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De la Nouvelle Russie:

FONDER une ville dans une situation favorable, ou la tirer de ses ruines, agrandir son industrie et son cominerce, y réunir des habitans de toutes les parties du monde, y porter la civilisation et les arts, et par là faire le bonheur et la richesse des contrées qui l'environnent, voilà de ces bienfaits qui signalent le règne d'un bon, d'un grand prince, et qui transmettent son nom à la postérité la plus reculée.

Le récit détaillé de tous les travaux entrepris par Alexandre pour la prospérité de la Nouvelle-Russie ne pouvant entrer dans un tableau rapide du règne de ce prince, nous nous contenterons de retracer à nos lecteurs l'accroissement prodigieux qu'ont reçu les villes d'Odessa et de Taganrog. Ils jugeront aisément d'après cette esquisse à quelles brillantes destinées ces beaux pays, si long-temps abandonnés à l'insouciance et à la paresse des Turcs, ont été appelés par le génie bienfaisant d'un seul homme.

ODESSA jusqu'en 1803.

En 1794, Catherine II résolut d'établir à Hadgy-Bey une colonie de Grecs de l'Archipel; on leur donna un maire, et on commença quelques constructions mesquines qui prouvaient le peu d'intérêt qu'on mettait à cet établissement: il fut nommé Odessa.

L'amiral de Ribas, qui avait conquis Hadgy-Bey, proposa d'en faire un port marchand qui pût abriter aussi des vaisseaux de guerre. Ce projet, appuyé d'observations fut goûté de la souveraine de toutes les Russies, et

sages,

des travaux furent ordonnés. Mais ceux qui furent entrepris pour une forteresse, pour des établissemens publics, surtout pour des casernes, consommèrent inutilement plusieurs millions; la ville fut tracée sur un plan trop vaste, les caser-nes placées au lieu où le port devait être construit. Ces fausses mesures ont occasioné une grande perte, et forcé plus tard le gouvernement à loger les troupes dans la ligne de circonvallation. Les travaux du port restèrent imparfaits, les étrangers et les Russes découragés, craignirent que la ville ne fût abandonnée avant que d'être achevée, et ne bâtirent que des baraques dans la crainte de hasarder leurs capitaux. M. de Ribas seul fit construire une maison vastę et commode.

Odessa se releva un peu en 1801. Deux cent quatrevingts bâtimens de Constantinople et de la Méditerranée arrivèrent dès l'année suivante; quelques maisons de commerce s'y établirent; la population, logée partie dans la ville, partie dans un territoire de 40,000 arpens qui lui appartenait, s'éleva jusqu'à sept à huit mille ames, dont à peine un tiers de femmes. Cette population, presque toute agricole, était composée d'hommes difficiles à gouverner. Odessa, comme les nouveaux établissemens, était l'asile de tout ce que les pays voisins avaient de plus mauvais; les Russes et les Polonais, pour la plupart, étaient des hommes échappés de chez leurs maîtres ou des terres de la couronne; les Grecs, d'anciens soldats réformés. Trois cents familles juives venues de la Gallicie et des ouvriers de toute espèce faisaient partie de cette population composée d'élémens si opposés.

Paul Ier, à la fin de son règne, versa ses plus éclatantes faveurs sur Odessa; il lui prêta sans intérêt des sommes

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considérables, et lui fit présent des matériaux rassemblés pour le port de guerre qui depuis avait été abandonné. Les divers revenus de la ville devaient servir à construire une jetée pour mettre les bâtimens à l'abri des vents d'est et de sud-est, et à d'autres objets d'utilité publique; mais ce but ne fut pas rempli, aucune somme même ne fut appliquée aux travaux du port; des droits vexatoires furent, au contraire, établis sur les grains exportés et sur les bâtimens qui arrivaient.

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Cependant il faut rendre justice à MM. Kiriakoff, membres du comité des travaux publics: c'est à eux qu'est due l'existence actuelle d'Odessa et de la jetée qui fut construite avec une solidité qu'on eût cherchée inutilement dans les autres ouvrages élevés depuis la naissance de cette ville nouvelle.

Tel était Odessa au mois de mars 1803, lorsque M. le duc de Richelieu, nommé gouverneur, fit ehanger la face des choses, fixa la confiance publique et prépara des plans dont l'exécution si rapide tient du phénomène dans pays où les bras étaient si rares.

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Le pillage organisé des revenus de la ville effraya cet homme zélé et probe, mais ne le découragea pas; il résolut de vaincre tous les obstacles pour ouvrir aux provinces méridionales des débouchés, débarrasser le commerce de toutes ses entraves, et pour diriger l'administration sur des principes différens.

Le gouverneur annule les droits arbitraires imposés sur le commerce, et obtient dans une première assemblée d négocians deux kopeks et demi par mesure de blé exporte pour être employés à la construction des églises catholique et grecques, des puits et des chemins. Ce revenu fut aug

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menté par la concession de la ferme de l'cau-de-vie, qui fut due à la bienfaisance éclairée de l'empereur; le port de guerre destiné aux vaisseaux en pratique, un quai fort étendu, tous les bâtimens nécessaires pour transformer la citadelle en quarantaine ou lazareth furent achevés. Plus tard un vaste hôpital fut élevé sur un plan noble et régulier; on jeta les fondemens d'un collége et d'une salle de spectacle; un beau jardin public embellit la ville, et des allées ďárbres furent plantées devant plusieurs édifices publics et de chaque côté des rues. Heureux si l'insouciance des habitans ne rendait pas aussi difficile l'entretien de ces plantations si salutaires !

Tant d'encouragemens, tant de vues bienfaisantes, tant d'objets d'utilité publique, déterminèrent plusieurs négo-cians à venir habiter Odessa. La beauté du climat, la salu ́brité de l'air se joignaient encore aux avantages précédens; le goût pour les immeubles se communiqua de proche en proche, la ville prit une consistance nouvelle. Ce fut alors que le capitaliste osa distraire une petite portion de ses profits pour se procurer un logement commode; ce fut alors que l'ouvrier, chèrement payé, quitta sa baraque souter'raine, bâtit une petite maison de pierre, et que l'habitant de la campagne eut son pied-à-terre en ville. Les maisons suffirent à peine pour recevoir les étrangers, les Polonais et les Russes de l'intérieur qui voulurent connaître Odessa. Le bien même trouve des antagonistės, et les faiseurs de ̈projets ne manquent jamais. Jaloux de la gloire de la nouvelle cité, ou jugeant mal sa situation et ses moyens, des conseillers plus ou moins perfides, proposaient des plans inexécutables, conseillaient des changemens ruineux, et voulaient arrêter la marche heureuse adoptée par le gou

vernement..... On allait jusqu'à imprimer que le choix d'Odessa pour un port devait être regardé comme un malheur public. L'Europe a répondu à cette fausse allégation en envoyant ses vaisseaux dans les ports d'Odessa, dont la rade, toujours ouverte, est aussi sûre que celle d'Otschakoff; c'était également à tort qu'on alléguait le dommage que pouvait en ressentir la ville de Cherson. Le gouvernement a désiré atteindre les plus grands avantages possibles en indiquant au commerce la localité qui convenait au pays pour y bâtir une ville, et Odessa a rempli ce but.

Population. En 1803, elle était de 8,000; en 1814, de 30,000; aujourd'hui, elle s'élève à plus de 40,000. Les Grecs et ensuite les Russes en forment la plus grande partie; on y voit quelques Italiens : les Français, Allemands, Espagnols et Anglais y sont en petit nombre. Les aventuriers et chevaliers d'industrie y pleuvent comme dans toutes les villes nouvelles.

Garnison. Elle consiste ordinairement en deux régimens d'infanterie, un régiment de chasseurs, une compagnie d'artillerie à cheval et d'artillerie de garnison, et un bataillon de vétérans.

Cette garnison est utile au commerce; quelques soldats, les vétérans surtout, se louent comme journaliers; mais le gouvernement ne les emploie jamais sans les payer.

Temples. La principale église, consacrée au culte dominant, est l'ornement de la grande place; son style est noble et majestueux. L'église catholique, desservie par les RR. PP. jésuites, est d'un genre plus élégant. L'église grecque est surmontée d'un clocher très élevé qui sert souvent de guide aux navigateurs. Une seconde église plus considérable a été construite pour le même culte. Enfin, les juifs ont

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