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davantage. On ne voit pas comment une abstraction pourrait être titulaire d'un droit de propriété (1).

Nous avons vu, en étudiant les travaux de la Constituante, combien de systèmes différents avaient été proposés; et suivant qu'on préférait tel ou tel de ces systèmes, nous avons constaté la différence qui en résultait, quant à la mesure des droits de l'Etat.

Voici d'abord la théorie de Brinz qui était déjà celle de Briois de Beaumetz. Le sujet de droit, c'est le bien luimême. Le patrimoine est propriétaire de lui-même (2). Comme le fait observer avec raison M. Geouffre de Lapradelle (3), cette idée est contraire au principe même du droit. On prétend trouver un droit sans sujet; mais le droit est la faculté d'agir, ce qui commande l'existence d'un sujet. Le droit, comme l'a dit Giorgi, consiste dans la relation du sujet à l'objet. Si nous ne faisons qu'un du sujet et de l'objet, il n'y a plus de rapport, il n'y a plus de droit. Sur ce patrimoine sans maître, l'Etat se trouverait avoir un pouvoir absolu d'autorisation, de surveillance et d'extinction.

Telle est bien la conclusion à laquelle aboutissent Brinz et Bekker. Seul, l'Etat a qualité pour intervenir afin de régler l'attribution du patrimoine, en tenant compte du but. Seul, il peut le diminuer quand il reconnait qu'une

(1) En ce sens Laîné. Journal de Droit international privé, 1900, p. 179: « Je ne puis admettre qu'une œuvre soit, par elle-même et par elle seule, capable de droits. A la base de cet être de raison se trouvent nécessairement des ètres réels, des hommes, qui lui communiquent la vie et le soutiennent . (2) Dans le même sens Demelius, Dietzel, Fitting, Bekker, Helmann, Koppel, Windscheid.

(3) Des Fondations..... p. 424.

part moindre suffirait à la poursuite du but (1). Ce système n'a guère trouvé que des contradicteurs (2).

Aussi la doctrine allemande a-t-elle édifié une autre théorie. L'être matériel, le patrimoine, n'est pas un sujet juridique. Le vouloir seul peut prétendre à ce titre. La volonté est propriétaire du patrimoine. D'où le nom de Willens théorie qui a été donné à ce sytème.

Considère-t-on la fondation? La volonté dont il s'agit est celle du fondateur. Et c'est pourquoi le droit allemand admet la fondation par déclaration unilatérale de volonté. Le fondateur, en manifestant sa volonté, et en s'engageant à doter la fondation, fait deux choses. Il donne naissance à l'être juridique qui sera la fondation, et il s'engage envers cet être juridique à lui verser un capital (3).

Considère-t-on l'association?« Le sujet du droit, c'est « le faisceau de toutes les volontés des associés, réunies <«<en un tout harmonique, et dirigées vers le même but.(4)»

(1) Sous cette forme, la théorie de l'affectation sociale aboutit, comme la théorie étatiste, à la main-mise de l'État sur les biens des personnes morales. C'est ce qui permet à M. Geouffre de Lapradelle de dire (Des Fondations...., p. 451) Dire qu'une fondation a pour sujet son but, c'est dire qu'elle a pour sujet l'État, car le but d'une fondation, c'est l'intérêt général, et l'intérêt général a pour représentant l'État. Aussi Janet (La propriété pendant la Révolution. Revue des Deux-Mondes, 15 sept. 1877) a-t-il pensé qu'en s'emparant des biens du clergé le droit intermédiaire affirmait la formule qu'un bien peut être à un but ». Nous avons vu que, parmi les membres de la Constituante, quelques-uns de ceux qui mettaient en avant l'idée d'affectation reconnaissaient les droits illimités de l'Etat. cf. p. 36)

(2) Vauthier Etude sur les personnes morales, p. 273, Roguin. La règle de Droit, p. 395 Giorgi. Dottrina delle personne guiridiche o corpi morali, I, p. 49, Saleilles. Théorie de l'Obligation d'après le Code civil allemand, p. 148.

(3) R. Saleilles. Etude sur la théorie générale de l'Obligation d'après le premier projet de Code civil pour l'Empire allemand. Paris, 1901, p. 152

en note.

(4) Terrat. De la Personnalité morale. Rapport au 4o Congrès des catholiques à Fribourg, 1897.

Ainsi, les volontés des associés ont fait de l'association une personne distincte d'eux-mêmes.

Quant aux droits de l'Etat, on conçoit que cette théorie arrive à des conclusions profondément différentes de la précédente. Ils se réduisent à la surveillance. La personne morale existe par le seul fait que les volontés se sont unies, et sans que l'autorisation du législateur soit nécessaire. Il ne saurait la supprimer, sans commettre un acte arbitraire ; «La loi est infidèle à sa mission, dit M. Michoud, quand «elle refuse de considérer comme sujet de droit le grou«pement ainsi constitué, et qui, dans la pensée de ses <«< membres, a son avoir propre et ses intérêts distincts » (1). A ce système nous adresserons plusieurs objections. D'abord, il nous parait inutile d'admettre l'existence d'une personne réelle indépendante des associés. Nous montrerons que sans avoir recours à cette idée, on peut très bien expliquer la défense faite aux associés de distraire les biens de leur affectation, et la limitation des droits de l'Etat en ce qui touche la création et l'extinction des personnes morales.

En second lieu, est-il bien vrai que cette personne, dont on nous parle, soit réelle? Les volontés des associés se fondent-elles si bien ensemble qu'il existe toujours une volonté commune, attachée à la poursuite d'un but? Et en admettant cette volonté, est-elle susceptible d'ètre le sujet d'un droit ? L'homme seul en est susceptible. Nous nous prêtons mal à la distinction subtile que l'on nous impose entre la personne humaine d'une part, et la personne juridique de l'autre. Le droit considère la personne humaine toute entière, et elle seule. Lorsque deux hommes sont

1) Michoud. Revue de Droit public et de la science politique, 1899, p. 1.

associés, il n'existe, il ne peut exister réellement, que deux sujets de droits.

Aussi a-t-on voulu, dans un troisième système, déterminer les propriétaires humains, vivants, des biens affectés. Et l'on s'est arrêté à la solution suivante. Les sujets du droit, ce sont les bénéficiaires. Les propriétaires collectifs des biens d'un musée sont toutes les personnes qui s'intéressent à l'art; ceux d'un hôpital, les malades qui y sont soignés; ceux d'une fabrique, les fidèles de la paroisse; ceux d'une mense, les membres du clergé qui en jouissent.

Il va sans dire que l'Etat ne saurait détourner les biens de leur affectation sans dépouiller injustement ces propriétaires collectifs.

Ce système, pas plus que les précédents, n'échappe à toute critique. La principale objection qu'on puisse lui adresser concerne l'indétermination des bénéficiaires.

On peut se demander en vertu de quel droit et par l'effet de quel acte ceux-ci sont devenus propriétaires.

Enfin, ce système méconnaît certaines distinctions qui semblent nécessaires. Dira-t on par exemple que les propriétaires collectifs d'un musée de fondation privée sont, comme ceux d'un musée communal, tous les amis de l'art, qui sont également appelés à en profiter? Et considérerat-on les étrangers comme co-propriétaires de nos musées nationaux ?

Nous ne saurions approuver ce dernier système quant à la détermination des sujets du droit. Mais nous en dégageons ces deux idées essentielles, qui serviront de base à nos développements ultérieurs, et sur la combinaison desquelles nous édifierons notre système : l'idée d'affectation sociale et l'idée de propriété collective.

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Le droit de propriété est défini par le Code (art. 544) « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue,pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par « les lois ou par les règlements ».

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Ainsi, dans sa notion élémentaire, primitive, le droit de propriété comporte le droit de disposer de la manière la plus absolue. Voilà ce qu'il est, comme droit naturel. Nous ne voulons pas dire que le droit de propriété, celui que possède tel homme sur tel objet particuljer soit un droit naturel. Non c'est le droit à la propriété qui présente ce caractère. Il est nécessaire, pour que l'homme vive et soit libre, que son activité s'exerce sur des objets dont il ait l'entière disposition (1). Il n'est pas de société si collectiviste qu'elle refuse aux individus le droit de disposer de certaines choses, fùt-ce seulement de celles qui servent à la consommation ou au travail.

La loi, qui ne crée pas ce droit, pas plus qu'elle ne crée la liberté, intervient pour le réglementer. Elle détermine les conditions auxquelles il s'exerce, et les objets sur lesquels il porte. Elle le limite, dans la mesure où les nécessités de l'ordre public le commandent. C'est ce qui résulte de la seconde partie de notre art. 544.

En dehors des limitations qui lui viennent de la loi, le

(1) C'est le droit de propriété, tel qu'il est consacré par la Déclaration des Droits de l'homme, art. XVI: « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de son revenu, du fruit de son travail et de son industrie. C'est un développement du droit à la liberté individuelle. Cf. Faguet. Le libéralisme, p. 71.

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