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en vigueur aux Etats-Unis. Si dans ce pays les cultes jouissent de la liberté la plus complète, si des patrimoines collectifs très considérables se forment sans donner le moindre ombrage au Gouvernement, cela tient peut-être à ce qu'il s'agit d'un pays jeune, où le péril de la mainmorte n'est pas apparu dans toute son étendue. Cela tient surtout à ce qu'il s'agit d'un pays profondément religieux, appartenant à un seul culte, et où les autorités peuvent manifester officiellement leurs convictions chrétiennes, sans causer aucun scandale.

Mais voici l'exemple du Brésil, qui est singulièrement suggestif. Dans ce pays, en grande majorité catholique, comme le nôtre, mais où beaucoup d'esprits, comme dans le nôtre, ont été séduits par les affirmations du positivisme et sont étrangers à toutes convictions religieuses, dans ce pays qui a nos idées, nos mœurs, et à certains égards notre histoire, la Séparation de l'Eglise et de l'Etat a été réalisée, il y a une dizaine d'années. Elle l'a été, dans les conditions les plus libérales et les plus paisibles, sans qu'il en résul tât même une rupture avec le Saint-Siège. Aujourd'hui, les cultes s'y développent librement, sans inspirer la moindre inquiétude au Pouvoir central.

L'exemple donné par les Nations étrangères est précieux pour le Législateur, qui s'inspire moins de considérations philosophiques que d'observations de fait.

Aussi, dans l'étude que nous entreprenons des différents projets rédigés en France, au point de vue spécial de la propriété ecclésiastique, notre préoccupation sera-t-elle de rapprocher leurs dispositions des dispositions voisines des législations étrangères.

Fidèle à la méthode que nous avons suivie jusqu'ici,

DONNEDIEU DE VABRES

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nous les répartirons en trois groupes, suivant qu'ils sont inspirés surtout par le principe étatiste, que leurs auteurs se sont préoccupés de maintenir l'affectation sociale, ou qu'ils mettent en première ligne le respect dû à la propriété collective.

CHAPITRE PREMIER

LES PROJETS INSPIRÉS PAR LE PRINCIPE ÉTATISTE

SOMMAIRE.

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La Séparation au Mexique. Confiscation des biens du clergé. Libéralisme relatif du législateur mexicain. Les Projets inspirés en France par le principe étatiste. 1. La Proposition Allard. Rapprochement avec la proposition de J. Roche. Elle porte atteinte à la liberté religieuse. — 2. Le Projet Combes. - L'État reste propriétaire des biens des établissements publics. Concessions gratuites et temporaires. Concessions à titre onéreux des édifices de l'État, des départements et des communes. Les biens charitables. 3. La Proposition de Pressensé. Elle ressemble au projet Combes. Le régime des locations à titre onéreux. Exception admise, en faveur des associations cultuelles, au droit de propriété de l'État.

La discussion qui s'est déjà produite à la Chambre est pour nous une lumière. Elle nous permet de connaître, non seulement dans leur texte, mais dans leurs motifs, les projets qu'a inspirés le principe étatiste, et qui ont conservé à la Nation la propriété de tous les biens affectés au culte.

Parmi les législations étrangères, une seule nous paraît s'être laissée guider par ce principe: c'est la législation du Mexique (1).

Dans ce pays, le Clergé catholique, peu nombreux, mais tout puissant par ses richesses, possédait, au milieu du XIX siècle, un tiers des biens fonciers de la Nation.

Le parti fédéraliste, parvenu au pouvoir en 1856, offrit

(1) Sur la Séparation au Mexique, voyez La Chesnais. Trois exemples de Séparation. Rapport Briand. Journal officiel Documents parlementaires, p. 281. Courrier de la Plata Buenos-Ayres; 29 nov. 1904.

aux moines d'échanger leurs immeubles contre des valeurs mobilières. Sur leur refus, les édifices du culte furent nationalisés, et les tenanciers autorisés à devenir propriétaires des terres louées par les titulaires de bénéfices ecclésiastiques.

Juarez, vainqueur de Napoléon III, édicta en 1859 une véritable loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat. Les temples nationalisés demeuraient propriété de l'Etat; mais ils étaient laissés à l'usage exclusif des associations religieuses. En dehors de ces temples, et des annexes strictement nécessaires à l'exercice du culte, les associations ne pouvaient acquérir de biens fonciers, ni placer des capitaux, par voie d'hypothèque, sur des biens fonciers. C'est, comme on le voit, une confiscation pure et simple des biens du Clergé.

La situation du Mexique peut être comparée à celle de la France, lorsque la loi du 3 ventôse an III eut supprimé le budget des cultes, et la loi du 11 prairial ouvert un certain nombre d'églises

Voici comment M. La Chesnais apprécie les effets de la réforme au Mexique : « Le Clergé n'est pas à plaindre. Les «< curés des paroisses rurales ont une situation plutôt « meilleure que sous l'ancien régime. Les dons, les quêtes <«< dans l'église, le casuel suffisent à soutenir les frais du «< culte et à entretenir les ministres et les séminaires..... « Les églises, fort délabrées et mal desservies en 1857, ont « recouvré leur splendeur ».

Cela ne prouve pas que le Législateur ait respecté tous les principes du droit et de la justice, ni qu'il ait agi sagement en enlevant aux catholiques la propriété de leurs églises, pour leur en laisser seulement l'usage. Cela prouve que la foi, quaud elle est vivace dans un pays,

suffit toujours à l'entretien du culte, et qu'un amas trop considérable de richesses est plutôt nuisible qu'il n'est favorable aux progrès de la religion.

Il convient d'ailleurs de rendre hommage au libéralisme relatif du législateur mexicain, qui s'est préoccupé, dans l'intérêt général, de mettre fin aux abus de la mainmorte, mais n'a pas voulu entraver les manifestations de la liberté de conscience.

Quelques-uns de nos hommes politiques sont allés plus loin. Les projets qu'ils ont rédigés dans un esprit d'hostilité à l'égard de la religion sont la négation de la liberté de conscience et de la liberté de culte. Nous indiquerons rapidement leurs dispositions essentielles, qui n'ont, à l'heure actuelle, aucune chance d'être adoptées.

Sinous rapprochons des précédents le projet de M.Combes, ce n'est pas que nous soupçonnions le Gouvernement d'avoir eu les mêmes visées, ni poursuivi, par des moyens plus détournés, le même but. Il n'a en commun avec les précédents que la théorie juridique dont il s'inspire. Et s'il pose en principe le retour à l'État de tous les biens ecclésiastiques, tant ceux des établissements publics que ceux des communes, c'est pour apporter à la rigueur de ce système, dans l'intérêt de la justice, d'importantes atténuations.

M. Francis de Pressensé s'est montré plus rigoureux que M. Combes dans les conditions auxquelles il a soumis l'usage des édifices religieux consenti aux associations cultuelles. Mais il a fait à l'idée de propriété collective quelques concessions, qui donnent à son projet un caractère plus libéral.

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