en cette ville, par les ordres de Dessalines, aussitôt après la soumission du département de Cibao en décembre 1803. Il avait été obligé de se replier avec Tabarrès, sur le territoire baitien, après la réoccupation du Cibao par Padjudent-général Devant en 1801. Il était composé de noirs et d'hommes de couleur espagnols.

au centre de la ville, chassant devant lui les femmes et les enfins qui, fuyant la cavalerie, s'efforçaient de gagner les bois. Les soldats ennemis furent la plupart massacrés; Serapio et le colonel Polanque avaient péri dans la bataille.

Les munitions de guerre et les bagages de l'ennemi tourent en notre pouvoir. Nous avions perdu plus de 300 homics ques ou emportés par les eaux du grand Yaque lors du passage Nous avions 60 blessés parmi lesquels l'on comptait le général Resce. Pouredly, colonel de la 9e, Jacques Louis, chef de bataillon au même corps, et le chef d'escadron Pierre Poux. Ce fut la 9e qui, par i impétuosité de son attaque, décida la victoire en faveur des hoitions plupart des moris et des blessés étaient des soldats de ce corps que Christophe, disait-on alors dans l'armée, prodiguait au feu, à dessein, pour les détruire. On prétendait que Finfiuence du général Capeix, ennemi personnel de Christophe, s'affaiblissait en proportion des pertes de la 9e.

La

Christophe entra à St-Yague à neuf heures du matin du 25 Février. I confia le commandement du département au colonel Tabarrès, et celui de la place au-capitaine Joubert. Le lendemain le général Clervaux arriva à St-Yague, à la tête de sa division qui forma l'arrière garde de l'armée du Nord. Christophe fit exécuter tous les blessés espagnols et français qu'il trouva dans les rues de St-Yague. Il fit pendre sous la galerie du tribunal un grand nombre de personnes qui s'étaient réfugiées dans l'église et qui en avaient été arrachées, les nommés don Francisco Remondo, Compa, don Francisco Escolo, don José de Roxas, don José de Nunez, don Jean Curel, don Jean Nunez, del Monté, Noberto Alvarès, Antonio Rodriguez et Blas de Almonté, les citoyens les plus recommandables de la ville. I jeta en prison beaucoup d'autres parmi lesquels était l'abbé Pablo Alvarès. En partant de St Yague, il laissa l'ordre au commandant Tabarrès de poursuivre, à toute outrance, pendant son absence, les familles qui s'étaient cachées dans les bois.

Les troupes haïtiennes, sorties de St-Yague, s'arrêtèrent le 27, à huit heures du soir, sur les bords de la rivière Pugnalé. Le 28, elles suivirent la route de la Véga où elles arrivèrent à huit heures du matin. Elles furent saisies d'admiration à l'aspect d'une petite ville fraîche, bien bâtie, et remplie de jolies constructions. Elles n'y trouvèrent pas une ame; toute la population, en apprenant les résultats de la bataille de St Yague, s'était cachée dans les bois et les gorges des montagnes. L'armée continua sa marche; à sept heures du soir de la même journée, elle s'arrêta à Gua, et le 1er. Mars elle bivaqua sur les bords de la Youna. Le 2, le curé du bourg de Cotuy vint au-devant de Christophe et lui fit sa soumission. Christophe, après lui avoir donné l'assurance que ses 'paroissiens seraient respectés, entra à Cotuy. Il y donna du repos à ses troupes, et

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