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sition souvent délicate et difficile dans laquelle le fait qui y donne lieu place l'avoué, c'est celle de savoir s'il peut être condamné aux dépens d'un procès par lui conseillé. En thèse générale, soumettre l'avoué à une responsabilité quelconque pour le non-succès d'un procès qui aurait été entamé et poursuivi d'après ses conseils ou son avis, ce serait le frapper d'une rigueur exorbitante; ce serait exiger de lui une science universelle et infaillible; ce qui serait absurde.

Aussi nous pensons qu'il faut décider dans un cas pareil, comme l'a reconnu la Cour de Cassation elle-même, qu'un avoué ne peut être condamné personnellement aux dépens d'un procès qu'il aurait conseillé, à moins qu'il ne soit reconnu en fail, et constaté par le jugement, que le conseil de plaider a été donné insidieusement et de mauvaise foi. (13 juill. 1824, J. A., t. 27, p. 5.) (1)

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ou

Registres. Aux termes de l'art. 151 du décret du 16 février 1807, tous les avoués sont tenus d'avoir un registre coté et paraphé par le président du tribunal auquel ils sont attachés, par un des juges du siége, par lui commis, sur lequel ils doivent inscrire eux-mêmes, par ordre de date et sans aucun blanc, toutes les sommes qu'ils reçoivent de leurs clients. Ils sont tenus de représenter ce registre toutes les fois qu'ils en sont requis, et qu'ils forment des demandes en condamnation de frais; et, faute de représentation ou de tenue régulière, ils doivent être déclarés non recevables dans leur demande. Ce registre doit être timbré (2). (Décision ministérielle du 7 nov. 1821.)

de faire les notifications, il devait être tenu des nullités ou de l'inaccomplissement de cette formalité. Nous ne pouvons adopter cette doctrine, d'abord par les raisons que nous avons données plus haut, et ensuite parce que l'acceptation d'un mandat pareil de la part d'un avoué était subordonnée à la condition imposée par la loi elle-même, que ce serait par un huissier commis à cet effet que les notifications auraient lieu. (J. A., t. 23, p. 119.)

Mais nous approuvons au contraire la décision de la Cour royale de Paris, par laquelle elle a condamné aux dépens et même suspendu de ses fonctions l'avoué qui a conseillé et dirigé une saisie, pour des dépens seulement sur les immeubles d'une femme, au nom du mari, et pendant que la communauté existait encore. (1er août 1820, J. A., t. 20, p 561, no 652.) L'avoué, dans ce cas, avait fait preuve d'une impéritie trop manifeste; il ne pouvait ignorer que la condamnation aux dépens prononcée contre la femme au profit du mari ne peut être exécutée qu'après la dissolution de la communauté. C'était donc le cas de lui faire l'application des art. 1030 et 1031. C. P. C.).

(1) C'est ainsi qu'il y aurait lieu de condamner aux frais frustratoires l'avoué qui, étant le conseil de toutes les parties, a engagé dans un but de chicane et dans son intérêt personnel une poursuite en saisie immobilière. (Cass., 25 février 1834.)

(2) L'idée de cette obligation imposée aux avoués a été prise dans l'article 44 de l'ordonn. de Charles VII (avril 1453), ainsi conçu: «Et pour ce

La Cour royale de Paris a décidé (22 juillet 1815) que ce registre d'un avoué, dans lequel se trouvait mentionné un paiement de frais fait par l'adversaire de son client, ne peut faire foi contre cet adversaire ni en général contre les tiers dans le cas surtout où la mention deviendrait un titre en faveur de șa partie. (J. A., t. 5, vo Avoué, no 73.) Cette décision est conforme aux principes généraux de notre droit sur la valeur des titres. Dans l'espèce, l'avoué, en présentant son registre et la mention y consignée du paiement des frais d'un jugement d'ordre par l'adversaire, en voulait faire résulter qu'il y avait exécution de ce jugement par ce dernier. Si un tel système avait pu être adopté, il aurait posé comme principe qu'on pouvait se créer à soi-même un titre.

Les avoués sont-ils forcés de déposer en justice sur les faits qui leur sont révélés? La discrétion est une des premières vertus de celui dont la profession attire la confiance. Trahir un secret, c'est manquer à son devoir. Aussi les avoués ont-ils toujours été classés parmi ceux auxquels une confiance nécessaire, de la part des parties, impose le silence le plus absolu; l'accomplissement d'un devoir aussi impérieux ne pouvait pas être négligé par le législateur, et l'art. 378 C. Pén. en contient tout à la fois le précepte et la sanction. GLANDAZ,

Ancien président de la Chambre des Avoués.

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Réflexions sur le projet de loi relatif aux tribunaux de première instance, soumises à MM. les pairs de France, par le corps des avoués près le tribunal de première instance de Nancy (Meurthe).

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Si vous examinez les formalités de la justice par rapport à

» la peine qu'a un citoyen à se faire rendre son bien, vous en » trouverez sans doute trop; si vous les regardez dans le rapport qu'elles ont avec la liberté et la sûreté des citoyens, vous en

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» trouverez souvent peu, et vous verrez que les peines, les dé-
penses, les longueurs, les dangers même de la justice sont le
prix que chaque citoyen donne pour sa liberté.
(MONTESQUIEU, Esprit des Lois, liv. vi, ch. 2.)

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Le projet de loi, actuellement en discusion, sur les tribunaux de pre

que souventes fois advient que, après le trépassement des procureurs, leurs héritiers demandent grande taxe et salaires, et ainsi les héritiers demandent souvent ce qui a été payé auxdits procureurs, voulons, ordonnons que lesdits procureurs fassent dorénavant registre de ce qu'ils auront et recevront des parties, et ne soient reçus à faire mesmement de paravant un an ou deux, sans grande et évidente cause ou presomption.

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Sous l'empire de cette législation, il a été jugé par la Cour de Cassation que l'héritier d'un ancien procureur, qui réclame contre les clients de son auteur, doit présenter à l'appui de sa demande un registre tenu dans les formes prescrites. (23 vent, an 10, J, A., t. 5, vo Avoué, no 6.)

:

mière instance, excite, au plus haut degré, la sollicitude des magistrats et des officiers ministériels attachés aux Cours et tribunaux des magistrats, parce que, dévoués exclusivement à la bonne administration de la justice, qui fait leur gloire, ils s'inquiètent si le projet de loi ne nuira pas autant à leur considération qu'aux intérêts des justiciables; des avoués, parce que, jaloux également de la bonne administration de la justice, qui leur donne aussi, à eux, de la considération, ils ont les mêmes craintes, et, de plus, voient leurs intérêts personnels menacés, de la manière la plus grave, par le projet de loi proposé.

Il y a assez de désintéressement chez les avoués, quoi qu'on en puisse dire, sur la foi de l'on ne sait quel vieux préjugé, pour que l'on soit assuré qu'ils accepteraient, sans mot dire, et comme un bienfait pour les justiciables, le projet de loi, si ce projet atteignait le but qu'on se propose; mais quelques mots vont démontrer qu'il est, non-seulement inutile, mais encore dangereux ; et que la moindre chose qu'on puisse lui reprocher, c'est d'être l'une des mille utopies rêvées pour le bien-être des hommes.

Nous ferons donc porter nos observations sur deux points : 1o l'inutilité, les inconvénients et les dangers même de l'article premier du projet de loi; et 2o le préjudice énorme que son adoption causerait aux avoués de première instance.

Nous prévoyons bien qu'on va nous dire que nous sommes intéressés à la question, qu'ainsi il faut se défier de ce que nous allons avancer. Nous ne nions pas notre intérêt au rejet de l'article premier du projet de loi; inais qu'importe de qui viennent les observations si elles sont raisonnables et justes!

Nous n'avons pas la prétention de dominer la question de bien haut: nous laissons aux esprits plus élevés le soin de le faire; il s'en trouvera assez pour montrer les sommets des écueils sur lesquels devra échouer ce malencontreux article; mais il nous appartient, à nous praticiens, d'en découvrir la base.

Nous n'avons à nous occuper que du premier article du projet, lequel est ainsi conçu: « Les tribunaux civils de première instance connaîtront, en » dernier ressort, des actions personnelles et mobilières jusqu'à la valeur » nominale de 1500 fr., en principal; et des actions immobilières jusqu'à » 60 fr. de revenu, déterminé, soit en rente, soit par prix de bail.

» Ces actions seront instruites et jugées comme matières sommaires. » L'auteur de ce projet s'est trop préoccupé, s'est même exclusivement préoccupé, peut-être, de ce qui se fait à Paris, Paris exceptionnel en toutes choses; mais s'il avait eu connaissance de ce qui se passe en province, s'il avait su que là la fortune des deux tiers, au moins, des habitants n'atteint pas 1500 fr.; s'il avait jeté les yeux sur le compte rendu de l'administration de la justice civile en France, et comparé le nombre des jugements réformés avec celui des jugements maintenus sur l'appel, il aurait reculé devant l'idée d'interdire la voie de l'appel contre un jugement évidemment surpris à la religion des juges, et qui peut consommer la ruine totale d'un citoyen; il aurait reculé devant l'idée de faire juger, sans procédure ni formalité, c'est-à-dire sans garantie suffisante, une cause d'où dépend la fortune entière d'une famille.

Ce serait sortir de notre sujet que de faire valoir les nombreuses et puis

santes raisons qu'il y a de permettre l'appel pour toute espèce de causes, de sommes et de valeurs; nous nous bornerons donc à examiner le dernier paragraphe de l'article premier qui voudrait que les affaires, soit per sonnelles, soit réelles, jugées en dernier ressort, le fussent encore comme matières sommaires; ce paragraphe, enfin, qui enlève toutes les garanties que le jugement sera bon, comme corollaire du premier paragraphe qui ôte tout moyen d'en revenir, s'il est mauvais.

Il y a une relation intime entre le premier paragraphe de l'article premier et le dernier, puisque l'affaire réelle sera en matière sommaire si elle est en dernier ressort; voyons donc s'il y a moyen, dans l'immense majorité des cas, de considérer une affaire réelle quelconque comme susceptible d'être jugée en dernier ressort; s'il y a moyen, par conséquent, de l'instruire et de la juger comme matière sommaire.

La loi du 24 août 1790, titre 4, article 5, contient une disposition sem. blable à celle du paragraphe premier du projet de loi, à l'exception qu'elle est restreinte à 50 livres de revenu déterminés soit en rente, soit par prix de bail.

Voilà tout près de cinquante ans que cette loi est rendue, et cependant l'article que nous venons de citer n'a pas encore pu être exécuté; il a été frappé d'impuissance en naissant relativement aux actions réelles; on a reculé, en effet, devant les moyens auxquels il aurait fallu avoir recours pour constater légalement et équitablement le revenu de l'immeuble litigieux; et, faute de cette constatation préalable, toutes les affaires réelles ont, jusqu'à présent, été jugées en premier ressort, comme indéterminées; la jurisprudence est constante sur ce point, et elle sera encore la même si le projet de loi passe tel qu'il est présenté.

Mais si, dans le but de remédier à cet état de choses, que l'on appellera peut-être un abus, tandis que, dans la pratique, on le nomme un bien, on proposait, par voie d'amendement, quelque moyen d'arriver à la constatation préalable de la valeur du litige, ces moyens ne peuvent être qu'au nombre de cinq: ou l'on forcera les parties à produire leurs titres contenant fixation de la rente ou du prix du bail; ou l'on forcera le demandeur à évaluer cette valeur dans son exploit de demande; ou les tribunaux feront d'office l'évaluation; ou elle se fera par experts; ou bien enfin on prendra pour base du revenu la contribution foncière. Ce dernier moyen, présenté à la Chambre des députés, a été rejeté comme impraticable; mais, comme on peut vous le représenter, Messieurs les Pairs, nous allons l'examiner avec les quatre autres.

1o On exigera l'exhibition des titres; mais si on se refuse à les montrer, s'il n'y en a pas, si le bail est verbal, comme il peut l'être, comment forcera-t-on les parties à parler? entendra-t-on, comme témoins, les fermiers ou les colons partiaires? Mais, en morale, peuvent-ils déposer pour ou contre leurs maîtres? Quel mode emploiera-t-on, en tous cas, pour recevoir leurs dépositions? ce ne peut être que celui d'une enquête sommaire à l'audience; mais il faut préalablement un jugement qui ordonne cette enquête ; il faut le lever, le signifier à avoué, dénoncer le nom des témoins à l'adversaire, assigner les témoins en leur donnant copie du dispositif du jugement, les entendre, dresser procès-verbal, ou, au moins, tenir des notes sommaires de leurs dépositions; les payer à raison de 2 francs cha

cun, outre 3 francs par myriamètre de distance entre leur domicile et le lieu où siége le tribunal; enfin il faudra un jugement sur cette enquête pour fixer la valeur du revenu. Tout cela coûtera, peut-être, autant que les frais de l'appel qu'on veut interdire; en tout cas, cela coûtera deux ou trois fois plus que les frais de l'affaire instruite comme matière ordinaire. 2o Le demandeur ne peut être obligé à évaluer lui-même la valeur du droit réel qu'il discute; en effet, s'il veut se réserver l'appel, il exagérera le revenu; s'il veut l'interdire à son adversaire, il le diminuera; dans tous les cas, si nous supposons que les parties ne tombent pas d'accord sur l'évaluation du revenu, il faudra une expertise; nous en signalerons tout à P'heure les immenses inconvénients.

3° L'estimation d'office par le tribunal est impossible; il ne faut pas, en effet, que ce soit lui qui fixe sa compétence, celle-ci est d'ordre public: elle doit être écrite dans la loi; les tribunaux, d'ailleurs, doivent être à l'abri du soupçon de donner au litige telle ou telle valeur selon qu'ils redouteraient ou non l'appel. Enfin, si les trois juges avaient chacun un avis différent, comment les départagerait-on?

4. L'estimation par experts exposerait à une longue suite de procédures dispendieuses que nous allons analyser : le tribunal ordonnera que l'estimation ait lieu par les experts dont les parties conviendront, sinon par ceux que désignera le jugement; il faudra, si l'on s'en tient à ce jugement, le lever, le signifier à avoué, et, peut-être, à partie, prendre jour pour le serment des experts, les assigner, dresser le procès-verbal de la prestation de leur serment, s'en faire donner expédition, si les adversaires n'assistaient pas à cette prestation, et la leur signifier, avec sommation de se trouver à l'opération; il faudra déposer le procès-verbal de celle-ci au greffe, le faire expédier, le signifier, revenir à l'audience pour le faire homologuer, lever et signifier le jugement d'homologation; et ce n'est qu'après ces formalités, que pourront s'engager les débats au fond.

Que sera-ce donc si l'un des experts est dans le cas d'être récusé? Il faudra faire juger la récusation, ce qui peut entraîner une enquête pour prouver le fait sur lequel on la fonde; ainsi, il peut arriver qu'il faille un premier jugement pour nommer les experts, un second pour ordonner l'enquête sur les faits qui motivent la récusation, un troisième pour statuer sur celle-ci, et un quatrième pour homologuer l'expertise. Ainsi, voilà quatre jugements possibles avant d'arriver à plaider au fond. Tous ces jugements, qui n'auront pas fait faire un pas à l'instruction de la cause, coûteront bien certainement plus que l'appel; le perdant ne pourra pas tenter cette voie, et il paiera plus de frais que s'il l'avait suivie; en tout cas, ce moyen, plus encore que le premier, coûtera, peut-être, quatre fois plus de frais que n'aurait coûté l'instruction de la cause faite en matière . ordinaire. Ajoutez encore à ces frais ceux des démarches et voyages des parties, pour assister à ces trois ou quatre jugements ; et calculez le temps perdu.

Nous ne chargeons pas ce tableau; tous les hommes qui pratiquent la procédure en reconnaîtront l'exacte vérité; car il ne fait que retracer les forinalités que le Code de procédure indique, et qu'il faudra bien suivre, puisqu'il n'est pas question de modifier en cela ce Code, et l'entêtement de certains plaideurs se chargera souvent de le réaliser.

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