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L'officier commandant un bâtiment de guerre est revêtu d'une sorte de caractère représentatif de la souveraineté de l'Etat auquel il appartient; il a pour mission permanente de soutenir au loin l'honneur du pavillon, emblême de cette souveraineté ; ses actes sont souvent actes de relations internationales; souvent il est forcé d'agir par luimême, en l'absence de tout organe avoué de son gouvernement; quelquefois il est lui-même cet organe avoué.

Aussi les hommes d'État à la tête du gouvernement de la patrie, suivent-ils avec sollicitude le marin dans ses navigations lointaines, parce qu'ils savent que sa conduite peut influer puissamment sur les intérêts de ce gouvernement.

Le ministre des affaires étrangères reconnaissait naguère, à la tribune nationale, cette influence décisive résultant de certains actes du marin à l'étranger.

<< Pendant que nos marins, disait M. Guizot, << portent la patrie sur nos vaisseaux à quatre <«< mille lieues, est-ce qu'il ne reste pas ici la << grande patrie? Est-ce qu'il n'y a pas des inté<< rêts généraux engagés dans leur conduite, dans <«<leurs actes? Est-ce qu'il n'y a pas ici trente

<< de ce marin, qui vogue à quatre mille lieues de << son pays, peut exercer une influence décisive? << Est-ce qu'il ne peut pas disposer un moment, << par un seul acte, de la destinée du pays, de la << paix et de la guerre, du bonheur et du malheur « de ces trente-cinq millions d'hommes (1) ? »

S'il en est ainsi, combien grande est quelquefois la responsabilité qui pèse sur le marin éloigné de son pays! Que de tact, que de discernement ne lui faut-il pas pour régler sa conduite!

L'amour de la patrie et l'honneur national le guideront toujours dans cette conduite; ce sont ces deux sentiments généreux qui, dans les cas où, sans instructions précises, il sera forcé d'agir par lui-même, lui feront prendre une résolution digne, et au besoin énergique. Des événements récents, comme ceux du passé, ont prouvé suffisamment que tels étaient les mobiles déterminants des actes de nos marins.

Mais à l'amour de la patrie, au sentiment de la

(1) Séance de la Chambre des Députés, du 1er mars 1844.

dignité nationale, il est nécessaire de joindre la prudence et la circonspection. Tout ce qui touche aux relations internationales est grave. Ces relations sont soumises à des règles et à des principes généraux, que l'officier de la marine militaire ne doit pas ignorer.

Celles de ces règles qui se rapportent directement à la navigation, qui forment ce qu'on appelle le droit international maritime, sont enseignées sans doute par la pratique. Il n'est aucun marin qui n'en connaisse les principales, puisqu'il est journellement obligé de les appliquer, et que, du reste, elles lui sont tracées par les règlements et les ordonnances de son pays. Mais, en toutes choses, la pratique a besoin d'être éclairée par la théorie.

Le droit international maritime n'est d'ailleurs qu'une branche du droit des gens, et les principes en sont assis sur les bases fondamentales de ce dernier.

Les ouvrages si nombreux qui composent la littérature du droit des gens en général, s'offrent donc naturellement aux méditations de l'officier de marine. C'est là qu'il peut espérer de puiser

des notions, complément distingué de son instruction, qui le mettent à même de faire face, avec plus de sécurité, aux difficultés internationales que le cours de sa carrière peut lui offrir.

Mais les personnes qui sont versées dans la connaissance de ces sortes de livres, savent combien leur étude et le choix de ce qu'il y a d'utile à en retirer, demandent de discernement. Les écrivains qui passent encore pour les maîtres de la science, et qui en ont été comme les fondateurs, Grotius, Puffendorf, avec leur traducteur et annotateur, Barbeyrac, et ceux qui les ont suivis de près, quelqu'élevé que soit leur enseignement, le font acheter par de longues digressions, par une forme scolastique au goût de leur temps, fatigante, quelquefois ridicule, aujourd'hui, par des citations accumulées des livres saints et des auteurs profanes, avec les exemples incertains de l'histoire et souvent même des fables de l'antiquité. Pour les invoquer ou pour s'appuyer de leurs paroles à propos, il faut une réserve de bon goût. Les suivre dans cette voie, alourdir un manifeste ou une note diplomatique par de pareilles citations, en un mot, transporter dans la pratique des affaires cette allure singulière et doctorale d'une

autre époque, ce serait s'exposer, au lieu de convaincre, à faire sourire. C'est là un genre d'érudition dont nul ne saurait conseiller l'usage, quoique nous l'ayons vu employer, en une occasion récente, par un officier de la marine anglaise, le commodore Toup-Nicholas, dans sa correspondance avec l'amiral Dupetit-Thouars, au sujet de l'île de Taïti.

Dans le cours du xvme siècle, quelques auteurs ont dégagé la science du droit international des théories et des spéculations des philosophes, et l'ont rapprochée davantage de la pratique. De nos jours, des publicistes et des diplomates éminents ont publié des traités sur cette matière si importante, qui est de leur domaine spécial. C'est dans ces traités plus élémentaires, plus succincts et partout empreints d'un caractère plus positif, qu'on peut rechercher, avec plus de facilité, une intelligence suffisante de la doctrine et des usages qui ont cours aujourd'hui.

Cependant, réduite à ces proportions plus simples, l'étude du droit international exige encore quelques notions préliminaires et réclame beaucoup de temps. Or le Or le temps manque aux officiers

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