Page images
PDF
EPUB

Une deuxième solution est la suivante Le soin de régler l'attribution des biens incomberait uniquement aux autorités administratives. Les différends qui pourraient s'élever seraient de la compétence exclusive des juridictions administratives. On invoque le droit commun. Toutes les fois qu'un établissement public disparaît, c'est par un acte de gouvernement que ses biens sont transférés à un autre établissement; et la nécessité d'un acte administratif pour opérer le transfert détermine la compétence des juridictions qui sont les seules qualifiées pour statuer sur un acte de cette nature.

Raisonner ainsi, c'est méconnaître évidemment le caractère de l'opération qu'il s'agit de réaliser. L'intervention des autorités, la compétence des juridictions administratives va d'elle même, lorsqu'on veut faire passer d'un établissement public à un autre des biens qui ne cesseront pas, de toute manière, d'appartenir à la collectivité des citoyens. C'est d'une question d'affectation administrative qu'il s'agit alors, plutôt que d'une question de propriété proprement dite. Dans notre espèce, les biens litigieux cesseront d'appartenir à l'Etat. La difficulté ne s'élève même pas entre l'Etat et les particuliers. La question de propriété ne se pose qu'entre des associations privées. N'est-elle pas, comme toutes les questions de cette nature, de la compétence naturelle des juridictions civiles?

Il ne suffit pas d'attribuer compétence aux tribunaux ordinaires. Il faut poser un principe qui leur permette de faire un choix entre les associations concurrentes... Dans cette nouvelle recherche, la plus délicate assurément, l'idée d'affectation va nous guider, si nous savons lui donner la précision nécessaire.

Les biens ecclésiastiques ne sont pas consacrés, d'une

manière générale et vague, à la satisfaction des besoins religieux de l'homme. Ils sont spécialement affectés à trois cultes que l'on ne saurait concevoir, en dehors de leur organisation extérieure et traditionnelle. L'Eglise catholique est une monarchie internationale. Que l'on porte atteinte à sa hiérarchie au sommet de laquelle se trouvent le Pape et les Evêques, et l'on blessera certainement la conscience des catholiques. L'Eglise protestante, au contraire, est un gouvernement national et représentatif. On ne saurait, sans offenser le sentiment des protestants, les contraindre à se soumettre à une hiérarchie semblable à celle de l'Eglise romaine.

Eh bien! ces considérations ne nous dictent-elles pas une solution concernant la dévolution des biens?

On ne saurait sans injustice attribuer à une associa tion qui se consacre à la célébration d'un culte déterminé une part de biens qui revient légitimement à un autre culte. Nous n'attachons pas, quant à nous, une importance excessive à la destination particulière de tel ou tel bien. Il n'existe pas, pour chaque édifice, d'affectation perpétuelle. On a vu souvent le premier Empire ou les Gouvernements postérieurs affecter des églises catholiques à la célébration du culte protestant. Le fait qu'une église protestante, propriété de l'Etat ou même d'un consistoire, serait, au jour de la Séparation, attribuée à une association catholique, ne devrait pas nous scandaliser. Il n'y aurait rien là ni d'offensant pour le sentiment religieux, ni de contraire au droit. C'est dans la quotité des biens transmis, plutôt que dans leur détermination, que les proportions doivent être gardées, et la justice respectée.

Il est possible que dans le ressort d'une circonscription

ecclésiastique, deux associations, qui ont en vue la célébration d'un même culte, entrent en compétition. Laissonsnous guider par le principe que nous avons posé plus haut. Il s'agit de rendre au culte catholique des biens qui lui sont séculairement affectés. Le culte catholique ne se conçoit pas en dehors de la hiérarchie romaine. Quelle est donc celle, des associations en lutte, qui s'est montrée, dans sa formation, respectueuse de cette hiérarchie, celle qui est approuvée par le Pape et par les évèques? Celle-là seule devra hériter des biens. Peu importe que l'association rivale compte un plus grand nombre de membres, et que peut être elle professe les mêmes croyances religieuses. Si elle ne respecte le principe d'autorité qui est à la base du catholicisme, elle ne peut se prétendre catholique; elle ne présente aucun titre à l'attribution des biens (1).

Notre raisonnement serait le même, en ce qui touche les autres cultes. Ces cultes possèdent des organes représentatifs auxquels devrait naturellement être confié le soin de répartir les biens ecclésiastiques entre les associations nouvellement formées. Ce sont, chez les Israélites les consistoires, et dans l'opinion commune, qui est contestable, il en serait de même chez les protestants (2,.

(1) C'est le principe qui, en Angleterre, a dicté récemment à la Cour dEdimbourg et à la Chambre des Lords la solution d'un litige qui s'est élevé à la suite d'un schisme survenu au sein de l'Eglise presbytérienne libre d'Ecosse. La totalité du patrimoine a été attribuée à la minorité composée de quelques pasteurs et d'un petit nombre de fidèles. Aux Etats-Unis, l'attribution des biens est toujours faite au profit de l'Association cultuelle reconnue par l'évêque diocésain. Encyclopédie des lois anglaises et américaines, 2o éd. 1903 vol. XXIV vo Membership).

(2) Nous citons plus loin un extrait d'une consultation de M. le Pasteur Lelièvre, reproduite par M. Réveillaud dans son discours du 22 avril 1905. Il en résulte que le Consistoire, tel qu'il existe actuellement, n'est pas un rouage essentiel de l'organisation traditionnelle du protestantisme. Celle-ci

Nous avons exposé le principe, et les raisons qui militent en sa faveur. Hâtons-nous d'examiner les objections qu'on lui oppose.

On a dit que ce mode de dévolution aurait pour conséquence inévitable la transmission de la plupart des biens aux mains d'une minorité de hauts ecclésiastiques, et le dépouillement du bas clergé. Une association se forme, qui comprend l'évêque et quelques acolytes; l'association rivale compte parmi ses membres le curé de la paroisse et l'ensemble des fidèles. N'est-il pas scandaleux que tous les biens soient dévolus au profit de la première?

La situation de fait que l'on prévoit se produira rarement, et la solution qu'on lui donne suppose une erreur. Elle implique que, dans le conflit entre une association cultuelle et l'évêque, raison sera toujours donnée à ce dernier. Sans doute le pouvoir épiscopal est prépondérant dans la hiérarchie ecclésiastique. Mais il n'est pas exclusif de toute surveillance ni de tout contrôle, et dans le conflit avec son supérieur, le plus modeste prêtre pourra obtenir la victoire, en vertu des règles mèmes du droit canon.

Nos tribunaux sont ils done institués pour faire observer

repose, avant tout, sur le régime synodal, qui fonctionne à l'heure actuelle, bien qu'il n'ait qu'un caractère officieux. Le Synode général, tout récemment réuni à Reims, émettait le vœu « que le Parlement respectât l'organisation presbytérienne et synodale qui a fait, par son principe démocratique et parlementaire, la force et l'honneur de l'Église réformée de France ». (13 mai). En remettant aux représentants les plus qualifiés de ce régime synodal le soin de veiller à la répartition des biens entre les associations cultuelles, le législateur se conformerait donc plus strictement aux règles générales d'organisation du culte réformé. Le caractère officieux de cette organisation ne constitue pas une objection. Si les évêques doivent recevoir la mème mission, ce n'est pas à raison de leur caractère officiel, qu'ils perdront dès le jour où la loi de Séparation sera votée. C'est qu'ils jouent, au sein du catholicisme, le même rôle que les synodes dans l'organisation traditionnelle des Églises

réformées.

ces règles? Et l'Etat qui se sépare des cultes se reconnaît-il tenu encore d'en faire respecter l'organisation? Non, assurément! Le droit canon ne s'impose pas à nos tribunaux, comme tel. Les sentences rendus par les juridictions ecclésiastiques sur le point litigieux qui sépare l'évêque ou le curé de ses paroissiens, ne les lient en aucune manière. Nous n'admettons même pas qu'elles soient obligées de surseoir en attendant que ces juridictions aient prononcé. Aussi bien, la question est tout autre. La loi oblige nos juges à opérer la transmission des biens en faveur des associations de culte catholiques. Telle association demanderesse présente-t-elle ce caractère et mérite-t-elle cette appellation? C'est une question que le Tribunal ne peut négliger sans violer la loi civile, et c'est une question de fait qu'il résoudra, grâce aux éléments d'information nécessaires qu'il devra se procurer, comme il le fait chaque jour pour trancher des difficultés qui n'ont rien de commun avec le droit (1).

Il ne s'agit en vérité ni de maintenir la hiérarchie catholique, ni de provoquer des schismes. Il s'agit beaucoup plus simplement de sauvegarder et de faire observer les caractères distinctifs de la propriété ecclésiastique, tels que nous les avons définis: ceux d'une propriété collective, et d'une propriété affectée à un but précis.

(1) Voici les conséquences de cette idée. Le demandeur devra faire la preuve des règles du droit canonique sur lesquelles se fonde sa prétention. Si cette preuve n'est pas faite devant lui par l'interessé, le tribunal ne sera pas tenu de recourir à d'autres moyens d'information. Le contrôle de la Cour de Cassation ne viendra pas sanctionner le refus d'application, ou la fausse application du droit canonique. Ce sont les solutions précisément contraires que nous admettons, lorsqu'il s'agit, pour nos tribunaux, d'appliquer des lois étrangères.

DONNEDIEU DE VABRES

15

« PreviousContinue »