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des ouvertures dans la fuite; mais je ne faurois m'empêcher de vous dire que le remede dont elle a eu quelques pensées éloignées, qui est le Mariage, y eft le moins propre de tous. Car quoique je fuppofe ailement qu'elle n'a point de part aux caufes de cette antipathie, il paroît néan moins qu'elle la fent affez vivement, & qu'elle eft fujette à cette paffion. Or s'il y a état au monde où cette difpofition foit à craindre, c'eft celui du Mariage. Il est prefqu'impoffible qu'en vivant avec un mari, on ne remarque en lui une infinité de défauts, & qu'il ne s'apperçoive un peu qu'on les remarque, qu'il n'en témoigne du chagrin; & ce chagrin joint aux dé-r fauts réels, fait naître des antipathies fi vi ves dans celles qui y font fujettes qu'on n'en fauroit affez craindre les fuites pour l'ame & pour le corps. Car l'on ne fauroit prefque comprendre ce que reffent une perfonne qui a les impreffions vives lorfqu'elle le voit liée irremediablement avec une perfonne qui lui déplaît, & par une nnion telle que le Mariage. Ainfi, Madame, ce qui a fait naître cette pensée à la Demoiselle que vous aimez, eft peutêtre une des plus fortes raifons qu'elle puiffe avoir pour la bannir. Il semble par là qu'elle doive s'occuper uniquement, ou à chercher d'autres remedes, ou à at

tendre que le tems lui en fourniffe, &* tirer cependant du fruit de cet état inême dans lequel Dieu veut qu'elle foit, puifqu'il ne lui ouvre point de voye pour s'en délivrer.

Les moyens d'en tirer du fruit feroient: Premierement, d'examiner de bonne foi fi elle ne donne point lieu aux contradictions qui font naître cette antipathie, & de tâcher d'y remedier avec paix, fans s'étonner fi elle y fait encore quelques fautes de tems en tems. Secondement, de voir fil'humeur de celle dont elle fe plaint ne lui fait point faire de repliques peu ref pectueufes, & de tâcher de s'en corriger Mais foit qu'elle y false des fautes, foit qu'elle n'en faffe point, la principale vûc qu'elle doit avoir, eft de ne perdre pas pour cela la paix de l'ame, & d'éviter le trouble & le chagrin. Le premier de voir de la créature après les fautes mêmes,eft de rentrer dans le calme,parceque le trouble eft le plus grand empêchemens de la vraie pénitence & de la fincere con verfion. Pour apprendre à fouffrir les autres, il faut premierement fe fouffrir foi-même & rentrer dans la voie fi-tôt qu'on s'apperçoit qu'on s'en eft écarté, & fi on s'eft chagriné & impatienté aujourd'hui, il faut efperer que Dieu nous fera Ja grace de fouffrir demain les mêmes

chofes fans chagrin, & la lui demander humblement avec paix, & avec perfeverance, fans fe laffer jamais. Si l'on parle de fes fautes avec quelque perfonne de confiance, il le faut faire bonnement & fimplement, en ne fuppofant pas que ce foit une chofe furprenante qu'on faffe des fautes, & en ne defefperant jamais de les éviter à l'avenir, en ne s'étonnant point de fes foibleffes, & en tâchant feulement d'en être plus humble, & moins aigre envers les autres, & plus difpofé à juger charitablement de leurs actions. En voilà affez, Madame, pour une perfonne qui parle en l'air, & qui ne fait point fi ce qu'elle dit fera proportionné à cette perfonne; mais ce qui m'a donné la confiance de vous écrire ces penfées, c'eft que devant pafler par votre canal, vous fau riez bien les proportionner à la perfonne à qui elles font deftinées.

LETTRE XII.

Qu'il est toujours bon de faire confiderer le avantages d'une vie exemte de l'engagea ment au Mariage, pourvu qu'on en laisse la conclufion aux Miniftres de l'Eglife. CElle pour qui vous m'écrivez, Mada

me, feroit bien-tôt délivrée de tou

tes fes peines, fi j'avois autant de moyens

de la fatisfaire que j'en ai de volonté, & que je reffens même ce qu'il y a de pénible en fon état. Je ne me plains pas même de ce qu'elle me foupçonne un peu d'ufer en fon endroit de quelque réserve politique, & de ne vouloir pas faire tont ce que je puis pour la foulager en la déterminant. Je fai que toutes les perfonnes qui defirent quelque chofe avec quelque paffion, font fujettes à concevoir ces foupçons. Il me fuffit, Madame, que Vous foyez perfuadée vous-même de ma fincerité fur ce point, & j'efpere qu'enfuite il ne vous fera pas difficile de l'en perfuader elle même. Ceft ce qui m'oblige, Madame, de vous découvrir un peu plus à fonds, ce qui m'a porté à répondre aux Lettres où vous m'avez parlé de fes difpofitions.

J'ai toujours été très-perfuadé, Madame, que cette perfonne ne pourroit esperer un foulagement folide que par un Directeur éclairé qui prît un foin particulier d'elle, & pour qui elle eût une entiere ouverture. Mon unique but a donc été de me fervir de la confiance qu'elle me témoignoit pour la conduire à ce point; & fi j'ai entamé quelques matiéres génerales, ce n'a été que dans le deffein de la perfuader de cette néceffité, & de lui donner certaines vues aufquelles il étoit

bon qu'elle fit réflexion. Mais de me char ger moi-même de déterminer quelqu'un fur le choix d'une condition, & principalement du Mariage, c'eft, Madame, ce que j'ai toujours regardé, & que je regarde encore comme l'entreprife du monde la plus témeraire. Pourquoi donc, me direz vous, avez vous écrit tant de chofes, & lui avez vous donné fujet de s'ouvrir inutilement à vous, ce qui lui eft une chofe affez pénible? C'est Madame, ce qu'il vous faut éclaircir.

On peut parler en deux manieres d'un état de vie, ou en Avocat, ou en Juge. On en parle en fimple Avocat, quand on reprefente fimplement les avantages d'un certain état, & certains defavantages d'un autre; ce font toujours des choles qu'il eft bon de faire confiderer à celles qui font dans cette déliberation, quoi que tout ce qu'on en dit ne foit pas abfolument concluant. Le Mariage a mille fortes d'Avocats; tout le monde conspire à le perfuader aux filles qui font dans l'état de l'embraffer; on leur peint d'une maniere méprifable l'état de celles qui y renoncent; on expofe à leurs yeux ce qu'il ya de plus attirant dans le Mariage; enfin on peut dire que la vie du monde, le fpectacle du monde, les difcours du monde font un plaidoyé continuel pour

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