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caisses, plus directement placées sous la mise de l'État, ce qui diminuait, dans une certaine mesure, la valeur du billet de banque, déjà si sérieusement atteinte. Il est vrai que les certificats d'or et d'argent et les nouvelles cédules hypothécaires 40/0 paraissaient destinés à diminuer le nombre des billets de banque. Mais cette substitution était-elle réalisable? on peut en douter; on peut même penser qu'elle est irréalisable. Quant à l'impôt du 2 0/0 sur les dépôts des banques, qui n'avaient pas encore adhéré à la loi de 1887, il était à la fois arbitraire au premier chef, puisqu'il contraignait toutes les banques à devenir banques de circulation, et contradictoire avec le but réel des nouveaux projets, puisque la circulation fiduciaire devrait être augmentée pour permettre aux nouvelles banques de profiter des droits de la législation de 1857.

Il paraitrait que pour compliquer encore une situation, déjà si complexe, M. Varela aurait eu l'idée de créer une monnaie d'argent, sans doute avec le rapport consacré de 15 1/2. Les certificats d'argent que la Caisse nouvelle devait émettre auraient correspondu aux pesos d'argent de nouvelle monnaie que le gouvernement ferait frapper. Comme la dépréciation de l'argent n'est que de 33 0/0 tandis que celle du billet de banque avait atteint 59 0/0, M. Varela comptait que les pesos d'argent et surtout les certificats d'argent pourraient prendre la place du papier. Les billets de banque, non convertibles en or, auraient été convertibles en argent, facultativement,non obligatoirement; toutefois on devait demander au congrès l'autorisation de convertir en argent une partie des prêts faits en or par la banque. M. Varela pensait que l'argent entrerait ainsi peu à peu dans la circulation; ce serait, aurait-il dit, par la petite porte. En tout cas les porteurs de rentes argentines feront sagement de ne pas se charger à l'excès, car le congrès pourrait fort bien leur offrir de l'argent au lieu de l'or.

Que faut-il penser de ce recours au bimétallisme in extremis? » Règle générale, les États à papier-monnaie préfèrent conserver le papier avec cours forcé que de le remplacer par de l'argent. D'abord, on ne fait pas circuler l'argent à volonté ; puis le certificat d'argent est un instrument monétaire nouveau dont la destinée est inconnue ; enfin la perte sur l'argent est irrévocable, tandis que l'agio sur le papier peut n'être que temporaire. Le gouvernement argentin ferait-il frapper des pesos d'argent d'après le cours actuel de l'argent en baisse, ce que la loyauté exige, que cette monnaie même, d'une circulation difficile, pourrait ne pas entrer dans le mouvement quotidien des affaires et que, repoussée des marchés internationaux, elle n'améliorerait pas la situation tout en exigeant des sacrifices élevés que l'acquisition de l'or lui-même.

presque aussi

La frappe d'une certaine quantité de pesos et billon d'argent peut être utile à la circulation tout intérieure (marchés, affaires rurales) de la République Argentine, mais elle sera impuissante à rétablir l'équilibre entre une circulation de papier excessive et une circulation d'or insuffisante.

Le projet de doter la République Argentine d'une circulation d'argent, en vue de diminuer l'agio sur les billets de banque, a été mis en mouvement et développé avec talent à Buenos-Ayres par M. Andres Lamas et en France par M. Pedro Lamas. Il n'est pas sans rapports avec une idée plus générale, celle d'installer dans tout le continent américain une vaste circulation d'argent et de renoncer momentanément à une circulation d'or. Il semble chimérique de compter sur les États-Unis, en possession d'un stock d'or très élevé, pour la mettre à exécution. Mais en est-il de même pour l'Amérique Centrale et l'Amérique du Sud, dépourvues d'or et riches en mines d'argent? Je ne le pense pas. Les États de cette partie de l'Amérique pourraient s'entendre avec l'Angleterre, l'Inde, l'Espagne, l'Italie, la Chine en vue de faire sur la circulation de l'argent une expérience importante, sous la condition expresse d'appliquer une des nombreuses combinaisons étudiées en Angleterre et aux États-Unis pour organiser uniquement la circulation de l'argent, comme en Chine, d'après les cours du métal.

On peut admettre que, dans ces conditions, l'agio des billets au porteur tendrait à se rapprocher de la différence entre l'or et l'argent mais pour rendre cette expérience sérieuse et utile, il fau drait accepter plusieurs conditions: 1° tenir la main à une circulation rigoureusement limitée non seulement des billets de banque - mais des billets au porteur de l'Etat, des bons des provinces et des communes; 2° restreindre les crédits hypothécaires qui représentent la mobilisation du sol d'après des valeurs de fantaisie; 3o renoncer aux emprunts en or en Europe et par suite modérer la fièvre de la colonisation.

Il est douteux que les projets de M. Varela fussent de nature, soit à tenter cette expérience, soit à modérer la crise dont la hausse de l'agio annonçait la prochaine survenance.

Aussi, loin de favoriser le développement de la législation de 1887 sur les banques de circulation, les nouveaux projets de M. Varela ne pouvaient que le contrarier, le retarder et le compromettre.

Il faut aller plus loin; ces projets émanés de conceptions où l'inexpérience et l'aventure dominent, étaient de nature à ébranler le crédit renaissant de la République Argentine et à inspirer de singulières réflexions aux porteurs de ces rentes, si recherchées l'an dernier et

que les marchés européens absorbent encore avec plus d'avidité que de clairvoyance.

Vers la fin du mois d'août dernier, l'agio sur les billets de banque est monté tout à coup à 178. M. Valera a dù renoncer à continuer une lutte dangereuse. M. Pacheco a repris le portefeuille des finances, mais l'agio a continué de monter, après avoir atteint à 240, soit 59 0/0 de perte pour s'établir à 230, perte 57 1/2 0/0.

Le Congrès a dù aviser à de nouveaux moyens pour remédier à une situation qui devenait dangereuse. Les salaires, en'effet, n'avaient pas suivi les mouvements des prix des denrées, soulevés par la hausse de l'or, ou la dépréciation du papier. Des symptômes de graves mécontentements se manifestaient à Buenos-Ayres et dans les autres villes. Cette divergence ou plutôt ce défaut de concordance se produit invariablement. Il a eu lieu sous Law et à l'époque des assignats. Le Congrès a adopté sans retard diverses propositions du gouvernement :

1° Suspension de toute nouvelle émission de billets de banque, bons d'État ou bons provinciaux jusqu'en juin 1891;

2o Retrait d'une partie de la circulation de la Banque nationale de manière à ramener progressivement le total de la circulation à 100 millions pesos;

3o Formation d'un fonds pour retirer 80 millions pesos de la circulation au moyen d'un emprunt de 5 millions de francs en Europe et de la vente de 24.000 lieues carrées de terrains contre 120 millions or; 4° Augmentation du capital de la Banque nationale porté à 100 millions pesos Mm.

L'emprunt a été négocié à Londres. Il est également question de syndicats gigantesques pour accaparer les 24.000 lieues carrées.

Ces mesures seront-elles d'une efficacité suffisante? Il est difficile de l'admettre, parce que le mal est trop grand, d'un côté, et que, d'un autre côté, les entreprises, spéculations de tout genre, fondation de sociétés et de banques se multiplient de toutes parts, exactement comme si l'agio n'était pas de 57 0/0. Le gouvernement lui-même est loin d'observer l'extrême prudence que les circonstances commandent impérieusement. On en trouve la preuve dans le rapport adressé le 10 octobre par M. Pacheco au Congrès. Il résulte de ce Rapport que le Trésor ne dispose réellement que de 19 millions pesos en or pour répondre à tous ses payements et qu'il a déjà entièrement aliéné l'or versé par les banques.

Il est vrai que les nouvelles banques de circulation doivent verser successivement 28.307.377 pesos or; mais ce versement est contradictoire avec le projet de réduire la circulation.

Et cependant on évalue pour 1890 à 430 millions de francs les remises en or qu'il faudra faire en Europe dont 250 millions pour compte du gouvernement.

On conviendra que la vente de 24.000 lieues carrées a un caractère bien aléatoire pour parer à de pareilles éventualités.

Le gouvernement a essayé de propager dans le public l'idée qu'il n'avait pas de part de responsabilité dans ces embarras dont le contre-coup sur les grands marchés européens sera inévitable, eu égard aux relations actuelles de ces marchés avec la République Argentine.

Cette responsabilité est cependant de toute évidence. Elle consiste dans le fait blåmable d'avoir tenté une organisation intérieure du crédit argentin (Loi du 7 nov. 1887 sur les banques de circulation) en vue de fournir des ressources à l'État (dépôts d'or ou échange des rentes) pour opérer une vaste conversion ou faire de nouveaux emprunts.

La République Argentine a exactement procédé comme Law. Law n'a pas échoué par ses lois sur les banques, mais par sa grave erreur de se servir des ressources de la Banque royale pour faire une opération gigantesque de conversion et procurer des emprunts indirects à l'État.

Dans son Rapport au Congrès du 10 octobre dernier, M. Pacheco a bien affirmé que la cause « des difficultés monétaires ne réside pas dans des raisons d'ordre financier se rattachant au gouvernement ou nécessité pour l'accomplissement des obligations du Trésor national ». Nous ne saurions partager les illusions de M. Pacheco et nous associer à ses appréciations. En 1886, l'ensemble des dettes extérieure et intérieure de la nation et des provinces s'élevait à 296.821.379 pesos; cet ensemble a été porté, en 1888, à 574.068.146 pesos, aecroissement en deux ans 277.247.067 pesos, fournis en forte partie par les marchés d'Europe sur lesquels il faut payer les arrérages en or.

Le gouvernement a donc endossé une lourde responsabilité. Il a commis une faute en organisant la circulation fiduciaire en vue des besoins de l'État. Il a procédé comme Law, comme la Révolution française, comme Pitt, en 1797, sans avoir les mêmes excuses. Par suite, il a compromis le sort de la législation nouvelle des banques.

Cette faute a eu d'autant plus d'influence que le gouvernement a autorisé les banques à mettre en circulation jusqu'à 400 millions. pesos environ de cédules hypothécaires, soit 2 milliards de francs pour une population de 4 millions.

Ainsi, sans connaître les bons de l'État, des provinces et des communes, il circule dans la République Argentine 1° billets de banque 214 millions pesos ou 1.056 millions fr.; 2° 574 miilions pesos

inscriptions de rentes ou 2.870 millions fr.; 3° 400 millions de cédules ou 2 milliards fr., ensemble 6.430 millions fr., ce qui exige seulement des remises d'or en Europe évaluées pour 1890 à 430 millions fr. dans un État dépourvu d'or et même d'argent.

La dépréciation du papier est proportionnelle à l'excès de ces diverses circulations. Cette dépréciation n'est pas seulement l'expression de la surabondance des moyens circulatoires et de l'abus du crédit de l'État, elle atteste également le caractère factice des capitaux. C'est le service le plus réel qu'elle rend aux esprits clairvoyants. Sans doute, les ressources de la République Argentine sont très considérables; mais elles sont encore loin d'être réelles. L'agio sur l'or veut dire, en général, que dans l'évaluation des capitaux de toute nature (terres, maisons, troupeaux, marchandises), la différence entre la valeur supposée et la valeur réelle est au moins de 50 00.

Dans tous les documents sur la condition économique de la Répu blique Argentine, même dans les documents officiels, il est facile de trouver les preuves de cette exagération générale de toutes choses, de l'anticipation du présent sur l'avenir et d'une sorte de mirage, en vue de métalliser (c'est le mot même du Rapport de M. Pacheco les capitaux qui n'ont pas plus de réalité que les milliards de Law dans la Louisiane et le Mississipi.

Rien de plus contraire à l'installation d'un système de banques de circulation que la prétention de l'associer à une métallisation quelconque de capitaux qui n'existent pas. Sous ce rapport, le dernier rapport de M. Pacheco est presque le modèle du jour. Il évalue à 675 m. Mn les biens appartenant à divers ministères. D'autre part, dans la Revue Sud-Américaine, du 10 novembre, on fait entrer en ligne de compte pour être réalisés en or :

1° Produits de terre de salubrité, 12 millions;

2o Actions de la banque, du chemin de fer central et fonds publics,

50 millions;

3o Vente des terrains du port Madero, 60 millions;

4o Terres nationales mesurées 120 millions;

5° Existence approximative dans les banques, 20 millions.

Le rédacteur de cet inventaire trouve que « le gouvernement groupe ainsi en effectif et en valeur négociables une somme en or de 262 millions pesos ou 1310 millions fr. suffisante pour dominer la crise jusqu'à ce que la production même rétablisse l'équilibre ».

Cela nous parait aussi prestigieux et tout à fait digne des évaluations de Law ou de la Convention en 1793.

On comprend que les détenteurs d'or demandent un peu plus de lumière et qu'en attendant qu'elle soit faite, ils évaluent le papier

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