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tenu dans la plaine du Cul-de Sac. I ordonna à Pétion de s'effor cer d'arrêter Lamour Dérance, pendant son absence, laissa les troupes de l'Artibonite et de l'Arcahaie campées à Roche-Blanche dans la plaine du Cul de-Sac, et partit pour le camp Gérard avec son étatmajor seulement. Il se rendit à la Coupe d'où il pénétra dans le département du Sud en passant par les montagnes. Il arriva, vers la fin de Juin, au camp Gérard, dans la plaine des Cayes, où Geffrard avait son quartier général. L'armée du Sud Taccucillit avec respect. Elle était forte de 10,000 hommes, infanterie et cavalerie. I la trouva parfaitement disciplinée. Il s'aperçut cependant que les préventions des citoyens de ce département contre lui ne s'étaient pas entièrement dissipées, et que Geffrard était dans l'armée Pobjet de la plus profonde vénération. Il pensa que ses intérêts, ainsi que ceux de la patrie, lui commandaient de se justifier des accusations dont il était l'objet. Le lendemain il réunit toutes les troupes, se plaça au milieu d'elles, et leur dit en créole les paroles suivantes qui sont demeurées gravées dans l'esprit des témoins de cette scène solennelle: Mes fières, après la prise de la Petite Rivière de l'Artibonite, sur les français, je fus proclamé général en chef de l'armée indépendante par les populations de l'Artibonite. Les généraux du Nord et de l'Ouest, mùs par Lamour de la liberté, oubliant les hai nes politiques qui les animaient les uns contre les autres, vinrent successivement reconnaître mon autorité. En acceptant le commandement en chef de mes frères, j'en ai senti l'importance et la haute responsabilité. Je suis soldat; j'ai toujours combattu pour la liberté; et si j'ai été pendant la guerre civile aveuglément dévoué à Toussaint Louverture, c'est que j'ai cru que sa cause était celle de la liberté. Cependant après la chute du général Rigaud, n'ai-je pas maintes fois usé de mon influence pour sauver une foule de braves que le sort des armes avait trahis et qui eux aussi avaient vaillamment combattu pour la liberté lorsque tous nos efforts tendaient à écraser le parti colonial. Beaucoup de ceux qui m'écoutent me doivent la vie; je m'abstiens de les nommer. Mes frères, oublions le passé; oublions ces temps affreux, alors qu'égarés par les blancs, nous étions armés les uns contre les autres Aujourd'hui nous combattons pour l'Indépon. dance de notre pays, et notre drapeau rouge et bleu est le symbole de l'union du noir et du jaune. Dessalines fat interrompu par toute l'armée qui s'écria: guerre à mort aux blancs. I continua : les factions qui pouvaient compromettre la cause de la liberté sont presque éteintes: Lamour Dérance, abandonné des siens, doit être arrêté à présent; Petit Noël Prière dans les hauteurs du Dondon ne commande plus qu'à quelques bandits. Je vais retourner dans ces quartiers, et je ferai rendre le dernier soupir à la faction expirante des congos. Vive la liberté ! L'armée répondit par des acclamations universelles. Dessalines reçut de tous les officiers supérieurs l'acco

Jade patriotique. Il fit brûler les brevets que Lamour Dérance avait envoyés à quelques officiers du Sud, et les remplaça par de nouveaux qu'il délivra lui même. Il nomma Geffrard, général de division, commandant en chef du département; Gérin, général de brigade, commandant de l'arrondissement de l'Anse-à Veau; Jean Louis Fran çois, général de brigade, commandant de l'arrondissement d'Aquin; Moreau Cocoherne, général de brigade, commandant de celui des Cayes; Férou, général de brigade, commandant de celui de Jérémie. Moreau Cocoherne et Férou avaient à conquérir les Cayes et Jérémie les chefs lieux des arrondissemens qu'on leur avait confiés. Dessalines forma ensuite, de toute l'armée du Sud, six demi brigades d'infanterie et une légion de cavalerie. L'ancienne 13e. fut réorganisée. Comme il existait déjà aux Gonaïves une 14e. demi brigade, Dessalines donna aux cinq autres corps du Sud, qu'il venait de former, les numéros, 15e., 16e., 17e., 18e. et 19e. La 13e. fut confiée au colonel Bourdet, homme de couleur; la 15e. au colonel Francisque, homme de couleur; la 168. au colonel Leblanc, homme de couleur ; la 170. au colonel Vancol, homme de couleur; la 18e, au colonel Bazile, noir; la 19. au colonel Giles Benech, noir. La légion de cavalerie fut confiée au colonel Guillaume Lafleur, noir.

Geffrard présenta à Dessalines Boisrond Tonnère, son secrétaire, le lui recommanda comme un homme instruit du patriotisme le plus ardent. L'attitude et le langage de Boisrond Tonnère séduisirent Dessalines qui l'attacha à sa personne. Le général en chef partit pour l'Ouest, accompagné de son nouveau secrétaire, après avoir adressé au curé des Cayes une lettre par laquelle il le chargeait d'annoncer aux citoyens de cette ville que, si la garaison française n'évacuait pas sur le champ, les indigènes, en y penetrant, détruiraient la place de fond en comble. Le général Brunet eût déjà évacué, s'il n'avait eu la certitude de l'existence de la guerre entre la France et l'Angleterre. Le brick de S. M. B le Pelican, qui croisait devant le port des Cayes, capturait tous les navires marchands qui en sortaient. Brunet prit la détermination qu'il ne réalisera pas de s'ensevelir sous les ruines de la place. Il nomma Lethon, administrateur des douanes, capitaine général de la garde nationale.

Pendant que Dessalines était au camp Gérard, dans le Sud Lamour Dérance était descendu,du Grand-Fond, dans la plaine du Cul de Sac, pour gagner à son parti les troupes que le général en chef y avait laissées. Il se transporta sur l'habitation Rocheblanche où elles avaient leur quartier général. Guerrier, colonel de la 7e demibrigade, ainsi que Destrade, chef de bataillon dans la 3e, avait reçu l'ordre de l'arrêter. Guerrier feignant de reconnaître en lui le général en chef de l'armée indigène, lui offrit aussitôt de passer les troupes en revue. Lamour Dérance, en parcourant les rangs, flatta beau coup les soldats qui observaient le plus grand calme. Quand il ar

riva au centre de la 3e. demi-brigade, il fut arrêté par le capitaine Coquia qui le fit aussitôt garrotter. Son état major, sans avoir fait aucun effort pour le dégager, prit la fuite et se dispersa dans les bois. Il fut conduit à Marchand, dans la plaine de l'Arti bonite, et y fut jeté au cachot. Peu de temps après, il succomba de chagrin et de privations. Son arrestation éteignit, dans l'Ouest, une faction dangereuse. On dut ce succès, qui n'exigea aucun sacrifice de sang, à la modération que Dessalines déploya, lorsqu'il envahit la plaine du Cul-de-Sac, en se soumettant aux sages avis du général .Pétion. La prudence de celui-ci, jointe à l'audace de Dessalines, a beaucoup contribué au triomphe de la guerre de l'indépendance.

La 3e. demi brigade se porta de Rocheblanche devant Léogane et renforça les troupes qui cernaient cette ville. Le général Cangé résolut de l'enlever par n'importe quel sacrifice. Les français, sans cesse assaillie, reconnurent l'impossibilité de se maintenir plus longtemps dans la place. Le commandant Laucoste avait succombé dans l'une des attaques que les indigènes avaient précédemment dirigées contre la ville. Le chef de bataillon Dolosié qui l'avait remplacé forma de toute la garnison un bataillon carré au centre duquel il plaça les bagages, les femmes et les enfans. Il sortit de Léogane avee quatre pièces de campagne. Le général Cangé l'attaqua vigoureusement; mais il ne put le rompre. Les français atteignirent le rivage on bon ordre, s'embarquèrent sur la frégate la Poursuisuivante. Les indigènes prirent possession de Léogane dont les français ne tentèrent plus de s'emparer.

Peu de jours après, Dessalines, sortant du Sud, arriva à Léogane. Il dirigea aussitôt des poursuites contre ceux des habitans de ce quartier qui avaient été dévoués à Lamour Déranes. Il fit arreter Mathieu Fourmi, partisan chaleureux du chef africain, et le fit acheminer sur Marchand.

De toutes parts, les indigènes ne reconnaissaient qu'une seule autorité, celle de Dessalines.

Le général en chef se mit en rapport avec les bâtimens de guer. re de S. M. B. qui louvoyaient devant le Port au Prince. Il envoya à bord du commodore, chef de l'escadre, un homme de couleur de Léogane, nommé Gourjon, qui parlait un peu l'anglais. Celuici acheta du commodore des armes et des munitions; les anglais furent payés en or et en denrées. Il revint à Léogane sous le feu de plusieurs chaloupes canonnières françaises. Dessalines lui offrit le grade d'adjudant général qu'il refusa, aimant mieux servir son pays confondu dans la foule des eitoyens. Ce fut alors que le capitaine du vaisseau anglais, le Thésée, fit connaître officiellement à Dessalines l'existence de la guerre entre la France et l'Angleterre. Le général en chef forma des gens de Léogane une demi-brigade

d'infanterie, de 1900 hommes, auquel il donna le numéro 21e. N venait d'envoyer l'ordre d'organiser à l'Artibonite une 20e. demi-brigade. Il se transporta ensuite avec Cangé, devant Jacmel qu'assiégait Magloire Ambroise. Il forma deux régimens des gens de ce quartier, les 22e. et 23e. et confia à Cangé la direction du siège de la place. Il se rendit ensuite au Petit Goâve, en forma un arrondissement dont il confia le commandement à Giles Bambara. Il confirma Lamarre dans le grade de colonel que lui avait donné Lamour Dérance et le maintint à la tête des gens du Petit Goåve dont il forma la 24e. demi-brigade.

En même temps, sur la demande du général Brunet, Geffrard consentait à ouvrir un marché aux portes des Cayes, au carrefour Drouet et au Pont-Gelé. Il y eut une trève de quinze jours pendant laquelle les français apportèrent à ce marché une grande quantité d'objets qu'ils échangèrent contre des vivres et de la viande. Comme les droits d'importation et d'exportation étaient devenus nuls par le fait de la guerre que supportaient les français et contre les anglais et contre les indigènes, le général Brunet ne pouvait payer les troupes de la garnison des Cayes. Celles-ci murmuraient, et commençaient à se livrer à des actes d'une sérieuse indiscipline. Pour subvenir aux pressans besoins de la garnison, Brunet emprunta au commeree une somme de 200,000 francs que vingt quatre négocians blancs furent obligés de fournir. Il établit ensuite une contribution de vingt cinq mille piastres ou 131,250 francs sur tous les marchands et propriétaires de la ville au prorata de leurs moyens.

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Après l'expiration de la trève, les hostilités recommencèrent entre Geffrard et les français.

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Le général Geffrard, aussitôt après l'ouverture du marché dont nous venons de parler avait ordonné au général Férou d'aller s'emparer de Jérémie, à la tête de sa division. Les troupes sous les ordres de Férou étaient sorties du camp Gérard dans les premiers jours de Juillet. Elles traversèrent rapidement le Figuier de la colonie, les Côteaux, et firent halte à Tiburon. Le jour qui suivit elles s'arrêtèrent aux Irois sur l'habitation Gauthier. 5 Juillet. colonel Bazile de la division Férou qui avait suivi une autre route deboucha à l'Anse d'Hainault. Le géneral Ferou vínt l'y joindre. Les troupes de Bazile formant l'avant garde marchèrent sur le camp Bourdon qu'occupaient trois cents français. Bazile à la tête de mille huit-cents hommes, les assaillit au moment qu'ils évacuaient le camp. Il les dispersa et en tua un grand nombre. I cerna ensuite un détachement qui occupait l'habitation Bayard. Les blancs mirent bas les armes, et furent passés au fil de l'epée. 19 Juillet. Le colonel Bazile, continuant rapidement sa marche pendant la nuit du 19 au 20 Juillet, atteignit le poste Ma

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franc, armé d'une pièce de 4, qu'occupaient 500 français. Dès que les indigènes entrèrent dans la rivière qui coulait non loin du fort, ils reçurent un coup de canon à mitraille. Ils la traversèrent sous le feu de l'ennemi, et gagnèrent la rive opposée. Les français évacuant la position furent vigoureusement attaqués. Ils se défendirent avec un rare courage jusqu'au lever du soleil. Alors ils abandon. nèrent la pièce de 4, se dispersèrent par petits pelotons, et allė. rent se réunir sur l'habitation Gérin d'où ils prirent la route de Jérémie sans être inquiétés. 20 Juillet. En même temps, Voltaire et Thomas Durocher faisaient prisonniers 60 blancs de Jérémie, commandés par un nommé Ferrare, qu'ils avaient cernés sur l'habitation Durand, au Fond Bleu, dans les hauteurs du Corail. Les blancs furent sacrifiés jusqu'au dernier, malgré les efforts que fit Thomas Durocher pour les sauver. Bazile réunit tous les cultivateurs du quartier de la Grande-Rivière, dont le chiffre s'élevait à trois mille hommes. Il s'approcha de Jérémie où commandait Fressinet. Celui ci lui demanda, par une lettre, une suspension d'armes de dix jours, lui promettant qu'après l'expiration de la trève, il évacuerait la place. Bazile envoya sa lettre au général Férou qui avait son quartiergénéral à quelques lieues de Jérémie. Férou consentit à la trève, et ordonna a Bazile de se tenir à Fouache pendant les dix jours qu'elle durerait. Comme les français n'avaient pas encore évacué, la date du 1er Août, Férou envoya l'ordre à Bazile d'assiéger la ville. Le lendemain il vint à l'armée pour diriger les opérations du siège. Les français qui attendaient un brick du Port Républicain obtinrent que la trève fût prolongée jusqu'au 4. Dans la matinée du 4, Fressinet ne voyant pas de navire arriver du Port au-Prince, embarqua la garnison blanche sur les bâtimens qui étaient en rade, et appareilla, laissant la ville garnie de son materiel de guerre. Dans l'après-midi, le général Férou entra à Jérémie. Le même jour, le général Geffrard y arriva par le chemin du Bac. Il avait laisse au général Gérin le commandement des troupes qui cernaient les Cayes. Il se conduisit à Jérémie avec la plus grande modération, et ap. prouva Férou d'avoir consenti à la capitulation des troupes françaises. Le général Fressinet fut capturé par les bâtimens de guerre anglais, et conduit prisonnier à la Jamaïque. Geffrard envoya le commandant Lafrédinière prendre possession de Pestel que Léveillé, chef des volontaires de la montagne du Petit Trou, voulait saccager de fond en comble. Quelques semaines après, le chef d'escadron Bonnet arriva de l'île de Cube à Jérémie. Geffrard l'accueillt avec distinction et l'envoya dans l'Ouest auprès de Dessalines. Celui-ci le nomma adjudant-général dans son état major. Bonnet, après la chute de Rigaud, s'était refugié à St. Yague de Cube. A l'arrivée de l'expedition de Leclerc, il était revenu dans la colonie, comme nous avons vu, avec une foule d'autres officiers du Sud.

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Après

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