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réduit à des chofes fi peu confiderables & fi claires, qu'il vaut beaucoup mieux écouter leurs doutes, pour leur foulager l'efprit, & les mettre en état de trouver leurs lumieres dans la conduite ordi naire, que de les laiffer dans une peine qui les travaille inutilement ; & il me femble que j'ai tout fajet de croire que les vôtres feront de cette nature. Mais fi c'étoient des chofes de plus grande confequence, & qui dépendiffent de connoiffances que je n'ai point & que je ne dois point avoir, je vous fupplierois, Mademoiselle, de coufiderer que perfonne ne vous peut fervir utilement, qu'en tant qu'il eft inftrument de Dien à votre égard, & qu'on ne le fauroit être qu'en gardant les regles de la prudence Chrétienne, en fe tenant en fon rang, & en n'entreprenant rien au-delà de la lumiere & de fon état. Tout ce que je puis faire pour vous fe réduit à ce que Mademoiselle N. feroit mieux que moi, c'est-à-dire, à vous dire mon sentiment, fur certaines chofes qui me font proportionnées, & à vous marquer celles fur lesquelles vous de vez confulter d'autres perfonnes que moi. Mais en cela même il feroit be foin d'ufer de grandes précautions. Car encore qu'il n'y ait rien dans ce procedé

que de bon en foi, & que ce ne foit poins faire le Directeur à votre égard que d'en ufer de la forte, puisqu'il n'y a point de femme de vos amies qui n'en puifle faire autant, il eft pourtant facile de donner à cela un tour de ridicule qui pourroit avoir de fâcheufes fuites à mon égard. Trouvez donc, s'il vous plaît, des voies fûres de cacher ce commerce qu'il feroit bon de réduire au moins d'écriture qu'il fe pourroit, & dans lequel je n'entre que parceque je m'imagine que je vous ferai voir en fort de tems que vous en avez fort befoin.

peu

peu de

LETTRE II.

De ce qu'il faut confiderer pour choisir un état de vie.

A LA MEME

MÊME.

S'il n'y avoit, Mademoiselle, qu'à vous

aflurer de mon inclination à vous fervir, vous feriez bien-tôt delivrée de tout ce qui vous peut faire de la peine. L'honnêteté de votre lettre feroit capable d'y engager les perfonnes les plus indif ferentes; & je vous puis dire de plus que

je ne le fuis point en votre endroit. I ya plus de dix ou onze ans qu'ayant Oui parler de vous avec eftime à Mademoiselle N. j'entrai dans tous les fentimens qu'elle en avoit ; & je l'exhortai même à vous rendre tous les devoirs de charité qu'elle pourroit. Mais l'inclination ni l'eitime ne futtifent nullement pour ce que vous me demandez. Il faut beaucoup de lumiere pour parler fur les points que vous me propofez; & outre celles qui dépendent de la grace & de la fcience, il y en a qui dépendent des connoiffances plus parti culieres de votre état, que je ne puis ent avoir. Je ne fais pas grande façon à dire fimplement ce que je fai, mais j'ap: prehende extrêmement d'aller au-de-la de ma lumiere, non feulement de-peur, de me nuire à moi-même, mais auffi depeur de nuire par des avis témeraires aux perfonnes que je voudrois fervir Cela ne me réduira pas néanmoins au filence avec vous; car laiffant à part ce qui a besoin de lumiere que je n'ai point, je puis m'attacher à certaines chofes clai res & certaines ; & il pourra même arriver que ces chofes claires & certaines fuffiront pour vous donner quelque Inmiere fur les chofes qui ne me feront pas évidentes, parceque vous y joindrez

la connoiffance particuliere que vous avez de vous-même.

Je trouve plufieurs chofes de cette nature dans la Lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. L'incertitude où vous êtes fur le genre de vie & fur l'état que vous choifirez, eft fans doute une chofe très-pénible. L'ame aime naturellement l'alliance, & hait l'irréiolution & l'obfcurité. Il faut pourtant reconnoître que fi cet état n'eft pas une grace parfaite, c'en eft pourtant un com mencement très-confiderable. La plupart des filles de votre qualité ne fentent pas cette incertitude, parceque leurs paffions, on la volonté abfolue de leurs parens, conduits par divers interêts huimains, ne leur laiffent aucun heu de déliberer fur le choix de leur état. Elles s'y trouvent pluôt engagées, qu'elles n'ont eu le tems d'y faire réflexion, & le plus fouvent elles font embarquées dans cette voie, d'où dépend leur éternité, fans avoir le moins du monde examiné fi elle étoit proportionnée à leurs forces; de forte que quand elles viennent à ouvrir les yeux, elles fe trouvent engagées dans des malheurs fans remede. Dien vous a fait la grace, Mademoiselle, de vous préferver de cette précipitation,qui a d'ordinaire de fi

gran

des & de fi funeftes fuites; il vous rendue exemte des paffions qui y en gagent les autres, & comme il vous don ne ainfi moyen de confiderer meurement l'importance de ce choix, vous devez elperer par ce commencement de grace, qu'il vous fera celle d'en faire un bon

Ce bon choix dépend principalement de la maniere dont vous ferez cet examen pour lequel on peut dire en géne ral que vous avez besoin de toute forte de lumieres. Vous devez vous connoître vous-même, vous devez connoître les difficultés, les avantages & les deíavantages de divers états que vous pou vez embrafler, & enfin vous devez connoître ce que c'est que d'être Chrétienne, & de vivre chrétiennement dans quelqu'état que vous embraffiez

Je dis, vous devez vous connoître yous-même; car comment pourrez-vous juger autrement fr les difficultés des états font ou ne font pas proportionnées à vos forces & à vos inclinations? Il y atelle perfonne qui fe perd dans un état & qui le fauveroit dans un aurre à cause de la contrarieté de cet état avec fes difpofitions; & cette contrarieté ne fe juge pas par l'oppofition qu'elle y fent ou qu'elle n'y fent pas en l'embraflante

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