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CONGRÈS INTERNATIONAL

DE

L'UTILISATION DES EAUX FLUVIALES

L'exposition de 1889 a été l'occasion d'un grand nombre de congrès ayant pour but d'étudier des questions d'ordre plus ou moins général, qui intéressent à divers degrés toute les nations, et dont la solution deviendrait plus facile, si chaque pays pouvait s'éclairer de l'expérience acquise chez les autres.

Parmi ces questions, celle de l'Utilisation des eaux fluviales envisagée à tous ses points de vue, c'est-à-dire touchant à l'hygiène, à l'agriculture à l'industrie et à la navigation, n'est pas des moins intéressantes. Aussi le congrès qui s'est occupé de cette question n'a-t-il pas flané, nous pouvons le dire, et le lecteur va pouvoir en juger par l'aperçu que nous allons lui donner des travaux exécutés par les membres de ce Congrès. Afin de servir de base aux discussions, le Comité d'organisation 1 avait pris la précaution d'obtenir, avant la réunion du Congrès, le dépôt, l'impression et la distribution de rapports, au nombre de 15, sur les principales questions à l'étude, savoir: 1° De l'avenir des Canaux d'irrigation. Rapports de M. Leaurado et de M. Ch. Cotard. 2o De l'usage des eaux de rivière pour les distribution d'eau : M. Lindley et M. Musquetier ; 3° Du meilleur mode de livraison de l'eau à domicile : M. Bechmann; 4o De l'utilisation des eaux artésiennes du bas Sahara Algérien M. Rolland; 5° De l'aménagement des cours d'eau au point de vue agricole et industriel: M. Fournié, M. Barois, M. Beau de Rochas; 6 De l'amélioration des rivières navigables à fond mobile : M. Jacquet; 7o De la canalisation des rivières et des divers systèmes de barrages mobiles : M. Vernon-Harcourt (de Londres), M. Pavie: 8o Des meilleurs modes de locomotion des bateaux sur les canaux; M. Derome; 9o Des élévateurs et plans inclinés pour bateaux : M. Defourny, M. Cadart.

Ce comité était composé d'ingénieurs des ponts et chaussées et d'ingénicurs civils ayant à leur tête un bureau composé de : Président: M. Guilleaumain, inspecteur général des ponts et chaussées; Vice Présidents : M. Ch. Cotard, ingénieur civil et M. Jacquet, inspecteur général des pouts et chaussées; Secrétaires: M. Beaurin-Gressier, chef de la division de la navigation au ministere des travaux publics et M. Flamant, ingénieur en chef des ponts et chaussées.

Pendant six jours consécutifs, le Congrès a tenu deux et souvent trois séances par jour : séances de sections, conférences, dans lesquelles l'une ou plusieurs des questions du programme étaient discutées, et visite de quelques établissements hydrauliques tels que les réservoirs de Montsouris, les machines élévatoires d'Ivry, le barrage de Port-à-l'Anglais, le canal Saint-Maur, le canal Saint-Denis, le barrage de Suresnes. Au nombre des conférences les plus remarquables nous signalerons en passant celles de M. Beaurin-Gressier : Des droits individuels et collectifs sur les eaux courantes; du général Tching-Ki-Tong: De l'utilisateur des eaux en Chine; de M. Caméré: Historique des améliorations successives de la navigation sur la Seine.

Enfin, pour clore ses assises, le Congrès a organisé deux grandes excursions: l'une à Lille, pour visiter l'ascenseur des Fontinettes, et au port de Calais; l'autre à Rouen et au Havre. Cette dernière excursion, faite sous la direction de M. Yves Guyot, ministre des travaux publics, a été particulièrement brillante, les municipalités et les chambres de commerce de Rouen et du Havre ayant offert des banquets aux excursionnistes.

Si nous ajoutons à cela que le congrès lui-même a offert a un banquet a ses membres étrangers, nous aurons le programme complet de la fète. Il y a bien des discours sans banquets, mais il n'y a point de banquets sans discours. Il est donc superflu de dire que Ministre, Préfet, Sous-Préfet, Maire, président de la chambre de commerce, etc., ont dit chacun leur mot. Le plus long de ces discours a été, je crois, celui de M. Mallet, président de la chambre de commerce du Havre au sujet des travaux à exécuter pour l'amélioration du port.

M. Yves Guyot, ministre des travaux publics, a répondu aux Havrais qu'il y avait une certaine injustice a leur refuser, comme l'a fait le Sénat, la collaboration et la participation de l'État a l'amélioration de leur port, << contrairement à ce qui s'est passé pour tous les autres ports de France, pour les travaux desquels la part des dépenses à la charge de l'État atteignait plus de 96 0,0, tandis que les chambres de commerce n'y contribuaient que dans la proportion de 3 0,0 et quelques centièmes >>.

Il est certain qu'il y a injustice à ce que l'État, qui prend à tous, donne a quelques-uns seulement, et c'est la un des grands inconvénients de son intervention: une première injustice de ce genre en amène une seconde pour réparer la première; la seconde donne lieu à une troisième, et ainsi de suite: de sorte que le prétendu représentant de la justice est tout bonnement l'organisateur de l'injustice à l'infini.

M. Yves Guyot promet la continuation de son concours aux chambres de commerce et aux municipalités de Rouen et du Havre. « Je consi15 septembre 1889.

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dère, conclut le ministre, qu'il y a un intérêt national dans la coopération du gouvernement aux œuvres que vous réclamez.... C'est en définitive avec des unités qui s'appellent Marseille, Bordeaux. avec des unités situées à l'embouchure de la Loire, avec des unités comme Rouen, Le Havre, Dunkerque, c'est avec ces grosses unités que se forme la grandeur du pays. Nous sommes placés sous un régime économique qui ne sépare pas ces unités, qui ne les isole pas, qui les groupes étroitement autour d'un syndicat qui s'appelle la nation. Je crois que l'unité du Havre a tous les droits d'exiger de s'accroître encore et de demander pour cela une active coopération au gouvernement. » Inutile d'ajouter que cette péroraison a été fort applaudie par les représentants du Havre au banquet.

Nous ne pouvons résumer ici tous les rapports publiés par le Congrès; plusieurs sont du ressort des ingénieurs bien plus que des économistes; tels sont ceux qui ont pour objet la navigabilité des rivières, les barrages, les ascenseurs, les élévateurs pour bateaux. Nous nous bornerons donc à donner la substance des rapports qui traitent de l'emploi des eaux fluviales aux usages domestiques, agricoles et industriels. Au point de vue des usages domestiques, le congrès n'a pas publié de rapports sur divers projets à l'étude tendant à approvisionner Paris en y amenant l'eau des lacs Suisses ou celle des plateaux centraux de la France. Le rapport de M. Bechmann se borne à traiter du meilleur mode de livraison de l'eau à domicile. On sait qu'il y a deux systèmes en présence sur cette matiere: la livraison intermittente et la livraison permanente. Le premier mode présente divers inconvénients, dont un des principaux est que, en cas d'incendie, c'est une affaire d'état que de se procurer de l'eau: il faut chercher les fontainiers, ouvrir les gros robinets qui commandent les réseaux intéressés et attendre que l'eau se mette peu à peu en pression dans les conduites à mesure que les réservoirs se remplissent. Pour peu qu'il y ait de formalités administratives à remplir préalablement, la maison est brulée avant qu'une pompe soit installée.

La livraison constante présente aussi quelques inconvénients, tels que le gaspillage, mais on est arrivé à l'empêcher, ou du moins à le faire payer par ceux qui en sont les auteurs; le moyen employé pour obtenir ce résultat est le compteur à eau. Cette appareil est encore d'un prix élevé et présente quelques imperfections, mais il a été déjà bien amélioré et il peut l'être encore. « Malgré les difficultés du problème, dit M. Bechmann, on est parvenu à produire plusieurs modèles de compteurs très suffisamment exacts, point trop dispendieux, à marche régulière et entretien relativement facile ».

Si l'on considère le rôle important que joue l'eau en hygiène, tant

pour l'alimentation que pour les soins de propreté, on conviendra que la question n'est point indifferente, et comme il est juste que chacun paie sa dépense et pas plus, on souhaitera même que le régime du compteur à eau s'étende de chaque maison à chaque ménage.

Après nous-mêmes, notre grand-mère la terre est celle qui a le plus besoin d'eau. Aussi les considérations sur l'abreuvage de la terre, sur les irrigations, abondent-elles dans les rapports que nous avons sous les yeux. M. Llaurado nous expose ce qui a été fait et ce qui reste a faire en Espagne; M. Cotard résume les travaux exécutés aux ÉtatsUnis et dans plusieurs autres pays; M. Barois nous donne les renseignements les plus récents sur l'aménagement des eaux du Nil ; M. Rolland rend compte de ses propres travaux dans le Sahara Algérien, travaux qui consistent a creuser des puits artésiens et à utiliser l'eau qui en jaillit en l'employant a faire pousser des plantations de palmiers-dattiers qui rapportent, parait-il, au bout d'un temps relativement court, de beaux revenus. Si l'on en croit M. Rolland, un hectare planté de palmiers-dattiers. à raison de 200 palmiers par hectare, peut rapporter annuellement 1000 francs, net des frais d'exploitation. en supposant une irrigation abondante et en admettant une proportion suffisante de dattiers de variété différente dans les plantations La Société de Batna et du Sud Algérien, dont M. Rolland est fondateur administrateur délégué, a déjà planté 50 000 palmiers. Il n'a fallu pour cela que creuser des puits artésiens jaillissants, ce qui est possible et mème facile sur un très grand nombre de points du Sahara Algérien. Les misanthropes, qui veulent s'isoler de toute société, pourraient aller là-bas se créer une petite oasis, personne ne les gènerait, le désert est grand; les philanthropes, qui trouvent que la société est mal organisée et qui veulent l'établir sur d'autres bases, vieilles ou nouvelles, auraient également les coudées beaucoup plus franches dans le Sahara que dans notre vieille Europe Les phalanstères, les familistères, les collectivistères les communistères pourraient y naitre et prospérer à leur aise, si toutefois ils en sont susceptibles.

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La question de l'emploi agricole des eaux dans les pays civilisés est plus complexe que dans l'Afrique centrale. On s'exagère souvent le profit à en tirer. On a été jusqu'à croire, en ces derniers temps qu'on pouvait faire de toutes pièces et sur une grande échelle, et économiquement bien entendu, c'est-à-dire avec profit, — un sol cultivable par le moyen des submersions et du colmatage. M. Fournié nous apprend que l'on revient aujourd'hui de ces idées, et il montre que l'on a raison d'en revenir, car la formation d'une terre arable et fertile est bien plus compliquée qu'on ne le croit et demande beaucoup de temps, de patience et de dépense; de sorte que, tant qu'il y aura des terres toutes

faites en friche, on fera sagement de ne pas chercher à en créer de nouvelles.

M. Fournié divise le globe sous le rapport des irrigations, en trois régions équatoriale, intermédiaire et tempérée. Dans les deux premières de ces régions, l'aménagement des eaux joue un grand rôle et est d'une nécessité plus ou moins impérieuse, en raison de l'élévation de la température et de la rareté des pluies; mais, dans la région tempérée, les travaux d'art en vue de l'irrigation sont de nécessité moins urgente et d'un bien moindre profit, par la double raison qu'ils peuvent être aussi dispendieux qu'ailleurs, souvent plus, et que l'insuffisance de chaleur, à quoi l'on ne peut remédier, ne permet pas de tirer de la terre plusieurs récoltes par an, comme on peut le faire dans les pays chauds et bien irrigués. Il ne faut pas pour cela renoncer à toute idée d'irrigation des terres européennes et, en particulier, françaises; il faut seulement observer que, comme le dit M. Fournié, « dans la région tempérée, des entreprises analogues sont possibles, mais elles exigent une étude préalable beaucoup plus détaillée que celle que l'on a été jusqu'ici disposé à leur consacrer ».

Et pour que cette étude préalable soit bien faite, pour que la balance soit bien établie entre ce que cela coûtera et ce que cela rapportera, c'est à l'initiative privée, qui y est intéressée, qu'il faut s'en remettre.

Ceci nous amènerait à discuter la question de l'intervention de l'État dans les travaux de ce genre. La plupart des rapporteurs se prononcent pour cette intervention, tout en y mettant des conditions et des restrictions diverses. La raison qu'ils en donnent est, d'ailleurs, très logique :

L'État, disent-ils, participe au moyen des impôts directs et indirects à la plus value qui résulte quand il y a plus value, des travaux de ce genre. Il est donc juste qu'il participe aussi, par des subventions ou par des priviléges quelconques, à leur exécution.

Cela est très juste, en effet ; il n'y a pas besoin d'être fort en logique pour le reconnaître. Mais il reste à savoir s'il est juste que l'État augmente les impôts directs ou indirects à mesure que la production augmente, si le fisc doit toujours être sur les talons des producteurs de toute nouvelle richesse, prêt à happer la meilleure part, au besoin le tout. Il s'agit, en un mot, de savoir si l'État est fait pour les individus ou les individus pour l'État. La question est fondamentale et aucun rapporteur du Congrès de l'utilisation des eaux et probablement d'aucun autre congrès — ne l'a abordée ni même effleurée.

Nous aurions besoin, à cet égard, de prendre leçon de nos ancêtres. Encore au moyen-âge, ils donnaient à l'État ou au seigneur une contribution déterminée et fixée pour un nombre indéfini d'années. Libre à

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