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La proposition de M. Allard s'inspire visiblement de celle qu'avait déposée, en 1882, M. Jules Roche. Voici quelles étaient les dispositions essentielles de cette dernière :

L'État, les départements et les communes rentraient immédiatement en pleine possession et jouissance de leurs immeubles actuellement affectés au service des cultes ou au logement de leurs ministres (art. 3). Les biens mobiliers et immobiliers des fabriques, séminaires, consistoires, appartenaient à la Nation qui en prenait la possession immédiate (art. 3). Le produit de la vente des objets mobiliers et immobiliers était versé dans la Caisse des Écoles (art. 4, § 3 et 4); enfin, il était interdit aux départements, communes et sections de communes exception faite pour une période de cinq ans à partir de la promulgation de la loi d'acquérir, recevoir, ni prendre et donner à bail aucun local pour l'exercice d'un culte (art. 5).

On retrouvera, dans la proposition de M. Allard, la reproduction presque textuelle des dispositions qui précèdent. Voici le texte de l'amendement qu'il proposait à 1 article 4 de la commission, avec MM. Vaillant, Dejeante, Bouveri, Chauvière, etc. Les biens mobiliers et immobiliers détenus et occupés actuellement par les menses, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux et autres établissements publics des cultes, ou possédés par personnes interposées, appartiennent à la Nation, qui en prendra possession immédiate. Ces biens seront vendus et liquidés dans le plus bref délai, et le produit

en sera attribué à la Caisse des retraites ouvrières et paysannes. Si l'on excepte la différence de détail résultant de l'attribution à la Caisse des retraites ouvrières du produit de la vente que M. Roche destinait à la Caisse des Écoles, ce projet est identique au précédent (1).

M. Allard se montre ensuite moins libéral que M. Roche lui-même, puisqu'à la différence de ce dernier (art. 4, § 2) il se refuse à admettre, même dans des conditions restreintes, le droit de revendication des donateurs et testateurs, quant aux biens affectés à une destination spéciale. Comment l'auteur de ce projet justifie t-il ces dispositions draconiennes?

Son argumentation est bien simple; et si l'on fait abstraction des devoirs de l'État envers les individus, envers les minorités, si l'on dit avec M. Augagneur : « Pour nous, le droit et la loi ne sont pas autre chose que la volonté de la majorité régulièrement et librement exprimée » (2), ce qui fut, non pas, comme le dit M. Aliard, la thèse révolutionnaire, mais bien, à un moment donné, une thèse révolutionnaire cette argumentation est irréfutable.

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Elle repose sur un principe que nous devons approuver : « Il y a un fait certain, dit M. Allard, dans la séance du 10 « avril. Les biens des menses et fabriques, étant affectés « à un service public, appartiennent indubitablement à la Nation, quelle que soit leur origine. Et si l'on examine <<< de près le fonctionnement des fabriques et des menses, « on s'aperçoit que les fabriques et les menses ne possè<< dent pas ces biens pour elles-mêmes. Elles les détiennent

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(1) Voyez dans le même sens, l'amendement proposé dans la séance du 8 avril 1905 par M. Sénac, qui réclame la dévolution de tous les biens affectés au culte au profit des bureaux de bienfaisance.

(2) Séance du 17 avril 1905.

« en qualité de simples rouages administratifs, chargés de « les conserver et de les administrer ».

C'est la vérité même, la vérité incontestable. Et M. Allard a raison encore, lorsqu'il ajoute (séance du 17 avril). « Si «< ces biens n'appartenaient pas à la Nation, à qui appar<«< tiendraient-ils? L'honorable rapporteur a sur ce point un système particulier (1). J'avoue que je ne le comprends «< pas bien d'après lui, ces biens appartiendraient à la «< collectivité catholique, à la communion des fidèles. Au point de vue juridique, je me demande ce qu'est cette « communion des fidèles..... »

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Et voici la conclusion, qui est irréprochable: « Si vous supprimez le service des cultes, il est évident que ces « biens font retour à la Nation »,

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Mais pourquoi M. Allard ajoute-t-il : « Après avoir supprimé ce service public, elle ne peut que les affecter à un autre service public? »

C'est ici que nous renonçons à le suivre dans ses déductions. Pourquoi la Nation est-elle propriétaire des biens ecclésiastiques, comme le dit exactement M. Allard? Parce qu'elle a la charge du culte. Renonçant à la charge, elle perd le droit à la propriété. Elle doit la transférer aux mains de ceux qui succèdent à la charge. La conclusion de M. Allard serait juste, si le culte avait disparu, si les aspirations religieuses étaient mortes. Mais ces aspirations survivent, et le culte subsiste après la Séparation. Il est vrai que M. Allard le supprime. Et M. Briand dit, avec beaucoup d'esprit et de raison: «S'il fallait donner un <«< nom au projet de M. Allard, je crois qu'on pourrait jus

(1) Sur le système de M. Briand, voyez plus loin, p. 298.

«tement l'appeler: un projet de suppression des Eglises l'Etat ».

<< par

Or, l'Etat a-t-il le droit de supprimer les Eglises ? En vérité, la réponse à cette question est trop facile. On trouvera, dans l'éloquent discours de M. le Rapporteur, toutes les raisons d'équité et de politique qui militent contre cette solution.

Contentons-nous d'ajouter qu'elle n'est pas seulement injuste et inopportune, mais qu'elle est anti-juridique. Car la partie essentielle du droit n'est pas celle qu'invoque M. Allard, celle qui fixe les attributions des organes administratifs, et les soumet à la souveraineté absolue de l'Etat ; c'est celle qui fonde, sur des bases inébranlables, les droits imprescriptibles de l'homme et du citoyen.

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Il est à regretter que, la discussion ne s'étant pas ou verte devant le Sénat, M. Combes n'ait pu répondre aux innombrables critiques soulevées par son projet, qui fut, pendant quelques mois, celui du Gouvernement. Il fut accueilli, dès sa publication, par les protestations des représentants les plus autorisés des différents cultes. On en trouvera un écho dans les résultats de l'enquête ouverte par le journal le Siècle, qui se trouvent consignés dans un volume récemment paru, avec préface de M. Henri Brisson (1).

(1) Une campagne du Siècle : la Séparation des Églises et de l'État, par Henri Brisson, J. de Lanessan etc. Voyez les articles de M. R. Allier,

qui sont publies dans ce volume.

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On critiquait d'abord le principe, qui est celui de la proposition Allard. On admettait volontiers - c'est une concession que nous comprenons mal — que les édifices appartenant à l'Etat, aux départements ou aux communes, ne fussent pas transmis en toute propriété aux associations cultuelles. Tout en reconnaissant que les églises métropolitaines ou paroissiales, antérieures au Concordat, étaient, comme les églises nouvelles, le fruit des libéralités des fidèles, on s'inclinait devant le fait accompli: il y avait une prescription historique dont les effets étaient acquis; (1) et s'il était impossible de revenir sur la Révocation de l'édit de Nantes, pouvait-on songer davantage à restituer les biens confisqués en 1789? Tous arguments dont nous avons mesuré la valeur.

En revanche, le sort fait aux biens des fabriques et consistoires, biens généralement acquis avec les deniers des fidèles postérieurement au Concordat, soulevait une générale réprobation. Dans un de ses intéressants articles, publiés par le journal le Siècle, M. le Professeur Raoul Allier écrivait (2)« Une chinoiserie juridique est sous entendue, << si l'on y prend garde, par cet article 3. (Il s'agit de l'article qui déclare propriétés de l'Etat les biens appartenant aux Etablissements publics de culte.) Elle consiste à prétendre

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(1) Voyez par exemple le Siècle du 29 janvier 1905. A propos de la Séparation, par R. Allier.

(2) Dans le méme sens l'interview de Mgr Turinaz, évêque de Nancy, publié par le Siècle au mois de décembre 1904 : « Si encore on faisait une sélection entre les églises où l'État peut paraître avoir un droit de propriété, et les églises élevées uniquement aux frais et deniers personnels des paroissiens! A Nancy, nous avons fait construire, sans aucun concours autre que celui de souscripteurs volontaires, deux magnifiques monuments. Si la Séparation a lieu, l'Etat va-t-il purement et simplement nous les reprendre, sans indemnité ? » De même, la déclaration de l'archevêque de Cambrai, dans le Siècle du 26 déc. 1904; l'ordre du jour de la commission exécutive du Synode luthérien, dans le Journal des Débats, du 27 déc. 1904.

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