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On voit qu'il ne reste plus qu'à trouver les ressources nécessaires pour faire face à ce bel ordre de choses.

Les taxes progressives sur les revenus et les successions ne pourront servir qu'autant qu'il y aura revenus et successions; lorsque le nivellement sera établi, il est certain que cette ressource manquera et il est peu probable que la misère soit dans le même cas.

En effet, pour qu'il n'y ait plus de chômage, il faut qu'il y ait augmentation de travail. Si La Palisse était conseiller municipal, il pourrait le dire; or, pour qu'il y ait augmentation de travail, il faut accroissement de capital et, préalablement, de revenu.

Quant à l'autre source indiquée par le projet : un impôt direct, pour en tirer quelque chose, il faudrait empêcher ceux qui paient cet impôt de le rejeter sur les autres, ce qui est matériellement impossible.

L'ignorance économique des auteurs de cette proposition est visible ici: ils ne demandent pas d'impôt indirect, parce qu'ils savent que ce sont leurs protégés qui en paient la plus grosse part on le leur a tant seriné qu'il n'est pas étonnant qu'ils l'aient enfin retenu. Un sausonnet en aurait fait autant. Mais ils s'imaginent maintenant qu'il en est autrement de l'impôt direct; ils ignorent ce qui a été démontré et formulé depuis bien longtemps par J.-B. Say, savoir que l'impôt, quels que soient son nom et sa forme retombe toujours en dernière analyse sur ceux qui ne peuvent pas s'y soustraire, c'est-à-dire sur ceux qui n'ont que leurs bras pour source de revenus.

Et il est matériellement impossible, répétons-le, qu'il en soit autrement. Supposez que l'imposé directement garde toute sa charge, il est inévitable qu'il se ruine, ce n'est qu'affaire de temps; or, sa ruine, c'est la mise à sec doublement de la caisse de secours pour les ouvriers en chômage.

Je dis doublement, parce qu'il y aura à la fois diminution de ressources et diminution de travail.

Le projet municipal est donc comme la jument de Roland : c'est un beau projet, mais il lui manque la viabilité et même la vitalité; c'est pourquoi j ai dit plus haut qu'il était presque complet.

M. Donnat est convaincu que l'on perd son temps à prendre une question par pièces et par morceaux, et qu'on est ainsi exposé à des redites sans nombre et, ce qui est plus dommageable, à des décisions contradictoires. Pour éviter ce double inconvénient, il a jugé utile d'envisager la théorie dans son ensemble et de montrer le dedans de la pilule dorée qu'on nous offre d'avaler pour nous guérir du mal social.

En conséquence, son Rapport est divisé en sept chapitres ainsi qu'il suit 1° Taxe du pain; 2° Boulangeries municipales; 3° Taxe de la

viande; 4° Boucheries municipales; 5° Services collectifs; 6o Théorie collectiviste; 7° Résumé et conclusion.

Comme on le voit, cette étude procède du particulier au général, du simple au composé. C'est l'application réelle de la bonne méthode scientifique, que nos savants officiels recommandent avec tant d'insistance... aux autres.

Ce Rapport est suivi de tableaux statistiques et de nombreux graphiques qui viennent à l'appui des démonstrations.

Il faut lire en entier cet ouvrage, je dis cet ouvrage, car c'est réellement un Traité en forme, comme je l'ai déjà dit et comme il est facile d'en juger par les titres et l'ordre des chapitres. Il serait même à désirer qu'on en fit une édition populaire, sans graphiques qui grossissent le volume, en élèvent le prix et ne sont pas absolument indispensables. Les paysans ne sont guère sujets à se laisser leurrer par les élucubrations collectivistes : ils savent comment le pain se produit et se gagne. Mais les citadins s'imaginent volontiers que l'État est un producteur réel, aussi fécond que la terre sinon plus, et que, par la vertu de sa baguette la loi, il peut mettre la pâtée dans le bec de tous les ouvriers et ouvrières en chômage volontaire ou non.

Ces pauvres gens n'entendant toujours que la cloche collectiviste, croient, comme on dit, que c'est arrivé, ou que ça arrivera. S'ils lisaient des livres comme celui-ci, ils ne manqueraient pas de reconnaître que les beaux projets sont faciles à imaginer, mais impossibles à exécuter. Ils ont assez de bon sens, par exemple, pour comprendre que, si une Commission quelconque est chargée de leur fournir le salaire sans le travail, il faudra aussi qu'elle intervienne dans tous les actes de leur vie afin de s'assurer si leur manque d'ouvrage est volontaire ou non. Cette considération seule suffit pour qu'ils renvoient à l'école les conseillers qui veulent les doter d'un pareil bienfait.

Au lieu de piétiner sur place ou de marcher à reculons en cherchant à réaliser de pareilles utopies, ne vaut-il pas mieux s'aider soi-même, c'est-à-dire sans rien implorer du législateur, qui ne peut nous protéger qu'à nos dépens?

Après avoir montré les améliorations qui ont été introduites dans la situation des ouvriers depuis un siècle, M. Donnat observe avec raison que a ces améliorations ne sont pas la conséquence des règlements ou des lois elles sont le résultat d'une évolution que le législateur n'a point créée. Le passé est donc garant de l'avenir. Ce qui s'est fait si bien se perfectionnera sans nul doute, à moins que les arrangements d'autorité ne viennent déranger le cours naturel des choses ».

On ne peut demander avec justice pour les ouvriers que:

1o Les denrées au plus bas prix. La liberté du commerce des denrées

y pourvoit depuis qu'elle existe relativement - il n'y a plus de famines, ni même de disettes; et si la liberté était plus complète, bien d'autres abus qui survivent encore à l'ombre des privilèges, disparaîtraient également;

2o Les salaires au plus haut prix. La liberté du commerce du travail est le seul moyen d'obtenir ce résultat. Mais pour cela, il faut et il suffit que la spéculation, si anathématisée, s'introduise dans le marché du travail comme dans celui des produits.

C'est, en effet. grâce à la spéculation, qui, comme son nom l'indique, regarde en avant et partout, dans le temps et dans l'espace, que les prix des denrées se sont à peu près égalisés sur toute la surface du globe et que les famines passeront bientôt pour des contes de fées et d'ogres. Confiez à l'État ou aux municipalités le soin de pourvoir à l'alimentation, l'expérience en a été faite et refaite, chacun se cantonnera chez soi, manquera du nécessaire et jouira du superflu, si c'est une jouissance que de voir perdre ses produits surabondants pendant qu'on manque de beaucoup d'autres.

Eh bien, ce que la spéculation a fait pour les denrées, elle peut tout aussi bien le faire pour le travail. C'est l'absence de cette spéculation qui, comme le dit M. Léon Donnat, crée réellement à l'ouvrier une certaine infériorité (bien exagérée d'ailleurs) à l'égard du patron dans le débat du salaire.

« Cette infériorité, ajoute M. Donnat, a été parfaitement indiquée en maintes circonstances par M. de Molinari. Il y a un marché pour les blés, pour les fers, pour les tissus; il n'y en a pas d'analogue pour le travail ».

Le Conseil municipal a institué la Bourse du travail; mais comme il n'est pas et ne peut pas être spéculateur, dans le sens étymologique, cet établissement, dit notre Rapporteur, « n'est guère, à l'heure actuelle, qu'une arène de combat dont la possession est disputée par des hommes qui, suivant l'expression pittoresque de Jules Vallès, « jettent leurs paroles comme des cartouches dans la blouse des ouvriers.

« On chercherait vainement dans l'organe officiel qu'il publie des renseignements précis sur l'offre et la demande des bras; on n'y trouve que des déclamations stériles contre le capital et contre les patrons ».

Et il en sera ainsi tant que ce ne sera pas la libre spéculation qui présidera au marché du travail. Elle seule peut rassembler et répandre les renseignements utiles au plus bas prix et au plus grand profit de tous. Mais ceci est de l'hébreu pour beaucoup de gens qui prétendent diriger les autres.

ROUXEL.

LA SERBIE ÉCONOMIQUE ET COMMERCIALE, par M. RENÉ MILLET, ancien ministre de France en Serbie, avec le concours de M. le marquis DE TORCY. Un vol. in-8. Paris, Berger-Levrault et Cie, éditeurs.

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M. René Millet, récemment encore ministre de France en Serbie, vient de prendre une excellente initiative. Persuadé qu'à côté de leurs autres fonctions, nos agents diplomatiques ont le devoir de renseigner, à l'aide de monographies précises et pratiques, nos négociants et nos industriels sur la condition économique des pays étrangers, il a commencé sur une fraction importante de la péninsule des Balkans, un travail d'observations qu'il voudrait voir s'étendre, grâce au zèle de ses collègues, au bassin entier de la Méditerranée, celui-ci, dit-il, étant imaginé « comme une circonférence ayant Marseille pour centre maritime et pour rayons les différentes voies ferrées qui aboutissent à la mer ». Ces voies ferrées, dont plusieurs sont nouvelles, sait, celle qui relie la Serbie à Salonique justement l'auteur, singulièrement modifié les procédés d'étude nécessaires au commerce. Autrefois, il suffisait à nos négociants de connaître les côtes et les ports et d'y faire « la cueillette » des marchandises, sans savoir de quelles régions et par quelles pentes ces marchandises arrivaient jusqu'à la mer. Aujourd'hui, il faut remonter à la source des fleuves commerciaux: sinon des compétiteurs sérieux avisés et plus instruits détournent le courant, et ceux qui sont restés à l'embouchure reviennent les mains vides.

notamment, on le

ont, comme le remarque

Le plan de l'auteur est simple: après un coup d'œil rapide jeté sur les conditions de fertilité naturelle de la Serbie, et par suite sur son aptitude à devenir un terrain d'échanges importants, M. Millet aborde directement l'étude du coût des différents moyens de transport, selon que les courants commerciaux suivent les voies continentales, voies de fer et fluviales, favorables aux produits de l'Europe centrale et principalement à l'industrie allemande et autrichienne, ou la route de mer jusqu'à Salonique avec pénétration par voie ferrée Salonique-Nitsch, qui est la route nouvelle ouverte aux produits français. D'une comparaison approfondie des chiffres qu'il a réunis dans d'intéressants tableaux, l'auteur conclut à l'avantage considérable que présente cette dernière voie au point de vue des prix, et il en déduit que si jusqu'ici nos marchandises entrent en petit nombre en Serbie, c'est à d'autres causes qu'aux frais de transport qu'il faut en demander la raison.

Parmi les causes réelles de cette infériorité, figurent, on le devine sans peine, celles qui ont été signalées si souvent et que M. Millet accuse à son tour apathie des négociants français, négligence à s'informer

des habitudes et des ressources des pays étrangers, à envoyer au-delà de nos frontières des représentants ou au besoin des échantillons. Notre ancien ministre a bien des fois constaté que la marque française est en grande faveur sur les principaux marchés serbes, pour de nombreux produits mais les objets qui la portent sont le plus souvent de provenance autrichienne ou allemande et se parent sans aucun droit de l'étiquette dont ils sont affublés. Seulement le prix du produit véritablement français est plus cher que celui de l'article imité; c'est assez pour que la préférence de consommateurs encore peu éclairés et séduits par l'apparence, se porte sur l'objet non authentique. La tâche de nos industriels devrait être précisément d'édifier les acheteurs sur les avantages de leur fabrication au point de vue de la qualité, et pour cela, par des efforts soit individuels, soit collectifs, d'entrer en communications fréquentes avec eux. « Dans le train qui m'a ramené de Salonique à Belgrade, écrit le collaborateur de M. Millet, le marquis de Torcy, la moitié des voyageurs étaient des représentants de commerce, tous autrichiens ou allemands ». M. Millet explique fort bien par quels moyens pratiques nos exportateurs pourraient lutter contre l'invasion de cette avant-garde des gros bataillons de l'industrie germanique. Pour les aider dans cette campagne et leur fournir les premiers renseignements nécessaires, il a dressé à leur usage d'intéressantes statistiques des prix de vente des principaux produits, en indiquant leur provenance habituelle.

Une véritable difficulté qui se présente en Serbie, et M. Millet ne se le dissimule pas, c'est le champ relativement restreint qu'elle offre actuellement aux échanges, et par suite le danger d'y risquer de trop gros sacrifices. L'importation serbe, presque triple de ce qu'elle était il y a quarante ans, n'atteint encore que 51 millions de francs; son exportation une quarantaine de millions. Sa population peu nombreuse (moins de deux millions d'habitants) presque exclusivement agricole, ne peut pas immédiatement consommer un grand nombre de nos produits. Cependant l'auteur ne se laisse pas arrêter par cette objection. Il prévoit un rapide développement de la Serbie agricole, notamment de ses vins que déjà nos négociants connaissent et apprécient. Sous le sol, il aperçoit une autre source abondante de richesses, les mines, qui après avoir été exploitées par les anciens, ont été presque complètement délaissées et qui, d'après des documents habilement résumés par l'auteur, renferment encore de riches filons, soit houille, soit métaux de tout genre enfin la création des voies ferrées lui paraît devoir stimuler l'activité productrice des populations en leur facilitant les échanges, et faire pénétrer parmi elles les besoins et les habitudes d'une civilisation plus raffinée, besoins et habitudes auxquels répond particulièrement notre fabrication.

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