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j'adressais à son premier volume se doivent répéter pour celui-ci, et mes anciennes critiques ne seraient plus toutes justifiées. M. Amagat condamne ouvertement aujourd'hui, par exemple, les doctrines protectionnistes qu'il approuvait d'abord. Je lui reprocherai seulement de s'en tenir plus rigoureusement encore dans ce volume aux documents parlementaires, et de ne pas suffisamment rappeler les divers emprunts, si souvent dissimulés, qui se sont contractés durant les deux périodes qu'il examine.

Il se renferme vraiment trop dans les projets de budget soumis aux Chambres et dans les discussions auxquelles elles se sont livrées à leur sujet. A peine y joint-il quelques remarques personnelles, at risque assuré d'enlever, en se restreignant autant, beaucoup d'intérêt et d'utilité à son travail. Mais il n'a voulu faire qu'un résumé de notre récente histoire financière parlementaire, et ce résumé est excellent. 'Ce que j'y loue surtout, après l'exactitude, c'est l'impartialité, je dirais volontiers la profonde honnêteté. L'on n'y trouverait nulle part en effet une observation, un blâme, un éloge, qui indique même à quel parti appartient M. Amagat, et ce n'est certainement pas un mince mérite de nos jours. Bien que républicain, le ministre des finances qu'il admire le plus, c'est M. Magne, l'ancien ministre de l'Empire. Il reproche justement à ses amis politiques de s'être coalisés pour renverser presque aussitôt ce sage et dévoué serviteur de la France, le dernier disciple du baron Louis. M. Magne se rappelait encore surtout les conseils et les exemples de ce grand maître lorsqu'il écrivait, dès son entrée au ministère des finances, au président de la République : « Le pays a le droit de voir clair dans ses affaires », et qu'il s'appliquait à présenter à l'Assemblée nationale un budget loyal et sincère. Il a hautement en outre répudié le système, tant pratiqué depuis lui, qui consiste à transformer en annuités les capitaux dus, et a introduit l'ordre et le contrôle même celui de la Cour des Comptes- dans notre premier compte de liquidation. Ce sont là de grands et nobles services que M. Amagat a raison de ne pas oublier. Je lui aurais aussi su gré cependant de donner quelques éloges à un autre ministre des finances, M. Mathieu-Bodet, et à un député, dont l'autorité financière est loin d'être autant appréciée qu'elle le mériterait, M. Germain. Pourquoi n'a-t-il pas non plus loué comme elle de mérite notre rente amortissable?

En suivant le travail de M. Amagat sur les budgets de 1872, 1873, 1874, 1875, 1876, 1877, 1878, 1879, 1880, 1881, 1882 et 1883, il est facile d'apercevoir leur constante progression et de se rendre compte des mesures exceptionnelles qu'ils ont nécessitées, pour pourvoir aux dépenses qu'ils comprenaient, sans y pourvoir. Les crédits demandés pour 1872 représentent, par rapport aux crédits définitifs de 1869, un accroisse

ment de charges de 536.123.904 fr., dont il est inutile de dire la cause. Entre les recettes de 2 413.695.959 fr. et les dépenses, il existait un déficit de 2.639.081 fr.: 1.798.846.959 fr. devaient être fournis par les anciens impôts, 366.349.000 fr. par de nouvelles taxes dès lors votées et 247,500.000 fr. par d'autres taxes seulement proposées. C'était surtout là le résultat de l'augmentation de notre dette publique, passée de 543.899.226 fr. à 1.109.843.410 fr., et cette dernière somme, seule réclamée, était encore insuffisante. Tous les ministères, ce qui malheureusement ne s'est plus reproduit, voyaient leurs crédits diminués, sauf le ministère de la guerre, dont la dotation était portée à 450 millions.

Voilà l'origine, le point de départ de notre nouvel état financier. Sou point d'arrivée en 1878, terme de la gestion conservatrice, a été une dépense de 3.108.758.696 fr. pour une recette de 2.851.364.298 fr.; d'où un déficit de 257.394.197 fr. Six années plus tard - passées sous le gouvernement purement républicain en 1883, la dépense s'est élevée à 3.715.366.616 fr. contre une recette de 2.962 476.185 fr.; d'où un déficit de 752.890.430 fr.

Le caractère financier du gouvernement de M. Thiers fut, on le sait, un développement démesuré de nos forces militaires et une extension non moins déraisonnable de nos impôts indirects. M. Amagat ne blâme pas assez, à mon avis, la grande augmentation de nos dépenses militaires, dépassant toutes nos ressources, ni, pour y satisfaire, la création des deux comptes de liquidation et du budget extraordinaire, qui leur a succédé. De telles mesures s'opposaient à tout ordre et à toute vérité financière. Il est vrai que c'est peut-être là ce que l'on en attendait. 11 m'est, en outre, impossible de croire que de pareilles dépenses, très mal établies et souvent très mal faites, ne nous aient pas nui plutôt que servi. Les guerres ne se font plus sans d'énormes capitaux, et elles nous ont ruinés. Ne sont-elles pour rien aussi dans les diverses alliances formées contre nous? Quand on veut la paix, le mieux est encore d'en arborer hautement le drapeau. Si nous l'avions fait, nous aurions mieux ménagé notre richesse, notre industrie, notre population, et, à défaut des gouvernements, qui n'auraient pas pu nous menacer davantage, nous nous serions vus appuyés, encouragés, soutenus par tous les peuples européens. Je ne pourrais, quant à moi, louer l'administration financière de M. Thiers que pour le prompt payement de notre rançon et pour l'importance de notre premier fonds d'amortissement.

M. Amagat s'élève très justement contre les successives diminutions apportées à ce fonds, malgré la parole donnée à nos créanciers. Mais je lui sais gré surtout de blâmer M. Thiers de s'ètre « obstiné à défendre un grand nombre d'inutiles organismes, condamnés par le temps comme par l'intérêt du pays ». Aucune réforme, écrit M. Amagat, de même ailleurs,

◄ n'a été faite par le gouvernement de M. Thiers dans notre organisation budgétaire, le chiffre des traitements n'a pas été diminué et le nombre des fonctionnaires n'a été réduit dans aucun service ». Que d'économies étaient pourtant faciles! Que d'abus auraient dû être supprimés! Malgré les charges accablantes résultant de la guerre, de notre nouvelle révolution et de la Commune, seuls les 26.500.000 fr. de la liste civile et de la dotation des princes ont été définitivement épargnés, et ces 26 millions et demi ont été aussitôt et de beaucoup dépassés par les dépenses des Chambres et des ministères.

Je ne dirai rien des opinions protectionnistes de M. Thiers. Personne n'a oublié l'ardeur et la ténacité qu'il a mises à les soutenir. M. Amàgat ne craint plus de féliciter la première commission du budget de l'Assemblée nationale d'avoir rejeté les droits de douane, très habilement ou très perfidement choisis, qu'il voulait établir sur les matières premières. Elle respectait, dit-il, le régime de nos industries que M. Thiers aurait bouleversé par l'application de son système. Malheureusement l'Assemblée nationale elle-même a cédé dans la suite à ses détestables suggestions, et nous sommes, peu à peu, revenus au plein régime de la protection. Ce qui a singulièrement contribué, il importe de le remarquer, à nous rendre le peuple le plus atteint par la crise que l'Europe vient de subir, et à rester, avec l'Italie, en ce moment, le seul qui en souffre encore.

Je renvoie à l'ouvrage de M. Amagat pour les divers emprunts publics contractés et la plupart des fâcheux expédients de trésorerie qui me faisaient dire, dès 1879, que nous en étions arrivés aux coutumes financières de l'ancien régime. Ministres et commissions trompent sciemment alors, en effet, le pays sur ses recettes, ses dettes et ses dépenses, sans souci de ses ressources et de ses nécessités. La plus grande préoccupation des uns et des autres est de ne pas révéler les moyens employés et de ne plus payer aux échéances stipulées. Mais, je le répète, c'est là la partie la moins complète et la moins étudiée du livre de M. Amagat.

Je renverrai également à cet ouvrage pour la dette flottante et surtout pour nos payements faits à l'Allemagne qui en forment l'un des chapitres les plus intéressants. M. Amagat porte ces payements à 13 milliards; chiffre plus élevé, mais plus exact, que ceux donnés par M. Thiers, M. Magne, M. Say et M. Mathieu-Bodet. En ajoutant à ces 13 milliards les deux comptes de liquidation. 1.933.502.560 fr., les dédommagements soldés aux départements envahis, les primes des emprunts, la perte du matériel de guerre, les pertes du Trésor par l'abandon de l'Alsace et de la Lorraine, la valeur des monuments incendiés par la guerre et la commune, on arrive à l'effroyable somme de 15 milliards et demi. Et c'est en face d'un pays aussi accablé que l'on s'est refusé à toute économie, à toute réforme des abus administratifs !

Dans la seconde partie de son travail,« la gestion républicaine jusqu'aux conventions », M. Amagat montre les mêmes qualités que dans la première. Après avoir reproduit ces paroles de M. Grévy, à son avènement à la présidence de la République : « Nous avons à inaugurer l'application de la constitution nouvelle et à montrer que la République est un gouvernement d'ordre, de liberté et de progrès », il ajoute avec grande raison: « La République vaut ce que valent les partis et les hommes qui la gouvernent ». Et personne n'ignore ce qu'ont valu ces partis et ces hommes et ce que sont devenues nos finances sous la présidence de M. Grévy. Les dépenses n'ont plus eu de bornes, le gaspillage et les dilapidations de limites; les plus regrettables expédients, les plus coupables usages se sont chaque jour multipliés; tout a été sacrifié à l'esprit de secte, à l'intérêt électoral, aux plus honteuses convoitises. Quels projets se déposaient en même temps aussi à la tribune! Déjà, durant le gouvernement conservateur, des députés réclamaient un laboratoire d'anatomie pathologique, un observatoire d'analyse de la lumière des astres, des retraites pour les instituteurs, des pensions, de plus hauts traitements, de nouvelles fonctions! Pendant la période puremeut républicaine, d'autres députés faisaient inscrire dans le budget, celui de 1878 par exemple, un crédit en vue d'une mer intérieure à créer en Afrique ; tous voulaient des casernes, des chemins de fer dans leurs circonscriptions, sans renoncer aux plus extravagants dégrèvements! M.Haentjens, seul peut-être, demandait avec raison, à ce moment, la conversion de notre rente 5 pour 100 en rentes 4 1/2 pour 100. L'on comptait si peu avec nos dettes et nos impôts que la haine religieuse n'empêchait pas d'augmenter le traitement des desservants.

Le résultat d'une aussi triste gestion financière, c'est que, en six ans, les dépenses ont été portées de 2.732.173.813 fr. à 3.715.336.616 fr., de 1877 à 1883, en laissant un déficit de 3.178.880.078 fr.; soit un déficit moyen annuel de 529.813 546 fr. Les charges du budget extraordinaire de la guerre et de la marine figurent seules dans les dépenses de 1883 pour 143.038.032 fr., et le fonds de réserve, de 150 millions, a disparu. Combien d'emprunts successifs, tout à la fois, d'engagements dissimulés, de payements ajournés, de vérifications retardées, de contrôles méconnus ou rendus impossibles!

Je mentionnerai, en finissant, les nombreux tableaux suivis de notes explicatives, où sont énumérées, dans l'ouvrage de M. Amagat, les dépenses de chacune de nos administrations, celles des approvisionnements, de la solde de l'armée et de la marine, celles enfin de nos routes, de nos ports, de nos canaux et de nos chemins de fer.

GUSTAVE DU PUYNODE.

L'ORDRE INTERNATIONAL, par CHARLES PERIN, Correspondant de l'Institut de France. Un volume. Paris. Librairie Victor Lecoffre.

Pour M. Charles Périn, c'est la philosophie qui a mis le monde à mal. Les doctrines positivistes propagées par les écrivains de ce temps-ci vont achever de détruire les dernières traditions que la Révolution avait laissées debout. Avec ces traditions et ces croyances, disparaissent peu à peu la morale, le droit et partant le droit international. Ni J. Stuart-Mill, ni Herbert Spencer, ni Henri Sumner Maine n'ont tenu compte de Dieu dans leurs études sur la société. Or, dit l'auteur : « La foi au Dieu créateur, à l'autorité souveraine de sa loi, le mode et le degré de cette foi, constituent l'élément le plus important de la vie sociale pour la société internationale comme pour les sociétés particulières. Dieu est dans la vie humaine le principe nécessaire. Les peuples qui le nient et le blasphèment ne ressentent pas moins que ceux qui l'affirment et l'adorent son inévitable présence et sa toute-puissante action. Dans le vide où s'agitent les sociétés qui prétendent vivre comme si Dieu n'était pas, on sent mieux peut-être qu'ailleurs, que Dieu est l'éternel et l'invincible vivant par qui toutes choses sont et se conservent, que, hors de lui, il n'y a que l'impuissance de la créature séparée de son principe et l'incurable fragilité de tout ce qui se fait sans lui ». Cette déclaration, nous pourrions dire cet acte de foi, montre dans quel esprit est écrit ce livre très remarquable, du reste, par la clarté de l'exposition et l'érudition.

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Mais il ne suffit pas de proclamer un principe scientifique ou un dogme; pour l'un et l'autre, à moins que l'on ne demeure sur le terrain des idées spéculatives, il faut tirer des conséquences pratiques, des règles applicables aux hommes; car les hommes ne sont pas précisément, surtout lorsqu'on envisage les questions internationales, de purs esprits. Aussi M. Charles Périn, dans la première partie de son ouvrage intitulée : a la société internationale», s'efforce-t-il, en prenant à ses origines l'histoire de l'humanité, de prouver que le christianisme seul a donné au monde l'idée de fraternité, et indiqué aux peuples la voie du progrès. Sous le paganisme, dit M. Périn, règne l'individualisme sauvage, le particularisme; l'égoïsme de cité est la loi générale. Il faut remarquer, cependant, que chaque cité antique avait ses dieux et ses lois, que les lois et les croyances religieuses, à l'origine, se confondaient, et qu'en défendant leurs dieux, ces petits peuples défendaient en somme leur autonomie. Il ne pouvait guère en être autrement pour ces nations à l'état embryonnaire. Le christianisme vient, mais il trouve le monde romain, sinon plein de cohésion, au moins unifié, discipliné par une loi commune; c'est là qu'il fait ses premières conquêtes, et c'est à Rome, reine du monde par les armes, qu'il va établir le siège de sa puissance spirituelle.

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