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«dre les avantages inappréciables que procurent souvent les me«sures les plus sévères dans le moment où elles doivent l'être. » Le 17 Floréal (7 Mai) Laplume s'embarqua pour le Port-Républicain où il arriva le 11 du même mois. Il partit pour France à bord d'un des vaisseaux de l'escadre de l'amiral Bedout. Il fut débarqué à Cadix où il mourut d'une maladie de langueur, plongé dans la misère la plus hideuse. Le gouvernement français accorda cependant quelques secours à sa famille. Le colonel Nérette était aussi parti pour France, à la même époque. Il se rendit à Bordeaux où il ne voulut pas même visiter un grand nombre de ses compatriotes, que Leclere avait fait déporter. Il se rendit à Paris pour saluer Bonaparte; mais celui-ci ne daigna pas lui accorder une audience. Darbois fut appelé provisoirement au commandement de l'arrondissement des Cayes; il fut remplacé, à la Grand'Anse, par Monfalcon. Berger reçut l'ordre d'aller prendre provisoirement le commandement de la place de Jérémie.

Quoique la guerre ne fût pas encore déclarée entre la France et l'Angleterre, les bâtimens de S. M. B. fréquentaient les ports qu'occupaient les indépendans et leur donnaient, pour du café, des armes et des munitions. Un aide de camp de Rochambeau, le colonel Rosse, qui avait été envoyé en mission à la Côte Ferme sur un navire américain, rencontra à la hauteur de Tiburon, en Avril, la corvette anglaise la Surinam qui pénétra dans le port de cette ville. L'amiral Latouche Tréville qui se livrait aux plaisirs, au Mole St. Nicolas, ne faisait aucun effort pour contrarier les communications qui s'établissaient entre les anglais et les indépendans.

Jusqu'alors, comme nous l'avons vu, les indépendans des environs du Port Républicain, ne possédaient, dans la plaine du Cul-de-Sac, que le camp Frère. Les cultivateurs de cette plaine faisaient avec le Port-Républicain un commerce assez important de vivres, de voJailles, de fruits, de légumes. Chaque dimanche, il y avait à la Croix-des Bouquets, ainsi qu'au Port-Républicain, un marché où se réunissaient plus de quatre mille cultivateurs et cultivatrices, avec la permission des gérans ou propriétaires. Les vivres, les légumes et les fruits que cultivaient les laboureurs dans leurs momens de loisir, car ils étaient maintenus en servitude, étaient payés par les blancs bien au dessous de leur valeur. Cependant le commerce de détail se soutenait un peu, par les acquisitions que les gens de la campagne faisaient en ville avec l'argent qu'ils retiraient de la vente de leurs vivres, de leurs légumes et de leurs volailles. Ceux des français qui abhorraient le système colonial attribuaient avec raison tous les désastres de St Domingue au capitaine-général, dont les cruautés avaient exeité la population du Sud contre la métropole. Le Premier Consul avait reçu de St. Domingue des mémoires contre l'administration de Rochambeau dont le remplacement

était demandé avec instances. Mais Bonaparte considérait ces mémoires comme enfantés par les rêves de ceux qu'il appelait utopistes ou républicains, car il était satisfait de Rochambeau qui exécutait sévèrement les instructions qu'il lui envoyait à l'égard des noirs et des hommes de couleur. Cependant les calamités qui frappaient les français étaient si grandes que Rochambeau se détermina à envoyer en France un des officiers de son état-major chargé de faire au 1er Consul un tableau exact de la colonic dépourvue entièrement de ressources. I jeta les yeux sur le général de brigade Pierre Boyer chef de l'état major général de l'armée. Boyer, comme nous l'avons vu, s'était identifié à son système d'extermination. C'était peut être le seul officier qui pût représenter au Consul, sous un aspect favorable, le gouvernement de Rochambeau. Le 40 Avril, il fut ordonné au préfet colonial, au commissaire ordonnateur en chef, au payeur-général, aux commandans du génie et de l'artillerie, d'adresser au général Boyer toutes les demandes qu'ils auraient à faire au gouvernement de la métropole. Le but de cette mission était de faire connaître au Consul que l'insurrection était devenue générale, qu'elle avait été suscitée par les mulâtres, que l'armée désirant ardemment conserver à la France la plus belle de ses colonies, demandait de nouveaux renforts. Le général Boyer partit pour France accompagné du commissaire ordonnateur Dintrans ot de plusieurs officiers supérieurs d'artillerie, du génie et de marine. I fut remplacé par le général Thouvenot dans les fonctions de chef d'état major. La guerre qui ne tarda pas à éclater entre la France et l'Angleterre, ne permit pas à Bonaparte d'envoyer à St. Domingue autant de troupes qu'il l'eût voulu, et cette mission. ne produisit aucun résultat avantageux à la colonie. Rochambeau en profita seul, car Bonaparte demeura convaincu qu'il était le seul officier général capable de sauver St. Domingue qu'il perdait cependant. La France eut-elle envoyé, à cette époque, une nouvelle armée de 40,000 hommes, à St. Domingue, qu'elle n'en eut pas fait la conquête. Cette armée eût été tôt ou tard écrasée sous le poids des masses en insurrection. Le gouvernement eût il alors proclamé l'oubli du passé, la liberté de tous, qu'il n'eût pas réussi. Les indigènes déjà n'ajoutaient plus foi aux paroles des français, et leur défiance était devenue invincible. Les français n'auraient pu redevenir les paisibles possesseurs de Saint Domingue, des Avril 1803, que par l'extermination des noirs et des jaunes; mais alors l'insurruction devenue générale avait obtenu tant de succès, que probablement une nouvelle armée française eût été dévorée plus vite que la première. Après son avènement au commandement en chef de la colonie, Rochambeau avait demandé au Premier Consul une armée de 25,000 hommes. Bonaparte avait annoncé à la France les malheurs de St. Domingue, tout en représentant sous de sombres

couleurs les excès des insurgés, et avait fait un appel à l'énergie du grand peuple. 60,000 vétérans s'étaient volontairement présentés pour aller à St. Domingue. St. Domingue. Bonaparte avait choisi 45,000 de ces braves qui avaient été acheminés sur Brest et Rochefort. Cet élan national avait été annoncé au peuple français le 14 Février 1803. Depuis le mois de Janvier ces troupes arrivaient successivement dans la colonie. Dans le courant d'Avril, la coryette la Flûte mouilla dans la rade du Cap chargée d'un régiment de Centenaires, ainsi que la flûte la Nécessité chargée de 400 conscrits. Ces derniers furent incorporés dans la légion du Cap en garnison à Jacmel. A la fin du même mois un autre corps de Centenaires arriva au Port Républicain sur la corvette la Malicieuse. Ces nouvelles troupes furent. incorporées dans la légion de St. Domingue et envoyées à St. Mare, sous les ordres du général d'llénin. A cette époque, la fièvre avait entièrement cessé ses ravages, et ces nouvelles troupes n'en étaient nullement atteintes.

Les finances continuaient à être dans un tel état de délabrement que le gouvernement ne subvenait à ses dépenses que par des emprunts. Ce ne fut qu'en Avril 1803 que le préfet colonial ordonnateur en chef- put payer à l'armée la solde arriérée de l'an 10 et d'une partie de l'an 11 jusqu'au 4 Germinal (22 Mars.) Presque tous les officiers généraux avaient leur fortune faite, et comme les ressources des indigènes qui étaient encore dans les villes étaient épuisées, ils dépouillaient les négocians blancs. Ceux-ci étaient souvent contraints de supporter les vexations les plus graves dans la crainte d'être déportés ou fusilles. Ceux des français que distinguait un noble caractère s'efforçaient d'abandonner la colonie. Ce fut alors que le citoyen Monbreton Norvins, secrétaire général de la préfecture, quitta St. Domingue; il fut remplacé par le citoyen Jean Baptiste Merceron. Alix, directeur d'un arsenal, venait d'être déporté à cause de son humanité il avait refusé de livrer dix mille boulets destinés à être attachés aux pieds des infortunés qu'on noyait le long du littoral; il fut remplacé par le chef de bataillon Chapelle. Le commandement du génie fut confié au colonel Huzy, et celui de l'artillerie au colonel Borthou.

Pendant cet intervalle, le général Capoix enlevait sur les français le Port de Paix auquel Rochambeau attachait une haute importance, à cause de la possession de lile de la Tortue située à l'opposite, où il avait un immense hôpital et des magasins de poudre. Les indigènes maîtres du Port-de-Paix devaient infailliblement s'emparer de ce depôt considérable de munitions. Les bâtimens de guerre français qui étaient venus successivement canonner le quartier-général de Laveaux. Lapointe, n'avaient jamais pu chasser le général Capoix de sa position. Celui ci avait fait réunir dans son camp tous les projectiles que les bâtimens avaient lancés sur le rivage, et s'était déterminé à assiéger

le Port-de Paix. D'une petite taille, il avait des yeux vifs et-perçants; d'une audace prodigieuse, il ne reculait jamais devant le danger. Il faisait mourir impitoyablement ceux de ses soldats qui commettaient quelque lâcheté. Il était cependant aimé de ses troupes qui se croyaient invincibles quand il marchait à leur tête. Il portait habituellement un chapeau à cornes galonné qui avait appartenu au général Moyse. Il avait trouvé ce chapeau dans le petit fort du Portde Paix, quand il avait pris posession de cette ville, en 1802, après l'évacuation du général Brunet. Il envoya toutes les femmes de la commune du Port de Paix, accompagnées de 100 grenadiers, jusqu'à la baie des Moustiques où il y avait deux pieces de 8 braquées sur le rivage. Ces femmes qui partageaient les dangers de leurs frères, trafnèrent ces deux pièces, à force de bras, jusqu'aux environs du Port.de Paix. Elles avaient parcouru un espace de 8 lieues. Capoix qui était parti de Laveaux -Lapointe; à la tête de son armée, s'était arrêté à un demi mille des portes de la place. Pour que l'ennemi ne découvrit pas ses canons, il les plaça derrière une ligne de branches d'arbres, sur une éminence qui dominait la ville, vis à-vis d'un fort appelé le Blockaus que les français avaient élevé hors de la place. Dans une nuit, les indigènes établirent, pour se protéger contre le feu de l'ennemi, des gabious qui occupèrent une étendue d'un mille. Le capitaine Placide Louis se plaça en embuscade près du biockaus derrière une rangée d'arbres longue et épaisse. Le 12 avril, a 5 heures de l'après midi, le colonel Vincent Louis démasqua la batterie qui tira vigoureusement sur le blockaus; les français répondirent au feu des indigènes. Mais à six heures une violente détonation sortit du block us qui fut aussitôt enveloppé d'une épaisse fumee; des pierres et des lambeaux de chair humaine tombèrent dans les rangs des indigènes la poudrière de cette fortification venait de sauter. Les français cournrent tumultueusement vers le fort Pageot. Mais Placide Louis les accueillit par un feu vif, les poursuivit, et entra avec eux dans le fort Pageot. Là s'engagea un combat dans lequel succomba la garnison française. Le drapeau indigène flotta sur cette fortification. Il ne resta aux français que l'enceinte de la place o le désordre était à son comble. Ce ne fut qu'en déployant la plus grande énergie que les adjudans-commandans Boseus et Rippert på vinrent à maintenir les troupes dans les autres forts et sur la place d'armes. Toutes les familles blanches s'embarquérent dans les chaloupes de la rade et se rendirent soit à la Tortue, soit au Cap. An milieu de la nuit, le colonel Vincent fit tirer du fort Pageot sur ic grand fort. Les boulets qui sans cesse traversaient la ville y répandaient la terreur de toutes parts. A une heure du matin, le général Capoix, atteignit, au milieu d'une grêle de balles, le grand fort contre lequel il appliqua trois échelles. Il monta à l'assaut suivi de ses soldats et parvint le premier sur les remparts où il planta le drapeau

indigène. En même temps le colonel Vincent pénétrait au centre de la ville, et refoulait les français dans le fort Laveaux et le petite fort. A la pointe du jour le général Capoix les canonna sans relâche. A dix heures, les adjudans-commandans Rippert et Boscus furent contraints de se diriger vers la plage pour s'embarquer, protégés par le feu de la corvette stationnaire. Le colonel Vincent leur livra combat sur le rivage, et les jeta dans la mer. Ce ne fut pas sans peine que Boscus et Rippert atteignirent la corvette. Trois cents prisonniers demeurèrent au pouvoir des indigènes.

Le général Capoix à l'intrépidité duquel était due cette éclatante victoire ne laissa pas se reposer ses soldats. Il voulut profiter de la terreur que la prise du Port de Paix devait avoir répandue parmi les blancs de la Tortue. Le même jour 13 avril, dans l'après midi, le colonel Vincent et le commandant Bauvoir s'embarquèrent avec le 3c bataillon de la 9e sur deux radeaux que remorquèrent plusieurs chaloupes. Les indigènes de la Tortue favorisèrent leur débarque. ment. Les soldats de la 9e parcoururent l'île dans toutes les directions, chassèrent les français de tous les points qu'ils occupaient et les contraignirent à évacuer la Tortue. Toutes les propriétés furent livrées au pillage, ensuite aux flammes. Les indigènes revinrent au Port de Paix, chargés de dépouilles. La ruine de l'hôpital de la Tortue enleva aux français le seul lieu qui leur restait pour envoyer leurs fiévreux, et leur fit perdre d'immenses magasins de munitions. Désormais leurs malades seroni entassés au Fort Liberté, au Cap et au Môle dans des établissemens étroits; respirant un air infect, privés d'une nourriture saine, ils succomberont la plupart. Rochambeau ne fit plus aucune tentative pour reconquérir la Tortue et le Portde Paix. Le canal qui s'étend entre cette ile et la grande terre, fut couvert de barges indigènes, et il devint impossible aux français de caboter entre le Môle et le Cap.

Rochambeau avait appris avec une profonde douleur la chute du Port-de Paix et de la Tortue. Il fit néanmoins publier plusieurs promotions faites dans l'armée, par les consuls de la République. C'était une consolation pour les infortunés soldats qui, la plupart, voyaient avec horreur, comme nous l'avons déjà fait observer, les crimes qui se commettaient au nom de la France. Le capitaine de frégate Jurien fut nommé capitaine de vaisseau; pour l'énergie qu'il avait déployée dans diverses attaques contre Léogane. Le citoyen Bauduy, capitaine des dragons du Cap, reçut un sabre d'honneur en recompense de sa valeur dans l'affaire du 23 Vendémiaire, au haut du Cap; et l'adjudant-commandant Claparède fut fait général de brigade en remplacement du général Desplanques, mort dans la colonie. Le général Rochambeau apprit, à cette époque, que des bâtimens de guerre anglais s'étaient montrés dans les eaux de St-Domingue pour vendre aux indépendans des armes et de la

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