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UNE LOI STÉRILE ET INJUSTE

Parmi les multiples questions qu'a soulevées depuis un demi-siècle le développement extraordinaire des grandes cités, en est-il de plus impor tantes que celles qui touchent à la santé de ces immenses agglomérations humaines? Non certes; aussi l'organisation de la salubrité des rues et des habitations doit-elle être l'objet d'une sollicitude continuelle de la part du pouvoir municipal et même du pouvoir législatif, quand l'intervention de ce dernier est nécessaire.

A Paris, sous le second empire et depuis 1872, il a été fait beaucoup en ce sens les vieux quartiers ont été percés de boulevards et de larges rues; de nouvelles maisons, pour toutes les classes de la population, ont été construites, d'après des types mieux compris au point de vue de l'agrément et de l'hygiène; des jardins et des squares ont été créés en maints endroits, qui offrent des promenades saines aux enfants; les rues sont entretenues dans un état de propreté inconnue jusqu'à ces derniers temps; l'eau a été fournie en plus grande quantité et de meilleure qualité pour l'usage particulier des habitants et pour l'arrosement des voies publiques; un réseau d'égouts, actuellement complet, permet l'écoulement dans la Seine de toutes les immondices, sans émanations dangereuses ou désagréables pour la population parisienne, mais au détriment des populations situées en aval de Paris. Naturellement des sommes énormes ont été dépensées pour toutes ces créations, améliorations ou installations et nos édiles sont tout disposés à continuer ce qui a été commencé par leurs prédécesseurs.

Cependant nous ne pouvons nous dispenser de protester aujourd'hui, au nom de la justice, contre la loi qui a été promulguée le 4 avril 1889. Cette loi concède à la Ville de Paris, pour une durée de vingt ans et avec faculté d'achat, des terrains sis à Achères, près de Saint-Germain, dans le département de Seine-et-Oise, et elle l'autorise à y envoyer ses eaux d'égout. On va ainsi, sans nécessité absolue, sans même que l'on puisse invoquer, comme pour l'envoi à la Seine, la loi naturelle de l'écoulement des eaux, former un immense cloaque qui empestera une contrée peuplée et détruira un certain nombre de riches communes.

Nous allons nous efforcer de démontrer que cette loi constitue une iniquité et n'est pas une solution de la question.

La Seine, depuis Asnières,point où débouche le grand égout collecteur et surtout depuis Saint-Denis, est infectée à un tel point que la santé des populations riveraines est compromise par suite des émanations qui surviennent pendant les chaleurs de l'été. La vie de milliers d'invidus

se trouve donc, par le fait de la Ville de Paris, chaque année incommodée et même dans certains cas, mise en danger; cette situation ne peut continuer sans engager la responsabilité des pouvoirs publics.

C'est en 1869 que l'eau d'égout arriva pour la première fois sur les terrains de la plaine de Gennevilliers; mais ce ne fut qu'en 1872 que le service put fonctionner régulièrement, par suite de l'installation par M, Durand-Claye, ingénieur en chef des Ponts et chaussées, de machines élévatoires envoyant dans la presqu'ile de Gennevilliers une certaine quantité des eaux amenées par le grand égout collecteur. C'est cette installation minuscule, comparativement à celle qu'il faudrait pour utiliser les millions de mètres cubes d'eaux sales reçus chaque année par la Seine, qui a donné l'idée de déverser une quantité considérable des eaux d'égout dans la plaine d'Achères. En 1875 une commission, à la tête de laquelle étaient les ingénieurs Durand- Claye et Mille, avait, rédigé un projet tendant à déverser dans la presqu'ile de SaintGermain une partie des eaux d'égout; c'est ce projet qui, enterré à cette époque, a été repris, pour le compte de l'Administration, par M. Alphand.

Pour faire voter par les Chambres la loi nécessaire à la réalisation de ce projet, on a cherché à assimiler la Ville de Paris à celle de Berlin. Mais cette assimilation n'est guère possible, comme on va le voir. Les environs de Paris sont très peuplés tandis que ceux de Berlin ne le sont pas ou le sont peu. La surface employée en irrigations pour Berlin est de 5.600 hectares, pour une population de 1.051.000 habitants et cependant un cinquième environ des eaux d'égout est envoyé directement à la Sprée et non sur les terrains d'irrigation, terrains qui ont été aménagés uniquement dans le but de se débarrasser des eaux d'égout. Pour arriver à ce résultat,on emploie des hommes frappés de condamnations qui sont divisés en équipes de jour et de nuit. Quoique toutes les précautions eussent été prises, la ville de Berlin a éprouvé les difficultés les plussérieuses et n'a pu obtenir un résultat rémunérateur; les terrains destinés à utiliser les eaux d'égout ne pouvant suffire, on a dù suspendre l'établissement du tout à l'égout dans les maisons où il n'existe pas.

Malgré l'exemple de Berlin, la Ville de Paris pense, au moyen d'une irrigation simplement intermittente, faire absorber les eaux d'égout de 3 millions d'habitants par une surface de 500 hectares à Gennevilliers et 800 hectares dans la forêt d'Achères. L'exemple de Berlin invoqué par les ingénieurs de la Ville de Paris, loin d'être probant, se retourne contre eux; car ce n'est pas 1300 hectares qu'il faudrait pour absorber les eaux d'égout, mais plus de 20.000 hectares!

Il y a en outre un danger dans l'utilisation des eaux d'égout proposée pour Achères, et qui se pratique déjà à Gennevilliers. De l'avis des hygiénistes les plus savants il vaut mieux en effet, à cause des déjections

humaines mêlées aux eaux d'égouts, employer ces eaux à féconder les produits qui servent à l'alimentation des bestiaux, à irriguer des prairies comme à Dantzig et à Édimbourg, qu'à arroser des cultures maraichères.

L'étendue de terrain prise à Achères sera donc absolument insuffisante non pas pour épurer, mais simplement pour filtrer la plus grande partie. des eaux d'égout de Paris; il est en effet, démontré qu'il faut un hectare de terre bien perméable pour filtrer les eaux sales de 250 habitants. On ne peut en effet demander au sol une comburation excessive et si on le surcharge il devient complètement inerte. C'est l'avis des savants, c'est aussi l'avis des ingénieurs berlinois qui ne font répandre que 9.000 mètres cubes à l'hectare; le chiffre de 40.000 mètres cubes indiqué par le commissaire du gouvernement au Sénat est donc absolument exagéré

Le cube des eaux impures déversées annuellement dans la Seine, par les égouts de la ville de Paris, est de 131 millions de mètres cubes. On peut juger par ce chiffre de l'amélioration que les 800 hectares de la plaine d'Achères apporteront à la situation actuelle et voir que les dépenses nécessaires à l'établissement des pompes élévatoires et au nivellement de la plaine d'Achères seront faites en pure perte, puisqu'il ne sera remédié que d'une façon insignifiante à l'infection des eaux de la Seine et par suite des riverains.

Une étude très sérieuse faite par un ingénieur en chef des Ponts et chaussées, M. Fournié, démontre qu'un canal à la mer est fort possible. Ce canal aboutirait dans les landes inhabitées comprises entre les rivières de la Somme et de l'Authie; sur son parcours on établirait des prises d'eau selon les besoins de l'agriculture et à la volonté des agriculteurs. Ce projet ne présentait pas une dépense colossale et sans rémunération : le devis s'élevait à 150 millions environ et par suite du « tout à l'égout » qui tend à se généraliser, on pouvait espérer percevoir des propriétaires une somme annuelle de 10 millions. La taxe servirait donc à rémunérer le capital et à payer les dépenses annuelles d'entretien; elle ne serait pas une charge pour la propriété immobilière; ce qu'elle paierait à la Ville, elle ne le paierait plus aux compagnies de vidanges.

Il est évident que le canal à la mer devra nécessairement être exécuté un jour; les dépenses qu'on va faire à Achères vont donc être stériles. S'il y a une loi qui mériterait vraiment la qualification d'utilité publique, ce serait celle qui concéderait ce canal à la mer. Qu'y a-t-il de plus utile que de sauvegarder la santé de milliers de citoyens et de mettre à la disposition de l'agriculture de nouveaux et nombreux éléments fertilisants. qui actuellement sont perdus? Ce serait un moyen de remédier à la crise ouvrière qui nous menace, en utilisant les milliers de bras qui, par suite de la fin des travaux de l'Exposition, vont se trouver sans ouvrage. HENRY VERGE.

LA TÉLÉGRAPHIE

ENVISAGÉE AU POINT DE VUE INDUSTRIEL

(GRANDE VITESSE ET PETITE VITEsse).

Il est notoirement admis, par tout le monde aujourd'hui, que si la télégraphie a un côté politique et moral indéniable, elle a aussi un côté financier non moins évident.

Comme service public, elle a pour mission de fournir pour le prompt échange des idées un instrument sur lequel on puisse compter et de rendre ses moyens de communication abordables à la masse des individus; il importe que le pays soit en mesure de se servir du télégraphe dans toute la limite du possible; l'accroissement du nombre de télégrammes contribuant incontestablement pour une grande part au développement de la prospérité nationale.

Comme industrie, le but fondamental à atteindre est de rapporter la plus grande somme de bénéfices. Or, dans un grand nombre de pays, le télégraphe, loin de donner des bénéfices, ne couvre pas même ses frais. Quel moyen convient-il d'employer pour remédier à cette situation? Faut-il augmenter le prix des télégrammes ?

I

Pour démontrer le peu d'efficacité d'un relèvement de tarif, je me bornerai à fournir un seul exemple, mais lequel, je l'espère, sera jugé concluant.

Conjointement avec l'adoption du système de la taxation par mot, le prix des télégrammes à l'intérieur de la Suisse a été élevé au point que le produit moyen du télégramme qui, avant le 1er octobre 1877, élait de 55 centimes, pendant les trois premiers mois de la réforme montait à 71 centimes, donnant, par conséquent, une augmentation de 16 centimes. Mais, comme nous apprend le Rapport de l'administration des télégraphes suisses sur sa gestion en 1877, on s'attendait, suivant les expériences faites à l'étranger, à ce que le nombre de mots, qui était encore de 16.24, se réduirait peu à peu à 14 et la taxe moyenne à 65 centimes, d'où il résulterait l'augmentation modeste de 10 centimes par télégramme.

Le tableau suivant indique les résultats économiques et financiers de l'exploitation d'après les données officielles publiées jusqu'à ce jour :

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Si nous supposons qu'avec le maintien de l'ancienne tarification, le tarif intérieur des bureaux suisses dont, de 1876 à 1887, le nombre s'est accru de plus de 300, à partir de 1878, aurait atteint chaque année seulement le chiffre qu'accuse l'exercice 1876, nous aurions eu, dans la période décennale 1878-1887, 21.183.730 télégrammes, rapportant 11.645.130 francs, soit un mouvement de TROIS MILLIONS SIX CENT QUATREVINGT-DIX MILLE télégrammes et un produit de QUARANTE-DEUX MILLE CINQ CENTS francs de plus qu'il n'y en a eu.

En 1876, le nombre de télégrammes échangés avec l'étranger ayant été de 587.670, le mouvement international, dans la situation supposée, se serait au bout de la période indiquée, traduit par 5.876.700 télégrammes. Or, il y en a eu, en réalité, 8.214.211, c'est-à-dire DEUX MILLIONS TROIS CENT TRENTE-SEPT MILLE en plus. Ainsi, pendant que d'un côté le mouvement à l'intérieur, en 1887, en comparaison de l'exercice 1876, accuse une diminution de 14 0/0, le mouvement international, d'autre part, s'est accru de 71 0/0.

II

Le relèvement des taxes ne donnant pas ce que l'on en attend, voyons si, au moyen d'une réduction du prix des télégrammes, on pourrait préparer partout des budgets qui se solderaient par des excédants de recettes.

Le relèvement du tarif est entré en vigueur le 1er octobre 1877.

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