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de l'abolition de ce monopole, qui avait cependant résolu le problème de rendre les allumettes aussi peu combustibles que possible. Par un second vote, elle l'a rétabli en l'aggravant, c'est-à-dire en le faisant passer des mains de la Compagnie fermière dans celles du gouvernement. Parmi les arguments dont M. le ministre des finances s'est servi pour décider la Chambre à revenir sur son vote, nous relevons celui-ci c'est que le gouvernement ne s'empare du monopole des allumettes qu'afin de pouvoir le supprimer aussitôt que l'état des finances le permettra. Sur quoi, la Chambre s'est déjugée de confiance. Ah! le bon billet qu'a La Châtre !

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Le Sénat a discuté et voté la loi relative au travail des enfants et des femmes déjà adopté par la Chambre précédente. Tout en maintenant l'interdiction du travail de nuit pour les enfants et les filles mineures, il s'est refusé de l'établir pour les femmes majeures. Il serait certainement à souhaiter que les femmes majeures ou non pussent passer la nuit au logis au lieu de la passer à l'atelier. Si elles travaillent au lieu de dormir, c'est qu'apparemment la nécessité les y oblige. Si on leur interdit le travail dans les ateliers de la grande industrie, à laquelle s'applique exclusivement la réglementation gouvernementale, ne seront-elles pas obligées de le chercher ailleurs, car nous ne sachions pas que le « législateur » malgré son omniscience et sa toute-puissance, ait trouvé les moyens de leur procurer les ressources nécessaires pour s'en dispenser. Elles ne manqueront pas de refluer dans les ateliers de la petite industrie, qu'elles encombreront et où elles feront baisser les salaires. Tel a été partout le résultat le plus clair des lois limitatives de la durée de travail des enfants et des femmes dans les manufactures. En Angleterre, par exemple, les fileuses protégées de la grande industrie ne travaillent que 9 heures par jour, mais les malheureuses qui emploient le fil dans les petits ateliers de couture ou dans leur misérable logis, font parfois des journées de 18 heures. Que voulez-vous? Le législateur ne peut protéger tout le monde. Tout son pouvoir et toute sa science se bornent à « déplacer », le plus souvent en les aggravant, les maux qu'il entreprend de supprimer. Il ressemble à ces domestiques pleins de zèle qui époussètent les meubles en oubliant d'ouvrir les fenêtres. Voilà pourquoi nous n'avons qu'une foi médiocre dans l'efficacité de ce balayage législatif et philanthropique. Et voilà pourquoi aussi nous sommes, la chose est avérée, des économistes sans entrailles!

Tandis que l'Angleterre ouvre librement son immense empire colonial aux produits de toutes les nations, sans s'y réserver aucun privilège, la France, livrée à la coalition protectionniste ressuscite les pratiques surannées du système colonial et les renforce tous les jours par de nouvelles entraves. Une note du Journal officiel nous apprend qu'à l'avenir les tissus de soie et de coton d'importation française devront être accompagnés d'un certificat d'origine, afin d'empêcher l'introduction dans l'Indo-Chine des tissus étrangers importés en France sous le régime du tarif conventionnel.

« C'est, en effet dit le Journal des Débats, par ce procédé qu'ont été éludées les dispositions presque prohibitives du nouveau décret. Les fabricants de Rouen, qui avaient commencé à faire quelques affaires de tissus en Indo-Chine et qui espéraient, grâce à l'élévation des droits, être les maîtres du marché, se sont vus, dans ces derniers mois, abandonnés par leurs clients de Saigon et d'Haïphong qui ont trouvé avantage à s'adresser aux maisons anglaises, ainsi la majoration des droits de douane a produit un double résultat : elle a fait diminuer le chiffre des importations françaises, elle a privé les budgets de la Cochinchine et du Tonkin d'un élément de recettes puisque des tissus anglais ont été introduits en franchise, en IndoChine, comme produits français, après avoir acquitté en France les droits des tarifs conventionnels.

« C'est pour remédier à ces inconvénients que l'administration des colonies a pris le parti de ne considérer comme tissus français, à leur entrée en Indo-Chine, que ceux qui seraient accompagnés d'un certificat attestant qu'ils sont de fabrication française. L'expérience prouvera si la délivrance de ces certificats, qui ajoute une formalité de plus à celles que nécessitent déjà les exigences de la douane, suffira à préserver l'industrie française de la concurrence qu'elle redoute. En tout état de cause, il en résultera une grande gêne pour le commerce de détail de Saïgon et du Tonkin qui sera obligé, pour chaque achat de tissus qui sera fait en France, de faire rechercher le fabricant afin d'obtenir les certificats à produire ».

Les résultats de ces nouvelles vexations protectionnistes sont faciles à prévoir d'une part, elles contribueront à diminuer encore le commeree d'importation et par conséquent aussi, le commerce d'exportation de l'Indo-Chine; d'une autre part, elles feront envier aux Annamites, obligés de payer sur leurs vêtements une dime au profit des fabricants français, le sort des Indous vêtus à bon marché sous la domination de l'Angleterre libre-échangiste.

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Dans un banquet qui a eu lieu à Rouen en l'honneur du Syndicat industriel français, M. Etienne, sous-secrétaire d'État aux colonies a entrepris de justifier ce retour à un système à la fois inique et rétrograde, en agitant l'épouvantail chinois du Zollverein américain, et en invoquant le mouvement irrésistible qui emporte l'Europe >> :

Dans le passé, la France peut s'enorgueillir d'avoir largement ouvert ses portes. Aujourd'hui, il n'est plus permis d'ignorer ce qui se passe autour d'elle. La vieille Europe ne peut méconnaître ce fait, que l'Amérique, après avoir créé son industrie derrière des portes soigneusement fermées, songe à créer un Zollverein réservé aux pays du nouveau monde.

Aujourd'hui, la France doit prendre soin de réserver son propre marché jusqu'aux colonies. Ce qui prouve que nous sommes dans le vrai en disant cela, c'est le mouvement irrésistible qui emporte l'Europe.

L'Italie qui avait cédé au « mouvement irrésistible » de M. Etienne en surtaxant les produits français, s'est aperçue un peu tard, qu'en réservant ainsi son propre marché, elle n'était pas précisément dans le vrai, car les conséquences de cette mesure protectionniste ont été désastreuses pour son agriculture, son commerce et ses finances. Le gouvernement italien a eu le bon esprit de ne pas s'entêter à poursuivre une politique ruineuse et rétrograde. Mettant tout amourpropre de côté,il a obéi,cette fois, au mouvement irrésistible de l'opinion en faveur du retour à une politique plus libérale, conforme d'ailleurs aux grandes traditions de M. de Cavour, et il a proposé au Parlement d'abolir les droits différentiels :

Dans l'émulation de l'activité universelle, lisons-nous dans le discours d'ouverture de la session, vous avez favorisé la production italienne, mais sa protection ne doit pas s'inspirer de défiances et de soupçons. Il ne faut pas, sans profit pour les peuples, empêcher les réformes qui, en abaissant les frontières, rendent plus faciles l'échange des produits et plus amicales les relations internationales. (Bien !)

Maintenant que vous avez solidement établi le développement de l'industrie, le gouvernement vous proposera d'abolir les tarifs différentiels entre l'Italie et la France (Très bien ! Applaudissements) que vous avez approuvés dans une période de transition, mais qui, s'ils étaient

maintenns, empêcheraient de progresser vers un régime commercial plus libéral, quoique garanti. Et mon gouvernement ne s'y refusera pas, s'il est secondé.

Cette proposition a été favorablement accueillie par le Parlement. Dans quelques jours, les droits différentiels auront vécu. Le tarif général de l'Italie n'est, à la vérité, nullement libéral. C'est un tarif de combat. Mais la suppression des droits différentiels qui l'aggravaient du côté de la France n'en atteste pas moins que le mouvement en faveur de la protection n'est pas aussi irrésistible en Europe que le prétend M. Etienne.

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Voici quelques extraits particulièrement intéressants du rapport de M. Seissmit Doda sur la suppression des droits différentiels :

Les échanges légaux entre l'Italie et la France ont diminué sensiblement, comme l'attestent les chiffres proportionnels calculés sur la valeur des importations et des exportations enregistrées par nos statistiques douanières pour les cinq années 1883-1887 et pour l'année 1888.

Le ministre dresse des tableaux d'où il résulte que, de 1833 à 1887, la France participait dans la proportion de 21 0/0 dans les importations en Italie et de 40 0/0 dans les exportations de l'Italie, tandis qu'en 1888 elle n'a plus participé que pour 13 0/0 aux importations en Italie et pour 20 0/0 aux exportations de l'Italie.

« Les statistiques françaises indiquent que l'exportation (française) en Italie est tombée de 181,1 millions à 119,4 millions, et que les importations italiennes en France sont tombées de 335,1 millions à 182,2 millions, toujours en comparant la moyenne des années 1883-87. Tandis que l'exportation française vers l'Italie représente moins de 6 0/0 de la valeur du commerce extérieur français, les exportations italiennes en France représentaient pour le passé 40 0/0 de la totalité du commerce extérieur de notre pays. Telle est la différence des résultats pratiques de l'application des droits de guerre entre les deux pays.

«

<< Le dommage le plus grave infligé à notre commerce d'exportation par le tarif différentiel français regarde le vin. L'Espagne, le Portugal, l'Algérie ont occupé la place que nous étions contraints d'abandonner. Les caves de certaines régions italiennes ont débordé du vin excédant les besoins de notre consommation.

« Le commerce des soies italiennes a, lui aussi, subi des pertes: mais ces pertes, toutes ensemble, n'ont pas été telles qu'elles pesassent sen

siblement sur la balance commerciale. D'autres branches de commerce ont aussi subi l'influence de ce désaccord, malgré la conquête de nouveaux marchés.

« De l'autre côté (pour la France), les tarifs différentiels appliqués à nos frontières ont enlevé aux entrepôts français le commerce des denrées coloniales avec l'Italie, et ont réduit notablement les importations des tissus de laine et de soie, des poteries, des porcelaines, de la verrerie, des fers manufacturés, des machines et des merceries de travail oa de provenance françaises, avantageant les industries des autres pays industriels, notamment de l'Allemagne.

<< Par un ensemble de causes aujourd'hui connues et sur lesquelles la discussion peut paraître superflue et inopportune, il n'a pas été permis à l'Italie de poursuivre cette politique prudente et modérée en matière commerciale, qui, inaugurée par le comte de Cavour, avait été suivie jusqu'à ces derniers temps.

« L'Italie veut du moins que les tarifs de guerre disparaissent afin que le travail national ne prenne pas le pli d'une situation anormale et ne souffre pas plus tard des maux que, dans les conditions économiques d'une nation, entraîne avec elle un système artificiel.

« ... Nous ne savons pas si notre exemple sera suivi.

Mais nous, par cette abrogation, outre que nous répondons à un sentiment que la civilisation actuelle suscite chez tous ceux qui réfléchissent à la solidarité des intéréts économiques entre deux grandes nations, nous agissons encore en faveur de nos intérêts spécifiques, nous nous préoccupons des intérêts de nos consommateurs trop souvent oubliés.

D'après cette expérience des surtaxes de guerre, les résultats acquis et les résultats qu'on peut prévoir font conclure à en proposer l'abrogation dans notre intérêt, sans nous inquiéter de réciprocité. Même unilatérale, une décision de cette nature répond aux intérêts généraux du pays bien mieux que la persistance en un système qui pourrait être cause des plus graves dommages, s'il tendait à se perpétuer...

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N'en déplaise encore à l'honorable M. Etienne, le mouvement protectionniste ne paraît pas plus irrésistible en Amérique qu'en Europe. Dans son message présidentiel, lu le 3 décembre à l'ouverture du Congrès, M. Harrison, tout en maintenant le principe de la protection a recommandé la revision du tarif et la suppression des droits sur un certain nombre d'articles.

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