Page images
PDF
EPUB

parlent et qui écrivent sur elles n'y connaissent rien du tout. Je vais vous expliquer, en quelques mots, ce que c'est que le regrat et vous jugerez ensuite à leur valeur les récriminations de la chambre syndicale.

Vous savez, sans doute, que, bien qu'on en compte douze, il n'y a aux Halles que dix pavillons. A ceux de la viande, des beurres et fromages, et de la marée, on vend à la criée; dans d'autres, comme dans celui des fruits et légumes, on vend au détail, de gré à gré, ce qui rend possible l'opération des regrattiers.

Il y a plusieurs sortes de regrattiers; nous allons les passer en revue, si vous voulez.

Commençons par celui qui achète en gros. Celui-là va chez les cultivateurs, achète sur pied sa récolte rendue au carreau des Halles, et la revend à ses risques et périls en acquittant les droits de place de 30 centimes par mètre carré. A celui-là, on n'a rien à dire; il épargne au cultivateur une longue attente, et fait parfois des marchés onéreux. C'est un revendeur.

Il faut ajouter que tous n'achètent pas sur pied chez le cultivateur, et traitent des charettes en bloc au moment où elles arrivent sur le

carreau.

Vient ensuite un second genre de regrattiers qui achètent au cultivateur ou au revendeur quelques sacs de légumes, se logent où ils peuvent, sans payer leur place, à l'affût de la police, ou prennent avec la place déjà payée qu'il occupait le reste des marchandises d'un cultivateur ou d'un revendeur.

On en compte à peine une douzaine de cette catégorie. Il y a, au contraire, plus de deux cents d'une troisième espèce de regrattiers, les regrattiers à la manette », enfants, fillettes, ou pauvres diables qui ont acheté pour quelques sous de marchandises et cherchent à les revendre aux passants.

«

Voilà ce qu'on appelle les regrattiers.

Causent-ils un préjudice si grand aux marchands réguliers? Je ne le crois pas. Les marchands s'approvisionnent auprès des revendeurs aussi bien que des cultivateurs, la concurrence empêchant ceux-ci de vendre plus cher que ceux-là, et le consommateur n'en souffre pas, au contraire.

Parmi les fillettes dont je vous parlais tout à l'heure, regrattières «‹ à la manette », beaucoup sont salariées par des titulaires de places au pavillon, qui n'hésitent pas même à engager, contrairement aux règlements, des marchands des quatre saisons, moyennant deux ou trois francs, pour vendre dans les rues les marchandises invendues...

La chambre syndicale, croyez-le, est moins intéressante qu'elle veut

bien le paraître, et si elle voulait faire pourchasser les regrattiers,qui ont bien aussi un peu, que diable! le droit de gagner leur vie, ce n'est pas l'intérêt du consommateur, mais le sien propre qu'elle considère.

Les regrattiers entretiennent la concurrence, et la chambre syndicale ne voudrait pas de concurrence. Elle voudrait que les cultivateurs ne pussent traiter qu'avec elle seule, ce qui lui permettrait d'accaparer toutes les denrées et d'en tirer un large profit, au grand détriment du public. 11 ne faut pas voir d'autre but à la propagande qu'elle fait. Plus d'intermédiaires ! disent les marchands. Mais eux-mêmes sont-ils autre chose que des intermédiaires? >>

Voilà ce qui s'appelle parler d'or. Mais nous avons peur que ce langage ne réussisse pas à persuader des marchands syndiqués et qu'ils ne continuent à réclamer la suppression des « irréguliers » au nom de « l'intérêt commun. >>

* **

Tandis que l'Etat français continue à se faire entrepreneur de colonies, en dépensant à profusion dans cette industrie essentiellement aléatoire, le sang et l'argent de ses contribuables, l'Angleterre étend économiquement son domaine colonial, en se bornant à concéder à des compagnies le droit de conquérir, de gouverner et d'exploiter à leurs frais des territoires colonisables en Afrique et en Asie. Aux deux compagnies déjà établies en Afrique, est venue, il y a quelques semaines, s'en joindre une troisième, la compagnie sud-africaine the British south Africa company) sur laquelle un correspondant du Journal des Débats, nous fournit les renseignements suivants :

Les administrateurs auxquels la Charte royale est octroyée sont le duc d'Albercorn, le duc de Fife (gendre du prince de Galles), lord Gifford, MM. Rhodes Beit, Albert Grey, Georges Cawston. Le duc d'Albertcorn, e duc de Fife et M. Albert Grey, resteront administrateurs pendant les vingt-cinq ans de la durée de la concesssion. Il est, en outre, stipulé dans la Charte constitutive que la Compagnie doit rester exclusivement britannique, que les administrateurs et fontionnaires sont sujets britanniques et qu'aucun administrateur ne pourra être nommé sans l'approbation du secrétaire d'État aux colonies.

Le capital de la Compagnie est fixé à un milion de livres sterling; mais il peut être augmenté à volonté par la création d'obligations ou de toute autre manière; pendant les deux premières années de son existence la Compagnie ne distribuera pas de dividende.

Elle a, au point de vue de l'exploitation de son territoire, les pouvoirs les plus étendus entreprises minières, agricoles, industrielles, elle

peut tout aborder, jusqu'à la construction de chemins de fer et de lignes télégraphiques. Au point de vue administratif, elle est chargée du maintien de l'ordre dans ses possessions et devra établir des tribunaux; elle aura aussi le pouvoir d'organiser une police. A l'expiration des vingt-cinq années de la concession, et, tous les dix ans à partir de cette époque, le gouvernement anglais se réserve le droit de reviser la Charte, de prendre la direction de l'administration et des services publics, c'est-à-dire de faire de ces territoires une véritable colonie britannique. Il va sans dire que la Couronne s'est aussi réservé le droit d'annuler la Charte de la Compagnie au cas où celle-ci manquerait à ses engagements envers le gouvernement, ou ne serait pas à la hauteur de sa mission.

Quant à la valeur du territoire de la Compagnie sud-africaine, elle varie suivant les régions. Le Betchouanaland et le Kalahari sont des pays pauvres et peu fertiles; mais le Malabeleland et le Mashonaland possedent des richesses minérales et agricoles considérables. L'or y abonde, le terrain est d'uue fertilité rare, le climat est sain et les Européens peuvent y vivre en toute saison,

En somme, la Charte royale de la Compagnie sud-africaine consacre une des plus belles acquisitions qu'ait jamais faites l'Angleterre en Afrique, et rend possible le rêve dont parlait jadis le Times, c'est-à-dire l'extension de la sphère d'influence britannique depuis l'Égypte et le Soudan au Nord jusqu'aux colonies sud-africaines, le point de jonction devant se trouver aux environs de Victoria-Nyanza.

Actuellement l'Angleterre a deux grandes Compagnies en Afrique la la Compagnie ouest-africaine et la Compagnie est-africaine, qui, chacune de son côté, poussent vers le cœur du noir continent; la Compagnie sud-africaine peut, à son tour, remonter vers l'Afrique centrale où, un jour, comme le dit le Times, rien n'empêche qu'elles se donnent la main.

***

Tout en renvoyant aux protectionnistes français la responsabilité de la rupture des relations commerciales entre la France et l'Italie (entre parenthèses nous dirons que cette responsabilité doit au moins être partagée), M. Crispi a annoncé dans un discours prononcé à Palerme son intention de supprimer les droits différentiels entre la France et l'Italie, aussitôt que le parlement l'y aura autorisé. Nous nous plaisons à espérer que le parlement italien ne contrariera pas cette bonne intention. La statistique des faillites que vient de publier son collègue, le ministre de l'agriculture et du commerce, pourra fournir au besoin, à M. Crispi, un argument convaincant.

Il résulte de ce document que le nombre des faillites a augmenté pendant l'année dernière dans la proportion de 40 0/0. Tandis qu'en 1887 les faillites déclarées s'élevaient à 1.623, on en compte 2.233 pour 1888, soit une augmentation de 610. Ces 2.233 faillites représentent un passif de plus de 196 millions. Milan, Rome, viennent en tête de la liste des villes qui ont le plus souffert.

Le gouvernement allemand a cru devoir s'armer contre les socialistes d'une loi d'exception, dont on vient de discuter le renouvellement au Reichtag. De tous temps, et partout, les gouvernements ont qualifié les gens qui ne sont pas de leur avis d'ennemis de l'ordre social. A l'époque où l'opposition avait un caractère purement politique, les lois protectrices de l'ordre social visaient seulement les discours, les écrits, les réunions et les associations politiques. Ajoutons que nulle part, ces lois n'ont réussi à protéger les gouvernements contre les révolutions. On pourrait soutenir même qu'elles les ont hâtées en endormant les détenteurs du pouvoir dans une fausse sécurité et en les empêchant de calmer par des concessions nécessaires le mécontentement provoqué par leurs pratiques vicieuses et leurs institutions surannées. Aujourd'hui, c'est le socialisme qui est l'ennemi, quand ce n'est pas le cléricalisme. Nous n'avons aucune tendresse pour le socialisme, et nous sommes convaincu que les révolutions, socialistes ou non, retardent toujours le progrès au lieu de l'accélérer. Mais nous ne voyons pas pourquoi on ne permettrait pas aux socialistes de critiquer librement les pratiques gouvernementales, voire même les institutions dites sociales. Les gouvernements ne sont pas impeccables et les institutions ne sont pas parfaites. Celles qui reposent sur la nature des choses, telles que la propriété et la liberté du travail n'ont, d'ailleurs, pas grand'chose à redouter du socialisme. Elles se défendent suffisamment par ellesmêmes, car elles sont nécessaires, et aucune société civilisée ne saurait vivre sans elles. Elles peuvent done parfaitement se passer de la protection gouvernementale. Disons mieux. Comme toutes les protections, celle-ci est nuisible aux intérêts mêmes qu'elle a la prétention de sauvegarder. Si les gouvernements s'abstenaient d'interdire les attaques dirigées contre la propriété, les propriétaires se préoccuperaient davantage de la défendre, et il y a apparence qu'ils la défendraient mieux. Qui sait même, s'ils ne s'aviseraient pas d'étudier l'économie politique, pour lui demander des arguments contre les théories subversives du socialisme? Mais ils n'y songent guère. Ils sont protégés, et cela leur suffit!

Dans cette discussion de la loi contre les socialistes, ceux-ci avaient le beau rôle; ils défendaient la liberté. Quelques-uns, M. Bebel notamment, ont fait entendre de bonnes vérités, et, certes, aucun économiste ne désavouerait ce langage que le monstrueux développement des préparatifs de guerre a inspiré à l'orateur socialiste :

Les peuples, a dit M. Bebel, veulent la paix ; les gouvernements poussent à la guerre. Il est parfaitement indifférent aux peuples de savoir par qui ils seront gouvernés, pourvu qu'ils soient bien gouvernés.

Pendant les trois dernières années on a dépensé en préparatifs militaires 951 millions de marks. C'est une vis sans fin, qui oblige à des dépenses sans cesse croissantes par suite des progrès de l'industrie. Qui songe encore aujourd'hui à rendre la guerre plus humaine?

Lorsque les peuples se rueront les uns sur les autres, sur l'ordre des souverains placés à leur tête, il n'y aura pas assez de frères de l'Ordre de Saint-Jean et de sœurs de charité pour soigner toutes les blessures. ... Il ne saurait être question de rendre sans condition l'Alsace-Lorraine à la France; toutefois, nos hommes d'État devraient s'efforcer d'établir un état de choses tolérable en rétablissant un lien entre ces provinces et la France.

En France, on est persuadé que l'Allemagne n'attend que le moment propice pour anéantir son voisin.

Où ces armements nous conduiront-ils ? Quand il faudra combattre, nous serons épuisés. Je ne crois pas que l'Autriche et l'Italie, dont les finances ne sont pas des plus solides, puissent facilement effectuer leur mobilisation et j'ai même des doutes en ce qui concerne l'Allemagne, si je considère le peu de dévouement dont notre bourgeoisie a fait preuve en 1870. Ces charges qui pèsent continuellement sur nous finiront par paralyser nos forces de résistance.

En Allemagne comme en France, les protectionnistes jurent leurs grands dieux que les droits sur les blés et le bétail ne font pas hausser le prix du pain et de la viande. La Freissinige Zeitung publie, à ce propos, un tableau curieux, extrait, dit-elle, de documents absolument officiels, et qui est peu agréable à lire pour le consommateur. Le froment a monté, depuis septembre 1887, de 17,5 0/0; l'orge, de 22,4; l'avoine, de 43,4; le bœuf, de 5,1; le porc, de 19,1; le veau, de 8,1. Les pommes de terre seules ont baissé, parce qu'elles ne sont soumises à aucun droit de douanes.

« PreviousContinue »