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l'Etat, des moyens d'action très efficaces. Il faut éviter que cette action devienne tracassière et oppressive. On a beaucoup épilogué, en l'exagérant peut être, sur le danger que présentent, au point de vue politique, les associations de culte. Ici, comme ailleurs, c'est d'une question de mesure qu'il s'agit, et j'ajouterai volontiers: c'est d'une question de fait. Une réglementation doit être plus ou moins large, suivant que le pays auquel elle s'applique est plus ou moins apte à la pratique de la liberté.

C'est enfin l'idée d'affectation qui déterminera la dévolution des biens, au cas où l'association serait dissoute, parce que son but aurait cessé d'exister. On peut supposer, par exemple, que dans une commune le culte catholique a cessé d'être pratiqué. Que deviendront les biens attribués à l'association cultuelle qui s'y est formée?

Les lois de 1825, 1886,1901 et 1904 dont nous avons analysé, en les approuvant, les dispositions, offrent des précédents, dont il sera utile de s'inspirer. Conformément à cette législation traditionnelle, nous admettrons en première ligne le droit de revendication des bienfaiteurs, au cas où le but, auquel les biens donnés sont affectés, ne pourrait plus être poursuivi; en second lieu, l'attribution du patrimoine à une association ou à des associations voisines, ayant le même objet, et dont la désignation sera faite, conformément aux règles générales d'organisation du culte, par le Tribunal civil. Enfin, et s'il n'existe pas d'association de ce genre, le retour à l'Etat des biens devenus sans maître. En aucun cas, il ne peut être question de partager ces biens entre les membres de l'association: ceux-ci, nous l'avons dit, n'ont d'autre titre à la propriété collective, que leur intention commune de veiller à la

célébration du culte, et cette intention est réputée disparaître avec le culte lui même.

Concluons. Nous avons cherché, dans le chapître qui précède, à esquisser les grandes lignes d'un système législatif qui pût régler, d'une manière acceptable et efficace, la dévol: tion des bi ns ee lésiastiques lésiastiques en cas de Sparation.

Un système de ce genre doit presenter, a notre avis, les trois qualités suivantes. Il doit réserver les droits de l'Etat. Il doit être pratique. Il doit être juste.

Le droit de l'Etat est avant tout un droit de surveillance et de contrôle. La formation de patrimoines collectifs considérables peut être pour un pays sans que l'on doive agiter toujours le spectre effrayant de la main-morte — une source d'embarras et de dangers. Mais en limitant l'objet propre de chaque association, si bien qu'elle doit se cantonner soit dans l'exercice du culte, soit dans la pratique de la charité en restreignant son fonds de réserve - en l'obligeant à présenter ses comptes, et à justifier de l'emploi de ses revenus en s'assurant, par des mesures de police, qu'elle consacre ses ressources à la poursuite exclusive du but qu'elle s'est proposé: ne prend-on pas toutes les précautions qu'il est permis d'admettre, dans un pays libre (1)?

Aux rapports déjà très nombreux que ces mesures de police nécessitent entre l'Etat et les associations cultuelles, est-il besoin d'ajouter les relations souvent difficiles et

(1) Le maintien de la propriété des édifices aux mains de l'État s'explique, en réalité, par le désir qu'on éprouve d'assurer, pour l'avenir, sa toute puissance en matière ecclésiastique. C'est une arrière-pensée que M. Briand lui même a laissé voir, dans son discours du 6 avril : « Vous devez, dit-il, envisager la nécessité de conserver les édifices du culte afin de laisser à la République toutes les prises qu'elle peut avoir sur l'Eglise ». Mais alors, pourquoi faire la Séparation?

irritantes de propriétaire à locataire ? Notre système présente cet avantage incontestable de tout simplifier, en laissant aux fidèles la disposition absolue et exclusive de leurs églises Il ne s'élèvera pas de difficultés incessantes pour savoir qui doit prendre à sa charge telle ou telle réparation. Les fidèles ne se verront pas soudainement expulsés des lieux de culte, à raison de la négligence de leurs administrateurs, ou simplement parce qu'il a plu à une municipalité libre penseuse de manifester son mauvais vouloir à l'égard de la religion. S'il faut renoncer à remplacer le régime du Concordat par un régime d'indépendance absolue entre l'Etat et l'Eglise, que ne se préoccupe-t-on au moins d'assurer cette indépendance dans la mesure du possible?

Ici, nous nous heurtons à l'éternelle objection dont la réfutation est l'objet essentiel de cette étude. Pourquoi livrer à des associations privées une multitude d'édifices qui sont la propriété de l'Etat ? Qu'est-ce qui justifie cette générosité excessive? Et si cette propriété est le résultat d'actes injustes, comme la Révocation de l'Edit de Nantes ou la Confiscation des biens du Clergé, n'existe-t-il pas une prescription qui nous interdit de revenir sur des actes de ce genre, et de recommencer l'Histoire ?

Nous ne demandons pas qu'on recommence l'Histoire,ni qu'on renonce à la prescription. Nous ne voulons pas qu'on revise le funeste Edit de Louis XIV, dont le premier Empire a détruit les effets, en mettant à la disposition des protestants un nombre considérable d'édifices. Nous ne songeons pas à critiquer la Confiscation des biens du Clergé.

Nous constatons simplement ce fait. La propriété ecclésiastique n'est pas, au mains de l'Etat, une propriété ordinaire. C'est une propriété affectée à un but, consacrée à

une œuvre. L'œuvre subsiste, alors même que l'Etat l'a abandonnée. Que ces biens lui restent affectés, et que la collectivité qui succède à l'Etat dans l'accomplissement de cette œuvre succède aussi à la propriété de ces biens, que l'Etat a légitimement acquis, au jour où il s'est chargé de l'œuvre !

et

C'est un de nos grands sujets d'étonnement que les hommes qui approuvent l'acte de la Constituante c'est la majorité - ne soient pas unanimes à réclamer, au profit de l'Eglise, le transfert des biens affectés au Culte. Comment ne comprend-on pas qu'il y a identité de motifs?

Ajoutons une remarque pratique. Les esprits libéraux qui renoncent à revendiquer pour l'Eglise la propriété des édifices nationaux, départementaux ou communaux, réclament au moins le transfert, au profit des associations cultuelles, des biens appartenant aux fabriques et aux menses. Ils se fondent sur une prétendue propriété collective des fidèles, qui aurait survécu au Concordat, et qui, nous l'avons dit, est inconciliable avec la notion d'Etablissement public. Il est certain que les biens des fabriques, consistoires et menses, sont, parmi les biens affectés au culte, ceux qui ont la plus grande valeur, et dont la propriété est la plus avantageuse.

Le droit de propriété des églises métropolitaines et paroissiales a sa contre-partie fâcheuse dans la charge des grosses réparations, dont les frais sont énormes. Un homme d'esprit a même proposé le transfert de ces édifices au profit de l'Eglise, assurant qu'elle en serait ruinée à bref délai.

Ce n'est pas le but que nous devons poursuivre. C'est uniquement une pensée de justice qui doit nous guider dans nos déductions. Le régime de la Séparation présente

sur celui du Concordat cet avantage immense qui lui promet notre entière adhésion. Il assure le triomphe des œuvres qui doivent vivre, parce qu'elles répondent à un besoin social actuel, et qu'elles ont toujours leur raison d'être. Au contraire, il se refuse à prêter une vie artificielle et végétative aux œuvres qui sont comme le fruit suranné du passé.

S'il existe en France des hommes animés de sentiments. religieux réels et profonds, ils sauront trouver des ressources pour entretenir les églises, et pour en construire de nouvelles. Sinon, pourquoi l'argent des incrédules devrait-il subvenir à la décadence d'une foi, qui, après avoir lancé vers le ciel les flèches des cathédrales, s'avouerait. insuffisante à en payer les « grosses réparations » ?

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Un homme profondément religieux, qui fut un grand penseur et un esprit large, Alexandre Vinet, disait : « Si « l'on nous demande: Que voulez-vous que la religion. <«< devienne, sans l'appui de l'Etat? Nous répondrons simplement Qu'elle devienne ce qu'elle pourra; qu'elle « devienne ce qu'elle doit devenir; qu'elle vive si elle a de « quoi vivre; qu'elle meure si elle doit mourir... S'il était « vrai que la religion ne dût pas survivre à ses rapports « artificiels et forcés avec l'Etat, s'il était vrai seulement <«< que sa condition dût empirer par le fait de cette sépara«tion, autant vaudrait, dès cette heure, l'abandonner, et «< chercher dans quelque vieille erreur ou dans quelque jeune système la consolation de cette misère intime et profonde que, jusqu'à ce jour, à l'aide d'une sage poli. tique, elle avait si doucement, si complaisamment bercée ».

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Ces belles paroles ne limitent pas seulement les préten tions des fidèles. Elles tracent aussi son devoir au légis

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