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.ment, à leur petit nombre était venue s'ajouter la multitude des membres de la grande association, prenant à leur charge le service du culte, et acquérant le même titre qu'eux à la propriété des biens ecclésiastiques!

Mais, pour que cette propriété fùt légitime, plusieurs conditions devaient être remplies:

Il fallait que l'Etat organisât le service du culte. Ce service était l'objet d'une dette, contractée non seulement envers les fondateurs du passé, non seulement envers les membres des Eglises, envers les fidèles, mais envers tous les membres quelconques de l'association. Le culte étant reconnu comme l'objet d'un besoin social respectable, que l'Etat avait pris à sa charge, il était tenu d'y satisfaire vis à vis de tous ceux qui exigeraient de lui l'accomplissement de l'obligation. Supprimer le culte, comme la Convention l'a fait, sans restituer les biens, c'était donner rétroactivement à la confiscation de ces derniers le caractère d'une spoliation.

Il fallait en second lien que l'Etat respectât les charges auxquelles étaient soumises les libéralités particulières. Le respect dû à la volonté des fondateurs s'imposait aussi bien à l'Etat qu'il s'imposait précédemment aux Eglises. C'est un principe que nous avons placé au-dessus de toute discussion.

Mais en dehors de ces biens, affectés par la volonté des donateurs à une œuvre spéciale, il y avait ce patrimoine immense dont l'origine se perdait dans la nuit des temps. Ce patrimoine qui s'était formé de donations accumulées par les particuliers ou par l'Etat, d'acquisitions à titre onéreux, de perceptions d'impôts..., ce patrimoine entier, considéré dans sa quotité numérique, comme daus les

biens particuliers qui le composaient, devait-il être éternellement affecté au culte ?

On l'a soutenu, en particulier pour ce qui touche les édifices ecclésiastiques. On a imaginé je ne sais quelle servitude, analogue à la destination du père de famille, dont ces édifices seraient grevés au profit du culte, et que les Gouvernements successifs auraient respectée. On a ajouté que les églises faisaient partie du domaine public, étaient l'objet d'une propriété d'un genre spécial, et ne pouvaient être désaffectées.

A ces arguments, il est bien facile de répondre. En fait, il n'est pas vrai que les églises aient été toujours affectées au culte. Beaucoup furent aliénées par la Convention. D'autres n'ont pas seulement servi à la célébration des fêtes décadaires il s'y est tenu des assemblées municipales, dépourvues de tout caractère religieux. En droit, l'on serait fort empêché de nous montrer le titre de cette servitude dont on nous parle (1). Et nous avons prouvé

(1) On nous objectera que la destination du père de famille implique précisément l'absence de titre. Mais alors, il faut établir que la servitude qu'on invoque, est établie par la loi. On n'a pas le droit d'apporter, en se fondant sur des analogies lointaines, des restrictions au droit de propriété.

La destination du père de famille est « l'acte par lequel une personne établit, entre deux héritages qui lui appartiennent, ou entre deux parties d'un méme héritage, un état de fait qui constituerait une servitude, s'il s'agissait de deux héritages appartenant à deux propriétaires différents » (Planiol. Manuel... I, p. 637). Ainsi, d'après l'art. 639, deux conditions sont nécessaires. Il faut que les fonds, aujourd'hui séparés, aient appartenu au mème propriétaire. Il faut prouver que les choses ont été mises par lui dans leur état actuel. Devons nous insister, pour établir que rien, dans tout cela, ne rappelle l'affectation des églises?

Nous ne pensons pas qu'on doive interpréter les lois d'une manière littérale et restrictive. On n'est pas obligé d'invoquer un texte du Code en faveur de chaque solution qu'on veut défendre. Le bon sens, la logique, la justice ont leurs droits, indépendamment de toute consécration législative. Mais si un procédé d'interprétation est déplorable, c'est celui qui consiste à étendre l'application d'une loi à des hypothèses auxquelles très certainement le législateur

que, sauf dérogation apportée par un texte, font seuls partie du domaine public les biens non susceptibles d'appropriation privée, ce qui n'est pas le cas des églises (1).

N'est-il pas singulier de prétendre isoler, aux mains de l'Etat, les biens consacrés au culte? De même qu'une personne privée ne peut avoir qu'un patrimoine, il ne saurait exister, aux mains d'une association, qu'une seule masse de biens collectifs. Si l'association poursuit plusieurs buts, il dépendra d'elle d'affecter à l'un ou l'autre la quotité qu'il lui semblera nécessaire. Jugerait-on critiquable que l'Etat désaffectât un musée, pour en faire un édifice universitaire? Assurément non. De même, la désaffectation d'une église ne constituerait la violation d'aucun droit individuel.

Bref, la quotité des biens affectés au culte ne dépend en aucune manière de l'étendue du patrimoine que l'Etat s'est approprié. Elle doit être proportionnée à l'étendue du besoin social auquel il s'efforce actuellement de satisfaire.

En statuant ainsi, nous ne violons pas la volonté des fondateurs; celle ci sera scrupuleusement observée, quand elle s'est manifestée par l'apposition d'une condition. expresse. Nous ne méconnaissons pas les droits individuels qui obtiendront toujours une satisfaction adéquate au besoin social qu'ils invoquent. Et nous échappons au reproche de Thouret et de Turgot, celui d'enchaîner les générations présentes à la volonté des générations passées.

Nous nous sommes montrés constamment fidèles à notre conception du droit de l'Etat : droit de haute surveillance,

n'a pas songé. Comme l'art. 693, l'art. 553 a donné lieu à une erreur de ce genre, que nous aurons l'occasion de relever.

(1) Voyez p. 133.

qui implique et le respect des initiatives privées et la direction donnée aux patrimoines collectifs dans le sens des nécessités sociales actuelles.

Ainsi, le patrimoine ecclésiastique, tel que nous l'envisageons aujourd'hui, est la propriété collective et affectée. de cette association souveraine qu'on appelle l'Etat. A cette propriété correspond le service public qui, momentanément supprimé par la Convention, a été rétabli, à la suite du Concordat, sur des bases nouvelles.

C'est ce qui fait illusion à beaucoup d'esprits. On voit

que

les biens de l'Eglise se trouvent aujourd'hui entre les mains des fabriques, des communes... à la suite d'opérations qui sont en apparence des transferts de propriété. Et lorsqu'on ne se contente pas de l'idée superficielle de personne morale, lorsqu'on cherche à pénétrer le substratum que recouvre cette terminologie juridique, on se croit. volontiers en présence de patrimoines distincts. On dit que les églises cathédrales et métropolitaines, appartenant à l'Etat, sont la propriété de tous les citoyens. Les églises paroissiales sont aux habitants de la Commune (1). Quant aux biens des fabriques, on se fonde sur l'idée d'affectation sociale pour en attribuer la propriété aux bénéficiaires, c'est-à-dire à la collectivité des fidèles (2).

Et lorsqu'en face de la séparation de l'Eglise et de l'Etat,

(1) En ce sens Vareilles-Sommières. Personnes Morales p. 492: « La commune est une association légale et nécessaire, une personne morale. C'est l'Etat réduit à son minimum, l'Etat primitif. »

(2) Voyez encore Vareilles Sommières op. cit., p. 508: « La fabrique est une association légale de tous les fidèles de la paroisse, en vue d'assurer la célébration du culte, et la satisfaction de leurs intérêts généraux. » L'auteur attribue le même caractère à la mense épiscopale et à la mense curiale « qui unissent, très faiblement du reste, tous les fidèles d'un diocèse ou d'une paroisse, dans l'acquisition et surtout la conservation des biens destinés à assurer la subsistance d'un évêque ou d'un curé ».

on arrive aux applications, on propose, entre ces différents groupes de biens, des distinctions qui sont parfaitement illogiques, puisque ce sont des raisons purement contingentes qui les ont fait attribuer à l'Etat, aux communes ou aux établissements publics!

La vérité juridique, la voici : les biens de l'Eglise, qu'ils appartiennent à l'Etat, aux fabriques, aux consistoires, aux menses ou aux communes, sont la propriété collective de tous les citoyens.

Et d'abord, cela va sans dire, en ce qui touche les biens restés aux mains de l'Etat: leur condition juridique ne s'est pas modifiée, depuis l'acte de la Constituante.

Examinons les biens qui appartiennent, soit en administration, soit en propriété, aux établissements publics. Ceuxci ont été créés par l'Etat; et cette raison doit suffire à nous faire admettre qu'il ne peut y avoir à leur base une collectivité d'individus différente de celle qui constitue l'Etat lui-même.

Je ne puis concevoir qu'une association en crée une autre. De deux choses l'une ou cette dernière association. comprendra un certain nombre d'individus distincts de la première, poursuivant un but spécial, ayant des ressources propres, et alors c'est la volonté de ces individus qui crée l'association, l'Etat n'intervenant que pour l'autoriser; ou bien l'association mère a dégagé une quote part de son patrimoine qu'elle a spécialement affecté à l'accomplissement de l'une des œuvres dont elle a la charge. Mais alors ceux de ses membres auxquels elle a confié le soin de cette œuvre et la garde de ces biens n'en sont pas les propriétaires collectifs. Ils ne sont que les représentants de la collectivité des membres de l'association.

Appliquons cette idée à la fabrique et au consistoire. Les

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