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subsistances de l'armée et des habitans. Pour procurer l'unité d'action indispensable dans les momens difficiles, la colonie a été déclarée en état de siège. Des instructions conformes aux circonstances ont été adressées à tous les généraux divisionnaires. L'importation des comestibles a été affranchic de tous droits, et tous les ports de la colonie ont été ouverts au commerce étranger. Des ordres ont été donnés pour la plantation des vivres du pays dans tous les terrains occupés par nos troupes. Une nouvelle organisation s'opè re; la simplicité de sa composition et le choix des sujets garantissent sa droiture, son activité, sa prévoyance, et sa sollicitude pour l'armée. Le général en chef sait apprécier les privations déjà essayées par ses compagnons d'armes; elles peuvent s'accroitre encore; mais il ne compte pas moins sur leur constance et sur leur inébranlable. fermeté au poste qui nous est assigné par le premier cousul. Il se repose également sur la fidélité et le dévouement des habitans, et il attend, d'un intime concert, tout ce qui pourra contribuer à la conservation du territoire et à l'éclat du nom français.

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La guerre entre la France et l'Angleterre produisit une grande joie parmi les troupes indigènes, et accrut leur audace. Dessalines fut dès lors certain du succès de l'insurrection, et il redoubla d'activité pour précipiter l'évacuation des troupes françaises. Beaucoup de citoyens noirs et jaunes, qui, jusqu'alors avaient été fidèles aux blancs, parce qu'ils n'avaient pas foi dans le triomphe des armes indigènes, à cause de la puissance de la France, vinrent grossir l'armée indépendante. En effet, les vaisseaux de S. M. B. étant les maîtres de la mer, de nouvelles troupes ne pouvaient venir renforcer l'armée de St. Domingue. Celle ci placée entre les anglais et les indépendans devait avant peu capituler. Il ne faut pas croire cependant que les anglais aient été dans cette guerre véritablement les auxiliaires des indigènes. Ils vendaient à ceux-ci des munitions au poids de l'or; jamais un seul de leurs officiers ne s'est trouvé dans nos rangs, dirigeant nos opérations. Dessalines n'eût jamais reçu d'eux des secours en hommes. Se défiant de tous les européens, il disait sans cesse que tous les blancs se ressemblaient. Cette guerre maritime, sans laquelle les indigènes eussent néanmoins triomphé, fut pour nous une heureuse circonstance qui hâta l'évacuation des troupes européennes. Des hau.. teurs du Cap, les français découvraient sur la mer, les barges indigènes abordant les frégates anglaises, et leur vendant, pour de la poudre et du plomb, des ananas, des oranges, des légumes, de la volaille, du coton et du café.

Rochambeau délivra des lettres de marque à de nombreux corsaires qui étaient dans l'obligation de conduire dans les ports de la colonie Los prises qu'ils feraient, et d'accourir au secours du gouvernement

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contre les ennemis de l'Etat en cas de besoin. Quoique les français n'eussent plus en leur pouvoir des habitations en valeur, le capitaine-général publia un arrêté du conseil d'Etat de la métropole établissant à St-Domingue quatre chambres d'agriculture: au PortRépublicain, au Cap, aux Cayes, et à Sto. Domingo. Cet arrêté qui ne fut jamais exécuté excitait le rire des indigènes qui voyaient Rochambeau parler en souverain dans un pays où il n'avait plus, pour ainsi dire, que quelques camps.

On éprouvait, dans les villes, de plus en plus, les horreurs de la disette. Le capitaine général s'efforçait d'assurer à l'armée des subsistances, par de promptes mesures. Le citoyen Merceron, le général Thouvenot, Richelle, inspecteur général de la trésorerie nationale, l'ordonnateur en chef Perroud, Voisin, inspecteur général de la colonie, Lanchamp, receveur général, et Bizouard, payeurgénéral, réunis dans la salle principale de la Trésorerie-Générale, s'occupèrent des subsistances de l'armée. Rochambeau leur soumit un Arrêté des Consuls de la République, dont le premier article était ainsi conçu: A dater du premier Germinal prochain il sera » affecté chaque mois, à la colonie de St-Domingue, une somme » de deux millions. Sur cette somme un million sera envoyé dans » la colonie en piastres; sur l'autre million il sera ouvert un cré» dit au capitaine général, au préfet colonial, et au payeur.» leur donna aussi en communication une lettre du Ministre de la marine et des colonies, adressée au préfet colonial. Un des pas. sages de la lettre s'exprimait ainsi : Le bâtiment porteur de cette dépêche est chargé d'un million qui doit être mis à votre dispo»sition; car cet envoi se renouvellera tous les mois, ainsi qu'il » a déjà eu lieu pour le mois de Germinal. Vous êtes autorisé. » par le même Arrêté, à tirer des traites pour la somme d'un » million, chaque mois; elles seront exactement payées à Léchéan»ce, etc. Comme la guerre existait entre la France et l'Angleterre, il était probable que le million en numéraire ne pourrait arriver, chaque mois, à St-Domingue. Ces messieurs arrêtèrent en conséquence que, le capitaine général, le préfet colonial et le payeur général, mettraient en circulation des lettres de change, en remplacement du million en numéraire, pour la même valeur, pour les dépenses de l'armée de St. Domingue, outre les traites pour la somme d'un million que le préfet colonial était autorisé à tirer chaque mois. Cette décision reçut l'approbation du capitaine général qui le 20 Juillet la fit enregistrer à l'inspection générale de la colonie. Les obligations par lesquelles des particuliers s'étaient engagés à fournir de la farine au gouvernement pour le service des hôpitaux furent annulées par l'état de siège. Rochambeau pourvut à ce service par l'établissement d'une régie. Il nomma le citoyen Dat régisseur général du service des subsistances militaires. Tous les magasins, fours, établissemens

et usines du gouvernement furent mis à la disposition du régisseur général, excepté le grand magasin de la marine du Cap, et celui du Port Républicain. La régie n'acceptait le baril de farine qu'au poids de cent quatre vingts livres; la barrique de vin, de 240 pintes. Les distributions se faisaient à la présentation des bons qui étaient en circulation. Les frais de manutention, de fabrication, étaient à la charge du régisseur général qui recevait 20 centimes par ration complète. Rochambeau réorganisa ensuite l'administration générale. Il déclara le Cap Français résidence du quartier-général Idlinger qui, plus tard, fera dans sa patrie, un tableau fidèle de cet affreux gouvernement, fut nommé commissaire général de la marine, premier chef des bureaux de la préfecture.

Le général Thouvenot, chef de l'état-major, pour favoriser l'entréc de la viande de boucherie dans les villes occupées par l'armée, fit publier le 22 Juillet, la cessation des privilèges sur les boucheries, et la faculté accordée à chaque citoyen de vendre ou de tuer ies animaux, en se conformant aux règles de la police des villes. I publia aussi que les soldats ne recevraient désormais de rations de vin que tous les quatre jours, attendu que les magasins militaires se trouvaient peu approvisionnés. Cette dernière mesure que comman dait la nécessité excita dans l'armée un violent mécontentement. «La France, dirent hautement les soldats, nous avait elle envoyés à St.Domingue pour y rétablir l'esclavage? Sommes-nous les soldats du parti colonial? N'avons nous pas combattu, en Europe, pour la liberté de tous les hommes? Pourquoi remet-on en servitude les noirs et les gens de couleur? Ne sont ils pas français comme nous? N'ont ils pas eux aussi combattu pour la gloire de la patrie? Nous ne serions pas livrés aux horreurs de la famine, si le premier consul n'avait pas rétabli l'ancien régime; nous aurions avec nous contre les anglais les populations des campagnes. Bonaparte nous a envoyés ici à l'extermination; il redoutait le patriotisme des soldats du Rhin. Si nous avions à notre tête Moreau et Bernadotte, notre drapeau serait encore certainement celui de la liberté. » Le soldat jetait ses armes, menaçait les favoris de Rochambeau. Si les indigènes n'avaient pas proclamé qu'ils combattaient pour leur indépendance, les troupes européennes leur eussent peut être ouvert les portes du Cap. Ces paroles faisaient houneur au soldat français. Le général Clausel fut le seul officier qui pùt rétablir l'ordre dans les casernes. It exerçait une grande influence sur armée. Cette circonstance raviva la jalousie que Rochambeau depuis longtemps nourrissait contre lui.

En même temps, il se passait à la Petite Anse, près du Cap, des événemens de la plus haute importance: des négociations s'établissaient entre plusieurs chefs africains et les français. Comme nous l'avons vu, le parti de Petit Noël avait été presque anéanti. Les congos étaient san's cesse poursuivis par Christophe et Clervaux qui les at

teignaient au sommet des plus hautes montagnes. Un de leurs chefs, Cagnet que les français avaient gagné depuis longtemps proposa à Petit Noël Pierre de pactiser avec les blancs. Celui ci quoique en nemi implacable de Dessalines refusa de combattre contre les noirs indépendaus. I abandonna Cagnet et se retira presque seul au fond des bois. Mais Cagnet parvint à séduire Jacques Tellier. Ce dernier déclara à ses bandes qu'il était de l'intérêt des africains de se soumettre plutôt aux français qu'à Dessalines qui avait juré leur extermination. Les congos accueillirent sa proposition, et envoyèrent au Cap des députés qui furent amenés devant Rochambeau. Le capitaine général après avoir entendu l'objet de leur mission les flatta beaucoup, leur donna des sabres, des fusils magnifiques, et les renvoya en leur disant d'annoncer à leur chef que la Répupublique le reconnaissait colonel dans ses armées, et se portait garante de la liberté de tous les guerriers sous ses ordres. Peu de jours après Jacques Tellier fit proposer à Rochambeau d'ouvrir à la Petite Anse un marché où les congos viendraient vendre leurs vivres et leurs légumes. Les français accueillirent cette proposition avec empressement. Le drapeau tricolore flotta de nouveau dans les quartiers où dominaient les congos. Si Rochambeau avait eu sur les autres points de la colonie assez de troupes pour tenir les indigènes en échec, cet évènement qui prolongeait de nouveau au loin dans l'intérieur les avant postes français eût un peu retardé le triomphe de l'Indépendance. Car Dessalines suivi de l'armée de l'Ouest et de l'Artibonite n'eut pu comme un torrent se précipiter dans le Nord; et Romain et Toussaint Brave cussent été chassés de cette province. Les français auraient établi un cordon de St Raphaël aux Gonaïves. Rochambeau avait conçu ce plan aussitôt après la soumission des Congos à son autorite. Tels sont les résultats désastreux des divisions intestines en présence des forcés étrangères. Le parti vaincu n'attendant des vainqueurs aucune commisération aime mieux souvent trahir la patrie, que de se soumettre à la discrétion d'un ennemi implacable. Quand le salut de la patrie est menacé, toutes les querelles intestines doivent cesser, et la minorité vaincue doit se fondre dans le gros de la nation, et subir l'autorité de celui à qui la masse a confié le souverain pouvoir pour la sauver. Les partis ne doivent vider leurs querelles qu'après la disparition des baionnettes étrangères du sol de la patrie.

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Rochambeau résolut d'attaquer le général Romain qui établi sur les mornes Pelé et Lecurieux ravageait les environs du Cap, quoiqu'il fût sans cesse inquiété par les Congos. Le général Clausel fit ses dispositions pour le chasser de sa position. Le 24 Juillet, à la pointe du jour, le général Noailles se mit en campagne, à la tête de sa brigade, en suivant la route de la Petite-Anse; le général Claparède passa par les hauteurs

du Cap. Le général Clausel lui même sortit du Cap avec la colonne de réserve. D'après ses ordres Cognet et Jacques Tellier s'étaient emparés de la Tannerie pour couper la retraite à l'ennemi. Les trois colonnes françaises attaquèrent les indigènes simultanément. Après un combat sanglant les généraux Claparède et Noailles enlevèrent les retranchemens établis sur les mornes Pelé et Lecurieux. Romain se trouva cerné de toutes parts; il avait à sa droite Noailles, à sa ganche Claparède, en queue les Gongos, et en tête le général Clau· sel qui le foudroyait avec une forte artillerie. Il soutint impétuosité des français pendant deux heures sans être ébranlé. Mais écrasés sous la mitraille, les indigènes ne purent lutter plus longtemps contre des forces trois fois supérieures aux leurs. Ils battirent en retraite. Romain enleva les embuscades que les Congos avaient établies à la Tannerie, et se retira dans l'intérieur. Il avait laissé sept cents hommes sur le champ de bataille. Peu de prisonniers demeurèrent au pouvoir des français. L'indigène, quand il éprouvait un échec, trou vait presque toujours, pour son agilité et la connaissance qu'il avait des localités, le moyen d'échapper à la cavalerie; et quand la fuite Jui devenait impossible, il aimait mieux se donner la mort que de se rendre à un ennemi implacable. Le lendemain de la bataille, 25 Juillet, Clausel balaya toute la plaine du Nord et le carrefour du Morne-Rouge. I rentra au Cap avec un grand nombre de blessés. Cette bataille eut pour résultat d'éloigner les indigènes, pour quelques jours, des environs du Cap.

Le 25 Juillet, dans l'après midi, un grand nombre d'officiers fran çais se promenant sur la plage du Cap virent une frégate anglaise raflier, au navire que montait le commodore, un brick qu'ils prirent d'abord pour un américain. Une heure environ après, le brick se détacha du vaisseau amiral, arbora le pavillon français, passa devant le fort Picolet qu'il salua et entra dans le port. Les français eurent un moment de vrai bonheur; ils crurent que la paix avait été faite entre la France et l'Angleterre. Ils voyaient déjà les communications ouvertes avec la métropole et la colonie sauvée. Mais leur illusion fut de courte durée: le brick apportait le préfet colonial de Tabago qui avait capitulé avec les anglais, et qui, d'après les termes de cette capitulation avait obtenu la faculté de se rendre au Cap. Ii fut aceuci!li avec distinction par le capitaine général qui lui remit les rênes de la préfecture de la colonie. ti se mit aussitôt à travailler à l'émission de nouvelles lettres de change que le commerce accepta avec assez de confiance malgré les calamités qui frappaient chaque jour les européens.

Pendant cet intervalle Dessalines consolidait sa puissance dans l'Ouest. Dès qu'il fut certain du retour de Rochambeau au Cap, il se résolut à faire un voyage dans le Sud. La présence, au Port Républicain, du capitaine-général dont il redoutait l'audaco, l'avait jusqu'alors rc

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