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un beaucoup plus grand bien pour ceux qui la pratiquent que pour ceux qui la reçoivent, puifqu'elle eft fouvent inutile à ceux envers qui on l'exerce, & qu'elle ne l'eft jamais à ceux qui l'exercent. En effet, fi tout ce qu'on a pris la peine de publier de moi étoit véritable, je n'en ferois pas mieux, pour toutes les marques de confideration & d'amitié que vous avez bien voulu me donner; puifque nos maux fubfiftent devant Dieu tels qu'ils font, indépendamment de l'opinion des hommes. Mais il n'en eft pas de même de l'avantage qui vous en revient. Il eft certain, dans l'incertitude même de la verité, & de la justice de ces bruits; puisque vous avez toujours pratiqué une action de juftice, en ne jugeant pas d'une chofe, qui n'étoit pas évidente, fuivant cette belle regle de faint Auguftin: Si fortè se aliter veritas habet, ipfi certè humanitati debitum redditur cùm homo de homine nilil mali temerè fufpicatur. Je vous avoue de plus, que j'ai été bien aise de voir en vous la pratique d'une chofe que j'ai fi fort dans le cœur, & qui me paroît très confide rable dans la vie Chrétienne. Ceft que comme il faut honorer toutes les vertus, pour ufer de l'expreffion d'un Concile, il faut auffi honorer l'amitié qui en eft une, & principalement les amitiés anciennes,

que

Or il me femble que pour les honorer, il faut témoigner dans les occafions, que les amitiés qui ont Dieu pour principe & pour fin, ont toute une autre stabilité les liaisons humaines qui ne font fondées que fur l'interêt ou fur les paffions; qu'elles n'ont rien de la légereté & de l'inconftance de celles-ci, qu'elles ne font pas fi aifées à étouffer par les petits nuages qui arrivent quelquefois, ou par la diverfité inévitable des fentimens de conduite, par des faits mal raportés ou mal expliqués, &que le fonds de charité qui eft dans le cœur, les diffipe facilement, en nous difpofant à écouter favorablement ce qu'on nous peut dire pour la juftification de nos amis, & à agir enfuite avec eux avec la même bonté. C'eft, Monfieur, ce que vous avez parfaitement pratiqué par la retenue que vous avez gardée dans un tems où la chaleur a été fi grande, que j'ai beaucoup plus de fujet de favoir gré à ceux que ce torrent n'a pas emporté, que de me plaindre de ceux qui n'y ont pas réfifté, par la facilité avec laquelle vous avez écouté ce que Mr.N... vous a pu representer, & enfin par cette preuve obligeante que vous avez bien voulu me donner, de la continuation de votre amitié. C'eft pourquoi encore que je voye bien que vous ne pouvez pas être éclairci

fur bien des chofes, & que je ne defefpere pas le pouvoir faire quelque jour, je n'en ai néanmoins aucun empreffement, & je fuis très content de la difpofion de charité où vous êtes, puifqu'el le produit ce qu'il y a de plus réel dans les amitiés Chrétiennes, dont les princi paux devoirs le pratiquent devant Dieu Je vous fuplie de croire que je ne regarde pas comme une petite grace, l'affu rance que vous me donnez de vous fou venir de moi dans vos prieres, & dans vos Sacrifices; & que ce m'eft un très grand engagement à être plus que jamais

yotre &c.

LETTRE LV.

Qu'il n'y a rien de grand, de réel & d'eftimable dans les hommes que la pieté & lamour de Dieu.

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Ene vous écris pas, Mademoiselle,

que faire de mes lettres, mais je croi avoir befoin de vous en écrire de tems en tems, parceque j'ai besoin de votre affection & de votre charité qui dans cette vie doivent être entretentes par quelque forte de commerce. Outre que fans avoir même égard à ce befoin, c'est un effet

naturel

naturel de l'affection qu'on a pour quelqu'un d'être bien aile de l'entretenir, & de lui communiquer fes penfées. Or il me femble que j'en ai pour vous, & que j'aime en vous la feule chofe qui foit véritablement aimable & eftimable, qui eft que vous êtes à Dieu &

que vous l'aimez. Je tuis fi occupé de cette pensée qu'il n'y a rien de grand, de réel & d'estimable dans les hommes que la pieté & l'amour de Dieu, que je ne me faurois empêcher d'en faire une partie du fujet de cette lettre.

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Ce qui m'y a fait entrer, c'eft que j'ai eu lieu de faire depuis peu deux réBexions affez oppofées; l'une que toutes les qualités humaines ne font rien quand elles font dépourvûes de la véritable pieté, l'autre que les défauts d'efprit qui font prendre les choles de travers & commettre même quantité de fautes, font peu de chofe quand ils font joints avec un grand fond de charité. D'où il s'enfuit que les hommes ne font eftimables que par une certaine qualité qui ne fe voit point & qui eft très-difficile à dif

cerner.

Je fus touché de l'une de ces réflexions par la lecture d'un Livre célebre d'un auteur de ce tems, qui a travaillé toute fa vie à fe remplir de fcience, & qui y Tome V 11.

Q

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a réuffi; qui a une connoiffance immen. fe de la Théologie & des Peres de l'Egli fe, & qui eft infiniment plus favant que bien des gens qui paflent pour tels. Il a produit au jour le fruit de toutes fes études & du travail d'une longue vie : mais il a accompagné tout cela d'une certaine circonftance que je ne dirai point, & qui marque tant de baffeffe, & un efprit si féculier que ce feul défaut m'a fait regar der toute fa fcience comine nn néant j en forte que je ne voudrois pas prendre la peine de la ramafler, s'il falloit avec cela me revêtir de ce défaut. Ainfi, Mamoifelle, un feul défaut effenciel de mœurs, abîme & anéantit toutes les qua lités humaines, quelque grandes qu'elles paroiffent, & on ne laiffe pas avec toutes Apoc. 3. ces qualités d'être nud & miferable felon l'expreffion de l'Ecriture. Elles ne font qu'un poids inutile qui nous charge & qui nous nuit fouvent, elle font cause de notre mifere par l'enflure qu'elles caufent, & elles ne font que rendre nos maux plus dangereux & plus incurables.

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L'autre réflexion n'eft pas moins importante: & fi la premiere eft capable d'éteindre en nous l'eftime trop grande des qualités humaines, celle ci devroit fervir à moderer l'impatience dont on

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