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à ceux qui ne le font pas. La mort de trois perfonnes m'a privé de tous les trois lieux, & outre l'appui que j'ai perdu en leur perfonne, je fuis exclus de ces trois demeures & réduit à n'en avoir plus de fixe. Rien n'est plus contraire à mon humeur que les changemens de lieu, les vilages nouveaux, les nouvelles connoiffances. Il a fallu cependant effuyer ces changemens plus d'une fois tous les mois, & je ne me fuis point vu en lieu d'où je n'euffe un fujet raifonnable de craindre d'être forcé de fortir, & dont je ne fois forti en effet. On me disoit en un lieu qu'il y avoit un Préfident qui me pourroit faire une piece. Ailleurs on me faifoit apprehender le Gouverneur. Mais ce qui m'a été toujours le plus formidable par-tout, a été le dégoût & la timidité de mes hôtes. Au-lieu des gens que vous favez que je voyois à Paris, j'ai été réduit premierement à des perfonnes, auprès de qui ni mon Latin, ni mon François, ni tout ce que je pouvois savoir en quelque art & en quelque fcience que ce fût, ne fervoit de rien. Enfuite j'ai été affez longtems avec les Charrons & les Bateliers pour apprendre parfaitement leurs mœurs & leurs coûtumes. Et enfin me voilà réduit à n'avoir de converfation qu'avec les chênes & les hêtres. Je

trains affez les fatigues & les incommodités du corps. J'en ai éprouvé de toutes fortes & d'allez pénibles, fans que j'euffe, ni que je m'imaginaffe perfonne qui m'en plaignît. J'étois dans le monde fur un certain pié qui ne bleffoit pas tout à fait l'amour propre. Si je n'appercevois pas dans les gens que je voyois, de grans fentimens d'eftime & d'affection, je n'y voyois pas auffi de grans fentimens dé mépris, ni des reproches bien durs. Je me contentois affez de ce degré, & n'en voulois pas davantage. Cette réputation s'eft envolée comme des oifeaux, dont on laiffe la cage ouverte. Il a plu an monde de m'en dépouiller, & mes amis y ont confenti le plus bonnement du monde. Jamais vous ne vites perfonne plus abandonné, & à la defense dé qui moins de personnes fe foient inte reflées. Je n'ai pû même obtenir de perfonne qu'il fufpendît fon jugement, & qu'il fuppofat que je pouvois avoir eu quelque raifon.

Vous me demanderez fans doute com ment on vit dans tous ces états, & comment l'efprit s'y trouve. Je vous répons en un mot, Madame, que foit dureté, foit philofophie, foit perfuafion que j'obéiffois à la volonté de Dieu; je je ne me fuis jamais trouvé en ma vie

dans une fituation plus tranquile,ni me me plus difpofé à la joye. Ce n'est pas que je me fie à ce calme, & que je ne fois convaincu qu'ayant fouffert fans beaucoup de peine des états affez durs, je puis être abbati & renversé par les plus petits accidens: Mais j'ai toujours Injet d'en conclure que la caufe de notre foibleffe eft plus dans nous-mêmes que dans les chofes exterieures, & que nous nous en groffiffons de beaucoup l'idée. Car qui m'auroit dit il y a fix mois qu'il falloit me réfoudre à n'avoir plus ni feu ni lieu, à être à charge à tout le monde, à changer continuellement de demeure, à être décrié & condanné par les gens du monde & par les amis, d'un confentement mutuel, à n'être plaint ni défendu de perfonne, à concher fur la paille avec la fiévre, dans des trous creuTes fous les rochers de la Meufe: en verité cela m'auroit fait peur. Cependant cela eft paflé & n'est pas fi grande chose qu'on pourroit croire. Je fuis encore comme un oifeau fur la branche, fans favoir où aller; mais je ne regarde plus cela comme un fi grand mal: peut-être que ce que je crains n'arrivera pas. Mais quoiqu'il en foit je ne m'en mets pas en peine. Je demeurerai ici, fi je puis en repos jufqu'au printems; finon, j'en for

Arai, s'il plaît à Dieu, fort en paix. Je conclus de tout cela qu'il vous en arrivera de même, fi vous êtes jamais réduite à vous paffer de Paris, & que vous ne regarderez pas cet éloignement comme une fort grande chofe, c'eft le but & la moralité de ma Lettre.

LETTRE XXVL
Sur les Poftulantes.

A LA MESME

Ous m'avez appris, Madame une maxime de Madame de Longueville, qui m'a paru fi commode que j'ai envie d'en faire ufage à votre égard même, en vous avouant fimplement que fi je ne vous ai pas répondu plutôt, c'eft que je n'avois point deffein de vous répondre du tout; & je prenois pour prétexte que Votre Lettre étoit elle-meine une ré ponse à la mienne. Ce n'eft pas que je n'en fuffe tout-à-fait touché & édifié, mais vous favez que quand on a quelque deffein formé, on ne manque gueres de raifons pour l'appuyer & l'autorifer. Ily a des gens aufquels je ne répons point, parceque je n'ai rien de bon à leur dire; mais par une autre adrefle toute oppofée, & qui ne laiffe pas d'avoir aufli sa

raifon, il y en a à qui j'ai peine à répondre, parceque j'ai trop de bien à dire d'elles, & qu'il me femble qu'il vaug mieux témoigner à Dieu qu'à elles les fentimens que j'en ai. Or vous étiez, Madame, de ce dernier genre, & mon filence à votre égard n'avoit pour prétexte que cette firefle de fpiritualité bonne ou mauvaife. Mais puifque la nouvelle Lettre que je viens de recevoir de vous m'ôte cette excufe, & me met dans la néceffité de vous écrire, je ne puis plus me difpenfer de vous dire, qu'on ne peut être plus content que je l'ai été de cette Lettre à laquelle je n'ai point répondu, non feulement par ce que votre charité vous a fait faire en faveur de la Poftulante, mais parceque tous les fentimens qu'elle contenoit m'ont paru honnétes, raisonnables, chrétiens. Je les ai regardés comme un très-grand bien pour vous, & j'en ai remercié Dieu, & l'ai prié de vous les continuer comme une très-grande grace, & pour vous & pour votre Mailon. Pour notre Postulante, elle eft entre les mains de Dieu qui difpofera d'elle felon fes deffeins. Je ne vois rien de bien dans fes Lettres, finon que je n'y vois rien de mal, & cette exemtion de mal me paroît un affez grand bien. Il n'eft pas étrange qu'une

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