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encombrante. Alors survinrent les découvertes des riches gisements d'or de la Californie et de l'Australie. Dans les premières années qui suivirent ces éblouissantes trouvailles, on crut volontiers que ces deux Eldorados seraient inépuisables et il en résulta une baisse sensible de l'or. Le rapport de valeur entre les deux métaux tomba au-dessous de 1 à 15 1/2, et la monnaie d'argent à son tour devint rare. On se hâta de combler le vide qu'elle menaçait de laisser en frappant des pièces d'or de 10 fr. et même de minuscules et incommodes pièces de 5 fr., mais c'était une précaution inutile. Au lieu de répandre sur le monde des flots d'or sans cesse grossissants, la production aurifère de la Californie et de l'Australie alla diminuant et elle devint en outre de plus en plus chère, tandis qu'on découvrait au contraire, dans le Nevada, le Colorado, le Nouveau-Mexique, des mines d'argent d'une richesse et d'une facilité d'exploitation extraordinaires. A dater de ce moment, l'argent a été constamment en baisse de 15 1/2 à 1 relativement à l'or, sa valeur est tombée successivement à 16, 18, 20, elle est actuellement de 22 environ et elle pourrait bien descendre encore plus bas. Cette chute a été accélérée, à la fois, par la démonétisation de l'argent en Allemagne et par le goût de plus en plus prononcé que manifeste le public consommateur pour la monnaie d'or et les gouvernements pour le papiermonnaie. La monnaie d'argent est en train de passer à l'état de vieille machine. Tandis que la production du métal blanc s'accroit, grâce à l'augmentation des facilités de l'extraction et à la protection artificielle du Bland bill aux Etats-Unis, son débouché naturel menace de se réduire aux proportions du medium circulans nécessaire aux petits échanges, c'est-à-dire à un simple accessoire.

Cela étant, qu'arriverait-il si la frappe illimitée de l'argent venait à être rétablie ? Comme, en vertu de la loi de l'an XI, on pourrait payer ses dettes indifféremment en francs d'argent et en francs d'or, et comme le franc d'argent vaudrait de 25 à 30 0/0 de moins que le franc d'or, on le préfèrerait naturellement pour cet usage. L'or disparaîtrait de la circulation et serait remplacé par l'argent, comme il l'a été avant les découvertes des placers de la Californie et de l'Australie. Une pièce de 20 fr. deviendrait une rareté. N'en déplaise aux bi-métalistes, nous n'aurions pas plus de monnaie; seulement nous aurions une monnaie affaiblie, exactement comme si le gouvernement aux abois avait émis un papier-monnaie déprécié. Au lieu des 3 milliards d'or environ qui sont employés aujourd'hui au service. des échanges, nous aurions 4 milliards d argent, mais qui ne vaudraient pas plus que 3 milliards d'or. Cette substitution du métal blanc au métal jaune pourrait sans doute faire le bonheur des pro

priétaires de mines d'argent et des directeurs intéressés des hôtels des monnaies : elle permettrait, en outre, au gouvernement de faire une faillite légale, sinon honnête, aux porteurs des titres de sa dette, auxquels il paierait leurs arrérages avec une monnaie affaiblie d'un quart, sauf à ces odieux capitalistes à se dédommager au prochain emprunt. Mais, à part les débiteurs à long terme, la généralité des consommateurs, obligés désormais de revenir à la vieille et incommode machine monétaire de leurs grands parents, regretteraient la monnaie d'or. Ajoutons que le mal ne serait pas conjuré si l'on substituait au rapport légal et fictif de 15 12 à 1 le rapport réel existant aujourd'hui de 22 à 1. D'abord, l'établissement de ce rapport rendrait indispensable la refonte de la monnaie; il faudrait diminuer d'un quart le poids des pièces d'or ou augmenter d'un quart le poids des pièces d'argent, ce qui ne les rendrait pas plus agréables à manier. Ensuite, le rapport aurait beau être déclaré fixe et immuable en vertu d'une loi émanée des représentants du suffrage universel, il ne tarderait pas à varier encore une fois selon sa détestable habitude. On peut même prévoir que ses variations seraient. plus nombreuses que jamais. Chassé de France, l'or affluerait dans les pays à étalon d'or, notamment en Angleterre et en Allemagne, et son affluence l'y ferait baisser. Cette baisse se traduirait par une hausse correspondante de l'argent. Le rapport de 22 à 1 descendrait à 20, et peut-être plus bas. Alors, la circulation subirait une nouvelle série de perturbations jusqu'à ce que la production de l'argent, encouragée par la hausse, eût assuré d'une manière définitive, dans les pays à double étalon, la victoire rétrograde du métal blanc sur le métal jaune.

III

Nous avons l'espoir que ces perturbations seront épargnées au public consommateur de monnaie, et que les gouvernements de l'Union latine se refuseront résolument à entrer dans la voie où les poussent les bi-métallistes. Il leur suffira pour cela de proroger indéfiniment la convention monétaire et, indéfiniment aussi, l'interdiction de la frappe de la monnaie d'argent. Nous ne nous dissimulons pas, à la vérité, l'inconvénient que présente dans les pays de l'Union latine l'existence d'une masse de monnaie d'argent, fort supérieure aux besoins de la consommation. Ça été une faute, à l'époque où la dépréciation de l'argent a commencé à s'accentuer, de continuer à autoriser la frappe des pièces de 5 fr. Cette faute, M. Frère-Orban reproche avec raison à M. Malou de l'avoir commise,

mais M. Malou n'a pas été seul à la commettre. A l'exception de la Suisse, les gouvernements de l'Union latine ont continué beaucoup. trop longtemps à permettre la frappe de l'argent. L'interdiction. complète prononcée seulement en 1876 aurait dù l'être trois ou quatre ans plus tôt. Mais c'est une faute sur laquelle il n'y a pas à revenir et qui, comme toutes les fautes, porte sa peine avec elle. Il faudra tôt ou tard que les gouvernements qui l'ont commise se décident à la réparer à leurs frais et dépens, en retirant de la circulation l'excédent de la monnaie d'argent. A quelle somme se monte cet excédent et quelle sera, par conséquent, la perte qu'infligera à la France, à la Belgique et à l'Italie, le retrait et la mise au creuset des pièces de 5 fr. surabondantes? Nous ne pouvons faire à cet égard que des conjectures. Mais nous croyons que cette perte pourrait être sensiblement atténuée si, dès à présent, on avisait aux moyens d'agrandir le débouché des pièces de 5 fr. à frappe limitée de l'Union latine. On pourrait par exemple élargir leur débouché intérieur en retirant totalement les pièces d'or de 5 fr. dont le public consommateur de monnaie ne veut pas, et en partie les pièces de 10 fr. qu'il apprécie peu et dont les pièces de 5 fr. d'argent prendraient la place. On pourrait encore et surtout agrandir dans de larges proportions le débouché extérieur et international de l'argent de l'Union latine, en revenant sur la dernière concession imprudemment faite au gouvernement belge et en déclarant que les gouvernements associés de l'Union se rendent solidairement garants des pièces de 5 fr. d'argent frappées à leurs effigies respectives.

Quoique, suivant l'observation de J.-B. Say, les produits se payent toujours en définitive avec des produits, il arrive, surtout lorsqu'une nation a besoin d'une quantité extraordinaire d'un article de nécessité, que les retours ne puissent se faire immédiatement et en totalité en marchandises. Jadis, les métaux précieux, monnayés ou non, servaient seuls à combler la différence; depuis que les valeurs de toute sorte se sont multipliées, elles remplissent cet office conjointement avec eux. Métaux précieux et valeurs reviennent ensuite le plus souvent à leur point de départ, quand l'équilibre s'est rétabli entre les échanges. Mais, dans ces derniers temps, l'instabilité de la valeur de l'argent lui a enlevé ce rôle de convoyeur auxiliaire des échanges internationaux pour l'attribuer exclusivement à l'or. Cependant, en admettant que la valeur de la pièce de 5 fr. fùt solidement. assise sur celle de l'or, comme elle le serait si les gouvernements de l'Union s'engageaient à la garantir, au lieu de laisser indécise la question du remboursement ou même de laisser supposer qu'ils abandonneront à la charge du public tout ou partie de la depré

ciation, l'argent pourrait aussi bien que l'or être employé à ce service. Le transport n'en serait pas sensiblement plus coûteux, et, le risque de dépréciation se trouvant complètement écarté, la sécurité des porteurs serait désormais entière. Qui sait même si cette monnaie d'argent, dont la valeur serait assurée contre la dépréciation actuelle et de plus en plus marquée du métal, ne trouverait pas sur les marchés de l'extrême Orient et de l'Afrique le débouché qu'ont possédé si longtemps, pour une raison analogue, les piastres mexicaines et les écus frappés à l'effigie de Marie-Thérèse ? Cet accroissement probable du débouché de l'argent monnayé de l'Union n'atténuerait-il pas, au moins dans une certaine mesure, les conséquences de la trop longue prolongation du monnayage illimité?

Nous devons convenir, toutefois, que cette solution si simple de la question monétaire pourrait bien ne plaire ni aux producteurs et aux marchands d'argent, ni aux bi-métallistes et autres théoriciens de l'école de Philippe-le-Bel; mais ne serait-elle pas conforme à l'intérêt qui doit prédominer en matière de monnaie comme en toute autre celui du public consommateur?

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LES TRAVAUX LÉGISLATIFS DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

(OCTOBRE 1888 MAI 1889).

I

La plupart des gens qui sentent leur fin venir ont l'habitude de mettre quelque ordre dans leurs affaires. Comme leur vie doit être bientôt jugée, ils s'essaient à laisser derrière eux la moins mauvaise réputation possible, à réparer leurs fautes, parfois à les confesser. Les assemblées politiques, irresponsables par nature, n'ont généralement ni cet amour propre, ni cette franchise. Elles ignorent ces soucis et ne lèguent guère aux assemblées qui les remplacent que l'exemple de leurs fautes. Cela a été chez nous un même recommencement depuis un siècle, une même lutte contre la liberté économique. Si la procédure politique a subi de grands changements, le fond de l'esprit parlementaire est demeuré tel et nous a ramenés tranquillement à l'ancien régime. Une assemblée, l'Assemblée nationale, élue à la suite des terribles revers de 1870, instruite par le malheur, n'en a pas moins voté, in extremis, de grands travaux, prélude des entreprises gigantesques dont l'exécution est venue, plus tard, nous aider à rétablir, comme on le sait les finances de la France.

La Chambre qui s'en va n'a pas, autant qu'on s'est plu à le dire, profité de l'exemple de ses devancières. Elle a eu quelquefois, il est vrai, des vertus d'eunuque. Elle a moins gaspillé sous la pression de l'inéluctable nécessité. Mais comme elle a su tirer parti des bonnes fortunes que lui envoyait le hasard! Dès qu'un petit excédent de recettes se manifestait dans les rentrées d'impôts, les joueurs de flûte attaquaient le chant de gloire, et sur quel mode! L'inquiétude électorale nous a valu toutes ces belles chansons, car si les assemblées passent, leur personnel reste et tient à rester. N'a-t-il pas des motifs puissants pour garder le pouvoir? Considérez les protectionnistes. Ni les émotions politiques de cette dernière année parlementaire, ni la victoire complète, ni les attractions du Champ de Mars, n'ont pu calmer leur ardeur. Ils se précipitaient encore dernièrement sur les viandes fraiches importées de l'étranger, avec un acharnement de néophytes. Et pourtant ils sont les maîtres. Le phylloxera en leur livrant le midi leur a livré toute la France. Nos docteurs politiques ont prononcé la France est protectionniste.

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