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II

Partie théorique

SOMMAIRE. Le Concordat peut-il étre dénoncé? – Objection qui se fonde sur la condition des biens ccclésiastiques. Le budget des cultes envisagé comme une indemnité d'ex propriation. Réfutation. - Plan de notre étude : le problème administratif; le problème juridique ; le probléme législatif

Le Concordat peut-il être dénoncé par la volonté unilatérale de l'État français, et sans le concours du Pape? C'est la question préjudicielle qu'il importe de résoudre avant d'examiner la condition juridique des biens affectés au culte, en face de la Séparation des Églises et de l'État.

Elle ne saurait, à notre avis, faire l'objet d'un doute. Elle comporte une réponse affirmative, quelle que soit la conception que l'on ait de la nature du Concordat.

Celui-ci a-t-il eu pour conséquence l'organisation par l'État d'un service public, dont les ministres du culte seraient les fonctionnaires? L'État qui l'a créé peut le supprimer au même titre.

Envisage-t-on le Concordat comme une convention synallagmatique, par laquelle des parties de même dignité auraient transigé sur des droits dont elles avaient l'égale disposition? Une convention de ce genre, conclue pour une durée indéterminée, peut se défaire par la volonté de l'une d'elles (1).

(1) Voyez sur la question: M. Beauregard, dans son discours du 13 avril 1905; Cahen, De la nature juridique du Concordat: Revue de Droit public

Un homme de grand talent, qui est un philosophe et un littérateur plutôt qu'un jurisconsulte, a pu soutenir le contraire. Il a pu dire que tout contrat qui stipule une entente pour faire, stipule implicitement la même entente pour défaire. Cette opinion demeure isolée.

En dehors de la résiliation qui s'opère à la suite d'un accord (art. 1134), une convention synallagmatique imposant des obligations qui s'exécutent au moyen d'actes successifs peut être l'objet, soit d'une résolution pour inexécution des conditions (art. 1184) (1) soit d'une dénonciation unilatérale.

On admettra difficilement la résolution rétroactive, puisqu'il n'y a pas, entre l'État et l'Église, de Tribunal compétent pour la prononcer. Mais la dénonciation, produisant ses effets pour l'avenir, est toujours possible; et la rupture des relations diplomatiques, résultant de la note du 29 juillet 1904, peut être considérée comme telle. La convention est rompue, et c'est pourquoi « les relations offi«cielles sont sans objet » (2).

On soulève cependant une objection, qui se fonde sur la condition des biens ecclésiastiques. Par le Concordat, diton, le Pape a renoncé au nom de l'Église à la propriété des biens aliénés. Il a ratifié la confiscation opérée, en ce qui les concerne, par la Constituante. Il s'est interdit de troubler les acquéreurs de ces biens. En revanche, l'État s'est engagé à fournir aux ministres du Culte un traite

1903. Grünebaum Ballin. La Séparation de l'Église et de l'État, p. 34 et suiv. Petit. Une objection à la séparation des Églises et de l'État. Revue politique et parlementaire, 1904.

(1) Sur les applications de l'art. 1184 en droit international public, voyez Bluntschli. Droit international codifié, trad. Lardy, no 413.

(2) En ce sens M. Combes, séance du 22 oct. Journal officiel 23 oct. p. 2130.

ment convenable. Chacune de ces obligations est la cause et l'équivalent de l'autre.

Or, que résulte-t il de la dénonciation du Concordat? L'obligation contractée par l'État cessera d'être exécutée, et le budget des cultes disparaîtra. Mais l'obligation contractée par l'Église aura produit tous ses effets. Elle aura eu pour conséquence un transfert de propriété, sur lequel il est pratiquement impossible de revenir, et que théoriquement on ne saurait effacer sans attribuer à la déuonciation un effet rétroactif (1). Ce résultat n'est-il pas contraire à toute justice?

A cette objection on a souvent et savamment répondu. Mais il est une observation préalable qu'on néglige généralement de faire.

Le raisonnement précédent ne peut être accueilli que par une fin de non recevoir. Ses prémisses sont inacceptables. Au point de vue du Législateur, qui, je le rappelle, est aussi le nôtre, la renonciation du Pape aux biens aliénés n'a pu avoir qu'une valeur morale. Elle est dépourvue d'effets juridiques. Elle n'engendre pas une véritable obligation. Le budget des cultes lui-même, rémunération d'un service public, ne saurait être considéré comme l'acquittement d'une dette. S'il n'y a pas là deux obligations, se servant mutuellement de cause, l'argumentation de nos adversaires n'est pas fondée.

Dans le Con

(1) En ce sens M. Beauregard, dans son discours précité : cordat, dit-il, vous avez en réalité deux contrats : vous avez un contrat qui est évidemment revisable, un contrat qui règlemente les rapports entre l'Église et l'État. Il est très concevable que ce règlement, à un moment donné, il y ait lieu de le reviser. Il est essentiellement temporaire. Mais à la base de ce premier contrat, comme en étant la condition, le substratum, vous avez un autre contrat, à titre perpétuel, celui-là. Il implique de part et d'autre des obligations définitivement acceptées».

Admettons leur point de vue considérons le Concordat comme une convention synallagmatique, d'où résultent des obligations réciproques. Il n'y a rien, dans leur mode d'exécution, qui puisse faire obsta le à une dénonciation unilatérale.

Si le budget des cultes doit être considéré comme une indemnité d'expropriation, cette indemnité, telle qu'elle avait été stipulée, a été accordée déjà, et largement. Le Concordat n'avait promis de traitement qu'aux archevêques (15.000 francs), aux évêques (10.000 francs), et aux curés (1.500 et 1.000 francs). Les articles organiques établirent des succursales avec desservants nommés par les évêques. Un arrêté du 18 germinal au XI autorisa les Conseils généraux à voter aux desservants un supplément de traitement. Aujourd'hui, les traitements concordataires n'atteignent pas 5.350.000 francs, au lieu que les allocations s'élèvent à 32.250.000 franes. Seule, la première somme serait due à l'avenir si l'on ne pouvait considérer l'obligation comme éteinte par les som nes déjà versées et qui en dépassent singulièrement le montant (1).

Voici un dernier argument que nous n'avons pas vu présenter. On répète que le Pape a ratifié l'aliénation des

(1) Voyez en ce sens : Berthélémy: Traité élémentaire de Droit administratif, p 233: contrà: Maarel et Balatignier. De la fortune publique en France et de son administration, t. II, p. 183 et 181. Batbie, Tra té de Droi administratif, t. II, p. 215, no 299. Boistel, Philosophie du Droit, t. I, p. 222.

Voici les chiffres, pendant les premières années qui suivent le Concordat. Le budget des cultes est :

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biens du Clergé, et l'on en conclut qu'il a contracté une obligation de donner, ayant pour conséquence un transfert de droit réel, sur lequel il est impossible de revenir. Or, rien n'est plus faux. Le Pape s'est toujours refusé les travaux préparatoires et documents diplomatiques sont là qui le montrent — à employer une expression qui pût faire croire à une ratification de sa part (1).

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Il a contracté, non pas une obligation de donner, mais une obligation de ne pas faire, celle de ne pas troubler, dans leur jouissance paisible, les possesseurs de biens ecclésiastiques.

Or, cette obligation de ne pas faire peut cesser pour l'avenir, absolument comme l'obligation de faire contractée. par l'Etat. Ainsi, la dénonciation du Concordat délie également les deux parties de leurs obligations réciproques, et les remet, pour l'avenir, dans une situation identique à celle qui était la leur avant sa conclusion.

Assurément, cette situation varie, suivant que l'on se place au point de vue de l'une ou de l'autre des deux parties. C'est la conséquence fâcheuse, mais inévitable, du dissentiment fondamental, essentiel, qui sépare, dans la conception de leurs rapports réciproques, l'Eglise et l'Etat moderne.

L'Eglise se considérera toujours comme propriétaire des biens dont elle n'a jamais ratifié l'aliénation, et qu'elle s'est engagée seulement à ne pas revendiquer pendant la

1) Cf. Petit, loc. cit. « La seule difficulté qui se fut élevée sur cet article (l'art. 13 mais elle fut longue à trancher n'a été qu'une question de

mots, le pape écartant absolument toutes les expressions, telles que ratifier, reconnaître, qui impliquaient un doute sur le droit de propriété de l'Eglise. Le mot « en conséquence », contenu dans l'art. 13 a pensé faire rompre les négociations >>.

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