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Partie historique

SOMMAIRE. L'Église chrétienne au début de notre histoire ; les communautés de fidèles; patrimoines collectifs et affectés. Empiètements de la féodalité; des communes ; de la royauté. Conflits entre l'Eglise et l'Etat, relatifs à la collation des bénéfices, et à l'exercice du droit de régale. Les doctrines nouvelles ;le Roi, propriétaire du Royaume; le Roi, créateur des corps. Conséquences : l'édit de 1749 - L'article « Fondation » dans l'Encyclopédie.

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La séparation des pouvoirs civil et religieux, l'indépendance du spirituel et du temporel : ce ne sont pas des idées nouvelles. La Séparation de l'Église et de l'État est vieille, vieille comme l'Empire Romain. Il n'est pas de Société plus résolument civile et laïque que la Société Romaine. Fustel de Coulanges a écrit un très beau livre sur la Cité antique, dans lequel il met en lumière, en l'exagérant peut-être, le rôle considérable qu'a joué la religion dans la formation des Sociétés primitives. A ce moment, le pouvoir civil se confond avec le pouvoir religieux. Mais combien les choses ont changé à l'époque où écrit Cicéron, et à plus forte raison sous l'Empire! Le pouvoir civil, pénétré des maximes de la philosophie grecque, accueille et patronne avec une bienveillante indifférence toutes les religions. Il ne les craint pas. Et pourquoi les craindrait-il? Elles consistent en un ensemble de mythes et de formules auxquels personne ne croit, et que l'on répète par tradition.

C'est l'apparition du christianisme qui a tout transformé. Il s'est formé une Société immense, qui n'avait pas seulement des dogmes, mais des principes de morale attachés

à ces dogmes, des idées sociales et politiques, liées à ces principes de morale. Cette Société religieuse s'est placée en face de la Société civile. D'abord persécutée par elle, elle a fini par se la soumettre et par la détruire.

Dans les premiers temps de notre histoire, l'Église manifeste sa puissance sous la forme d'un grand nombre d'associations, de communautés de fidèles (1). Ces communautés avaient pu se former librement sous l'Empire romain qui admettait d'une manière très large le droit d'association. Par la mise en commun des biens de leurs membres, elles s'étaient constitué des patrimoines dont l'importance grandissait. A une époque où l'État n'existait pas, le recours à ces associations était, pour les individus isolés, le seul moyen de salut : « Tant que dura l'anarchie et l'invasion, dit M. Guizot, la protection d'une église ou d'un monastère était presque la seule force dont les petits propriétaires pussent espérer quelque sécurité. On la recherchait par des donations. Les églises étaient des lieux d'asile; on les enrichissait pour les récompenser du refuge qu'on y avait trouvé. On donnait ses terres à l'Église (2). »

Chacune de ces associations poursuivait un but; chacun de ces patrimoines était affecté à une œuvre spéciale: culte, justice, charité, enseignement... et c'est ce but, cette œuvre qui, d'une part, conférait à chacun de ces établissements sa personnalité, le faisait considérer comme un

(1) Voyez l'édit de Constantin de 313, relatif à la restitution aux chrétiens des biens que les persécutions leur avaient enlevés : « Et quoniam iidem Christiani non ea loca tantum, ad que convenire consueverunt, sed alia habuisse noscuntur, ad jus corporis, id est ecclesiarum, non hominum singulorum pertinentia, ea lege qua superius comprehendimus, citra ullam prorsus ambiguitatem vel controversiam iisdem Christianis, id est corpori et conventiculis eorum, reddi jubebis...» (cité par Walter. Lehrbuch des Kirchenrechts § 245.) (2) Guizot. Essais sur l'Histoire de France.

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• corps » ayant son activité juridique indépendante de celle de ses membres d'autre part, unissait ces corps par la communauté de vues et d'aspirations dans le sein de cette immense société qu'était l'Église catholique (1).

Cette puissance temporelle allait se dénaturer et s'effriter par suite de son exagération même. Du jour où les subventions volontaires des fidèles, étant entrées dans l'usage (2), se transformèrent en dîmes obligatoires (3), du jour où les biens des églises, au lieu de demeurer la propriété collective des fidèles furent transformés en bénéfices et distribués à des clercs (4), la porte était ouverte, non seulement à des abus de toutes sortes, mais encore aux empiétements des pouvoirs rivaux.

D'abord, ce furent les seigneurs qui s'arrogèrent sur les biens du Clergé certains droits de suzeraineté, perçurent des taxes d'amortissement, et se firent inféoder les dîmes (5).

Puis, les communes, se substituant aux associations de fidèles, aux collèges de prêtres, dans l'accomplissement de certains services, en particulier de la charité (6), s'appro

(1) Voyez sur ce point Vauthier. Études sur les personnes morales dans le droit romain et dans le droit français p. 93, et suiv.

(2) Les Pères de l'Église en réclamaient le paiement avec éloquence. Cf. les œuvres de St-Augustin IV. 20.

(3) C'est sous les Carlovingiens qu'elles revêtirent ce caractère. Cf. Capitulaire 779 cap. V; cap. 829 cap. V.

(4) Dans les dernières années du vir siècle, la vie canoniale s'établit, en vue d'affirmer le droit de propriété de l'Église sur la fortune des clercs. Les biens, dont la jouissance est viagère, sont concédés à titre de précaire ou d'usufruit. Mais cette précaution ne suffit pas à faire obstacle aux appropriations privées.

(5) Au xe siècle, cependant, l'Église est parvenue à mettre un terme aux inféodations des dimes, et à recouvrer une partie des dimes inféodées antérieu

rement.

(6) Dès le XIe siècle, le pouvoir communal prend sous sa protection les hôpitaux. Leurs revenus étaient répartis entre les prébendiers. Les adminis

prièrent les biens qui leur étaient affectés. L'entretien des églises, négligé par les bénéficiers, tomba aux mains des Conseils de fabriques, composés de laïques, membres de la paroisse (1). De cette époque date la révolution communale.

La Royauté favorisait ces empiétements et en tirait profit. Depuis longtemps, invoquant son titre de seigneur féodal et suzerain, le Roi était intervenu dans l'administration et la collation des bénéfices. Aux confiscations brutales de Charles Martel, qui fit distribuer à ses proches les biens d'évêques et abbés déposés par lui, succédèrent les prétentions des monarques capétiens, qui exigèrent des clercs le paiement de certaines redevances féodales, décimes, douzièmes et centimes.

Quand le pouvoir royal se fut affermi, ce n'est plus à titre de seigneur féodal, mais d'administrateur général du royaume que le Roi intervint. I attira à lui les différents services dont l'Église avait le monopole. Les juridictions

trateurs stipulent que le nombre des bénéfices dépendant d'un hôpital sera limité. Les conciles, notamment le concile de Trente, ne purent qu'approuver ces interventions des laïques. La royauté les favorisa. L'ordonnance de Moulins, de février 1566 art. 73, invite les habitants des villes et faubourgs à subvenir à l'entretien des pauvres. L'édit de juin 1662 ordonne qu'il soit établi dans chaque ville un hôpital pour les pauvres, malades, mendiants, orphelins. Dans certaines régions, notamment en Flandre, s'organisent des tables du StEsprit, qui sont l'origine des bureaux de bienfaisance.

(1) Cette institution des Conseils de fabrique acquit une véritable individualité juridique (Olim t. III, p. 414 XXXII (1309).

Le Concile de Trente la fit entrer définitivement dans le droit canonique. (Concile Trid. Session XXII cap. 9, de ref.). Elle fit l'objet de plusieurs dispositions du pouvoir royal. (Ord. de Blois de 1576 art. 52 et 53 Anciennes lois françaises t. XIV. p. 380; Edit de février 1530 t. XIV p. 561; Edit du 4 sept. 1619; t. XVI, p. 134; Ordonnance de janvier 1629, art. 30 t. XVI, p. 223; Edit d'avril 1695, art. 17 21, 22 t. XX. p. 243.) Le Conseil de fabrique est composé de membres laïques, désignés par le pouvoir temporel, et du curé.

ecclésiastiques connaissaient des procès relatifs au mariage aux propriétés du Clergé, aux testaments, aux conventions confirmées par testament. Leur compétence fut réduite de Philippe le Bel à François Ier (1). La charité devint aussi un service laïque, grâce à l'intervention des municipalités, que le Roi favorisa par les Édits de 1566 et de 1662. Enfin, l'appel comme d'abus lui permettait de s'ingérer dans le domaine des choses spirituelles. La constitution des fabriques, dont les Conseils se composaient de laïques, fut un prétexte, pour le pouvoir civil, d'intervenir dans la gestion du patrimoine de l'Église. C'est alors qu'éclate, véritablement tragique, le conflit entre les deux pouvoirs rivaux. La Pragmatique sanction de Bourges, succédant aux luttes de Charles VII et d'Eugène IV, fut l'affirmation solennelle, par la royauté, de ses droits à la collation des bénéfices (2). L'exercice du droit de régale, en vertu duquel le Roi de France percevait, à la place des Évêques décédés ou démissionnaires, les revenus de leurs diocèses, tout le temps de leur vacance, fut consacré par divers édits dont le plus célèbre est la déclaration de 1682. La Papauté transigea avec le Roi tant au sujet des bénéfices que du droit de régale. Le Concordat de Bologne, de 1515, conclu par François Ier, en vertu duquel le Roi nomme et présente aux postes vacants, le Pape se borne à ratifier ce choix par

(1) Des édits successifs transmirent aux juges séculiers la connaissance des questions immobilières, des procès relatifs aux successions. Toutes ces restrictions se trouvent réunies dans l'édit que prit Louis XIV en 1695. On consultera utilement sur cette évolution le Rapport déposé par M Briand au nom de la Commission de Séparation des Eglises et de l'Etat. Journal Officiel 1905. Documents parlementaires, p. 253. Voyez aussi Chénon. Les Rapports de l'Eglise et de l'Etat du Ier au XXe siècle. Conférences faites au Sillon (1904).

(2) Elle ne fut d'ailleurs pas appliquée. Elle fut abolie en 1470. Le Roi obtint alors du pape l'engagement de ne nonmer que des Français, et de tenir compte de la recommandation du Roi.

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