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triche, de la Prusse et de la Russie, sur la ville libre et indépendante de Cracovie.

Réflexions sur les protectorats.

Partant de cette vérité, établie au chapitre précédent, que la vie en association est une suite nécessaire de l'organisation humaine, si nous observons les portions plus ou moins considérables dans lesquelles le genre humain se groupe, se subdivise, si nous recherchons quel est le lien qui donne à chacune de ces portions comme une individualité distincte, qui fait de chacune d'elles comme autant d'unités séparées, deux points de vue différents se présentent.

En s'attachant à des éléments d'appréciation purement naturels ou historiques, on discernera certaines races plus ou moins nombreuses d'hommes, ayant chacune identité d'origine, similitude de conformation physique et de dispositions morales, communauté d'usages, de croyances religieuses, parlant la même langue ou des dialectes divers d'une même langue, en un mot, formant comme un type à part; et l'on appellera chacune de ces agglomérations distinctes, un Peuple, une Nation. C'est ainsi que procèdent le philosophe, le géographe, le philologue, tous ceux, en un mot, qui envisagent la question uniquement au point de vue des sciences naturelles, ou des origines historiques.

Mais si on l'envisage sous le rapport du gouver

nement, sous le rapport des pouvoirs publics auxquels obéit l'association, une autre sorte d'individualité se présente. Ce n'est plus la communauté d'origine, de mœurs ou de langue qui crée cette individualité; mais bien la communauté de gouvernement, de pouvoirs publics régissant la société, en un mot la communauté d'existence politique. Ceci est la division de droit, celle des publicistes et des gouvernements. En ce sens, on appelle aussi peuple ou nation toute réunion d'hommes vivant en société sous un pouvoir commun; mais on donne plus spécialement et d'une manière exclusive à ces sortes de sociétés le nom d'Etat.

C'est sous ce second point de vue, en se tenant toutefois dans un milieu un peu vague, que Vattel définit les Nations ou Etats « des corps politiques, des « sociétés d'hommes unis ensemble pour procurer <«<leur salut et leur avantage, à forces réunies (1). »

Ces deux divisions différentes ne rentrent pas nécessairement l'une dans l'autre. Les guerres, les conquêtes, les migrations, les transactions et une multitude d'événements politiques peuvent les mettre en désaccord. Ainsi, d'une part on peut voir une seule nation divisée en plusieurs états distincts: telles sont, de nos jours, par exemple, la nation italienne et la nation allemande. En sens inverse, une nation dis

(1) VATTEL, Droit des Gens, Préliminaires, § 1, et liv. 1, ch. 1, $1.

tincte peut être assujettie à la domination d'une autre et ne pas former par elle-même un état. Elle peut par la conquête ou par sa volonté se trouver réunie à un peuple plus puissant sous les lois duquel elle vit: en ce cas, c'est le peuple prépondérant qui donne à l'autre sa nationalité politique; le peuple réuni, tant qu'il n'est pas absorbé, conserve bien la sienne, mais cette nationalité qui lui est propre, n'est qu'une nationalité d'origine et non une nationalité de droit; elle n'est pas politiquement reconnue. Ainsi, par exemple, avant l'érection du royaume nouveau de la Grèce, la nation grecque, quoique subjuguée entièrement par les Turcs depuis près de quatre siècles, n'en était pas moins une nation, bien qu'elle ne formât pas un état.

Toutefois dans la constitution des états ou nationalités politiques, la diplomatie ne doit pas dédaigner d'avoir égard aux nationalités d'origine. Ce qui est contre nature ne dure pas. Il est des incompatibilités, des rivalités, des antipathies historiques de races, qu'il ne faut pas heurter de front. Les associations forcées ou les morcèlements douloureux préparent souvent des déchirements, des réactions violentes. Une antique nationalité d'origine est respectable; et, même dans les modifications que le temps fait subir aux empires, il faut tendre à y donner satisfaction, ou à n'amener que doucement des fusions pacifiques et bienfaisantes.

L'idée d'un état implique nécessairement celle de la propriété d'une portion de terre plus ou moins étendue constituant ce qu'on appelle le territoire. On ne saurait concevoir un état sans un territoire déterminé où les membres qui le composent puissent se fixer et vivre. Les réunions d'hommes qui vivent errants, sans habitation permanente, sans propriété fixe de fonds de terre, ne peuvent constituer un état. Ces réunions nomades, encore à l'enfance de l'association, sont désignées sous les noms de peuplades et de hordes.

Le gouvernement d'un état est intérieur ou extérieur. Le pouvoir suprême qui, pour chaque état, préside à ce gouvernement, qui, indépendant de toute action étrangère, se trouve au-dessus de tous les autres pouvoirs, et qui n'en a aucun au-dessus ni à côté de lui, précisément à cause de cette position supérieure, pour marquer qu'il est au plus haut sommet de l'échelle, se nomme Souveraineté. Et puisque le gouvernement est intérieur ou extérieur, la souveraineté se distingue, à son tour, en souveraineté intérieure et souveraineté extérieure; ou, comme on le dit en d'autres termes moins exacts, souveraineté constitutionnelle et souveraineté politique,

internationale.

Cette dernière souveraineté est la seule qui soit à considérer dans les relations de peuple à peuple, la seule dont la diplomatie ait à tenir compte. Ce qui

la constitue pleinement, c'est le droit pour un état de traiter par lui-même et en son propre nom avec les états étrangers, les questions de politique extérieure, et de ne reconnaître pour la solution de celles de ces questions qui l'intéressent directement, aucun supérieur, aucun juge terrestre. Ainsi cette souveraineté confère à l'état qui en jouit une individualité politique à l'égard des autres peuples, en vertu de laquelle il est considéré, dans les relations internationales, comme une personne morale, ayant le droit de subsister par et pour soi-même. Les états qui en sont investis sont des Etats souverains; ils portent aussi le nom de Puissances.

« La souveraineté est acquise par un état, ou lors « de sa fondation, ou bien lorsqu'il se dégage légi« timement de la dépendance dans laquelle il se

trouvait (1). » Et ceci s'applique tant à la souveraineté intérieure, qu'à la souveraineté extérieure.

Mais quant à cette dernière, ce fait seul ne suffit pas. Ce n'est que théoriquement parlant qu'on a pu dire que la souveraineté extérieure, pour être valide, n'a pas besoin d'être reconnue ou garantie par une puissance étrangère quelconque. Dans la pratique cette reconnaissance de la part des autres puissances est nécessaire. Elle est aussi fondée en raison, car quoique les nations souveraines, même celles de l'Eu

(1) KLUEBER. Droit des Gens moderne, § 23.

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