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M. H. Joly a présenté un fragment sur L'accroissement de la criminalité chez les enfants mineurs.

En cinquante années, les prévenus de moins de 16 ans ont augmenté de 140 010, ceux de 16 à 21 ans de 240 010; aussi l'on peut dire que c'est l'adolescence et non point l'enfance proprement dite qui a le plus perdu. Cette précocité ne tient pas à un développement plus hâtif des facultés, bien que la prédominance de plus en plus grande des habitants des villes donne des enfants plus éveillés et accessibles à des excitations plus nombreuses. Mais plus la criminalité des adultes s'accroit plus est grand le nombre des enfants dont les parents ont été en prison. L'éducation peut triompher des fatalités apparentes de la naissance; l'école résiste heureusement aux causes d'aggravation en préservant les enfants du vagabondage et de ses suites. Mais au-delà de 16 ans les résultats heureux obtenus depuis peu s'arrêtent. La cause en est que les enfants se classent de moins en moins bien dans les professions, par conséquent dans la société; c'est une suite de la décadence malheureuse où est tombé l'apprentissage.

Plusieurs autres communications ont été faites par des savants étrangers à l'Académie: M. Fagniez a lu un travail sur le Père Joseph et Kichelieu, M. Huit, une étude sur les lettres attribuées à Platon; M. Bénard, une autre sur Epicure et ses disciples; M. Picavet, un travail sur La philosophie de Maine de Biran de l'an IX à l'an XI d'après les deux Mémoires sur l'habitude découverts aux archives de l'Institut.

IV.

M. J. Zeller a été élu par l'Académie des sciences morales et politiques pour remplacer M. Beaussire au sein du Conseil supérieur de l'instruction publique.

JOSEPH LEFort.

CONGRÈS

DE L'INTERVENTION DES POUVOIRS PUBLICS

DANS LE PRIX DES DENRÉES

La seizième section de l'Exposition d'Economie sociale, présidée par M. Léon Donnat, avait pour champ d'étude l'intervention des pouvoirs publics. Elle a réuni dans le pavillon des villes une très intéressante collection de documents, qui feront l'objet d'un Rapport final 1.

Elle a en outre organisé plusieurs Congrès internationaux. Nous avons publié récemment le résumé prononcé à la dernière séance du Congrès de l'intervention des pouvoirs publiés dans le contrat de travail; nous voudrions aujourd'hui exposer brièvement les travaux d'un second Congrès, celui des denrées. C'est sous cette forme que nos amis ont appelé la discussion sur la question de la liberté commerciale, de la liberté des échanges et des transactions. Au moment où les revendications du protectionnisme agricole et industriel sont plus ardentes que jamais, il a été utile de faire entendre un autre son de cloche, de montrer que le découragement ne domine pas dans les rangs des économistes.

Nous avons réuni un nombre d'adhérents relativement considérable, plus de deux cents personnes et nous avons eu des discussions animées; notre seul regret a été de n'avoir pas rencontré plus d'adversaires de nos idées libérales.

Le programme, élaboré par le comité d'organisation, était très vaste: Intervention de l'État dans le prix des denrées par des droits de douane, répercussion sur la production et la consommation indigènes; exposé de la question par M. Lapierre, membre de la Société d'économie politique.

Influence des droits de douane sur les salaires, restriction du marché, coalitions de producteurs; exposé par M. Arthur Raffalovich.

Influence des tarifs sur les relations internationales, tarifs autonomes, traités de commerce; exposé de la question par M. Auguste Burdeau, député.

Le bureau du comité d'organisation comprenait M. Frédéric Passy, comme président; MM. Burdeau et Donnat, comme vice-présidents; MM. Balandreau, Lapierre, A. Raffalovich, secrétaires; Fournier de Flaix, trésorier. Le congrès a maintenu le bureau en fonction, en y adjoignant comme viceprésidents MM. Lalande (de Bordeaux), Graham Brooks et le baron d'Estrella.

Les primes à l'exportation, convention sucrière; exposé par M. Lalande, député de la Gironde.

La taxe du pain, par M. Balandreau, avocat.

Taxe de la viande, par M. Comby, avocat.

Organisation des services publics, tels que boulangeries et boucheries municipales; exposé par M. Léon Donnat, ingénieur des mines, conseiller municipal de Paris.

L'octroi de Paris, par M. Fournier de Flaix, publiciste.

Le monopole de l'alcool, par M. Georges Hartmann, industriel et publiciste.

Le programme pourrait servir de table de matières à un gros volume; il a été exécuté presque entièrement on a eu cependant le vif regret de ne pas entendre le rapport de M. Léon Donnat, retenu par ses devoirs de conseiller municipal.

L'étude de M. Lapierre porte le cachet d'impartialité et d'originalité qui lui est propre. Il a exposé les deux thèses, tout en motivant fortement les conclusions personnelles auxquelles il est arrivé. La richesse de la nation a-t-elle été atteinte par un excès de liberté économique? C'est là le point en litige. Les intérêts particuliers ont pris l'offensive avec une puissance de moyens, une persévérance et une énergie que n'ont pas rencontrés les intérêts généraux plus divisés, moins apparents mais tout aussi considérables que les premiers. On a méconnu la solidarité, la communauté des intérêts, on a cherché l'égalité dans la protection, au lieu de l'égalité dans la liberté commerciale.

La production agricole est-elle bien réellement touchée par la concurrence étrangère ou bien n'a-t-elle subi que les effets d'une perturbation économique générale, passagère et déjà disparue? Peut-on prouver pour les blés que notre marché se défend contre les importations par sa puissance même et qu'avec la moindre extension dans sa production il se défendrait contre toute importation? Les revendications passionnées des viticulteurs sont-elles justifiées par la reconstruction de nos vignes, pour laquelle on n'a pas attendu la protection? L'élimination de la concurrence, pour quelques résultats immédiats, ne risquerait-elle pas de créer au profit d'une autre nation ce commerce des vins dont nous avons le monopole en France, et qu'il est utile de conserver en absorbant la production de nos voisins? Le viticulteur lui-mêne ne doit-il pas faciliter l'extension de la consommation du vin par l'abaissement du prix incontestablement remunérateur pour lui, mais trop élevé encore pour le consommateur? Ne doit-il pas préparer l'écoulement de sa production alors que les vignes reconstituées donneront en abondance? Les droits sur les bestiaux ont-ils une efficacité réelle sur les intérêts agricoles? La concurrence étrangère a-t-elle sûrement amené la baisse du bétail sur

pied? N'y a-t-il pas d'autres causes à cette baisse? La baisse progressive depuis 1879 du total de la valeur des importations des bestiaux, se combinant avec une hausse dans leur exportation, ne semblerait-elle pas indiquer que les droits de douane sont dans la plupart des cas sans action sur le prix du bétail et que la concurrence intérieure seule exerce cette action?

Un mouvement d'importation d'objets d'alimentation d'une valeur de 1500 millions sur lesquels en 1888 même, les blés, le vin et les bestiaux sont compris pour 890 millions répond à des besoins qu'il est imprudent de gêner et de restreindre. Les matières nécessaires à l'industrie entrent en France pour une valeur de deux milliards. Quelques-unes sont frappées de droit: il importe de vérifier l'influence des droits sur la houille, les fers, les fontes, les aciers, les huiles de pétrole. Frapper de droits les matières nécessaires à l'industrie, c'est élever le prix de revient, affaiblir nos industries et livrer leur clientèle à l'industrie étrangère au dehors. C'est diminuer la production, diminuer la quantité de main-d'œuvre.

La France consomme 10 milliards de produits manufacturés, sur lesquels 550 millions proviennent de manufactures exotiques. Elle consomme en outre des articles que nos industries fabriquent en quantité insuffisante ou trop chèrement. L'exportation française des objets manufacturés est de 1700 millions, dont 1200 millions vont en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Suisse, en Autriche et aux États-Unis. M. Lapierre est d'avis que la liberté commerciale s'impose pour la prospérité de la France et pour la richesse publique.

La discussion qui a accompagné son Rapport s'est cantonnée sur un point spécial. M. Fournier de Flaix, tout en étant d'accord sur les principes, a trouvé que M. Lapierre n'avait pas traité la viticulture avec assez de ménagements. La viticulture traverse une crise terrible; il faut 6a 7 milliards de francs pour la reconstituer. Il est nécessaire de faire en sa faveur exception temporairement au régime de la liberté. M. Fournier de Flaix a trouvé un allié dans un jeune homme, M. Pensa, qui a prétendu défendre les intérêts de la Bourgogne et qui plus tard s'est dévoilé comme un défenseur de la taxe da pain. M. Guiraut, président du syndicat des négociants en gros de Bordeaux, a répondu avec sa vigueur habituelle. Il a indiqué les causes qui, à côté du phylloxera, ont affaibli cette branche si importante de la production nationale: entre autres les habitudes de vie dispendieuse, l'abus du crédit, la routine. L'élévation des droits n'est pas le moyen de salut. Le vin actuel est faible, soit par jeunesse de la vigne, soit par la maladie. Il n'est pas de conserve. Il faut lui ajouter des qualités. Les viticulteurs sont ingrats vis-à-vis de l'étranger, qui leur fournit le moyen de remédier à l'anémie. Le vin étranger représente le médecin. Le commerce nivelle le prix et

les qualités. Avec un droit de 20 fr., c'est une prohibition absolue. D'ailleurs le consommateur ne boira pas de mauvais vin. Qu'on recommence à faire de l'alcool de vin, la santé publique en profitera. Quand les vignes seront plus vieilles, quand le vin aura retrouvé sa qualité, on aura chance de retrouver des prix élevés. MM. Frédéric Passy, Delombre, Levillain ont appuyé les observations de M. Guiraut. M. Levillain a montré que les protestations prématurées des viticulteurs n'ont pour résultat que de créer un antagonisme regrettable entre la production et le commerce qui ne s'alimente à l'étranger que parce qu'il y est obligé. Ramenant la discussion sur les céréales, M. Lapierre a dit qu'il n'était d'accord avec personne relativement à la répercussion des droits : celle-ci ne se fait pas sur la production entière. Le marché français est assez puissant pour se défendre; la production étrangère n'a qu'une action indirecte et partielle sur nos marchés. La concurrence étrangère est surtout sensible sur certains points du territoire.

M. Raffalovich s'est occupé de l'influence des droits sur les salaires. Les salaires qui sont payés aux ouvriers fabriquant un article quelconque n'ont rien à voir avec le prix ou la valeur de cet article. Les salaires sont déterminés par l'offre et la demande du travail, le prix d'un article dépend de l'offre et de la demande de la marchandise; les deux choses n'ont aucun rapport. Une marchandise se vend à très bon marché, et les salaires des ouvriers qui la fabriquent sont plus élevés que dans le pays voisin où la mème marchandise coûte plus cher à produire et se vend plus cher. Les protectionnistes affirment que toutes les industries sans exception ressentent les bienfaits de la protection, que celle-ci, en empêchant la dépréciation des produits agricoles, permet aux paysans de consommer davantage, de payer des prix plus élevés pour les objets manufacturés, que par suite l'industrie manufacturière sera plus prospère et que les ouvriers de fabrique, mieux payés, pourront supporter plus facilement une augmentation dans le prix des denrées agricoles. Chaque ouvrier comme consommateur se paiera une taxe à lui-même. C'est un cercle vicieux. Il suffirait en ce cas de transporter l'argent de sa poche droite dans sa poche gauche, dans le vain espoir de s'enrichir. L'objet de la protection, c'est de fermer le marché indigène à la concurrence étrangère, d'empêcher que le prix de marchandises fabriquées à l'intérieur du pays, se ressente de l'offre de marchandises étrangères. Dans un marché ouvert à l'abondance des marchandises à bon marché, l'ouvrier peut vivre à bon compte. Dans un marché restreint artificiellement, la vie est plus chère, parce que la production est réduite et que les salaires ont tendance à baisser.

Jusqu'ici aucune législation n'a encore eu le courage d'ordonner que les salaires des ouvriers devraient hausser dans la même proportion que

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