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revenus, qui décroîtront jusqu'à 80 ou 85 millions au plus, lorsque par la mort de certains des titulaires actuels le Clergé ne sera plus composé que des ministres les plus utiles.

Et Mirabeau, déposant dans la séance du 12 octobre une proposition additionnelle, voulut qu'on décrétât: 1° que la propriété des biens du clergé appartenait à la Nation, sauf à pourvoir à l'existence des membres de cet ordre; 2° que la disposition de ces biens serait telle qu'aucun curé ne pourrait avoir moins de 1 200 livres avec logement.

Alors, la discussion générale s'engagea sur l'affirmation de Mirabeau que les biens du Clergé étaient la propriété de la Nation.

On a prétendu de nos jours (1) qu'ainsi la question était mal posée.

Nous ne partageons pas cette opinion. De quoi s'agissait-il, en définitive? De savoir si la Nation, en affectant les biens du Clergé à l'extinction des dettes de l'État, commettrait une spoliation, une expropriation. Or, pour résoudre ce point, n'était-il pas de toute nécessité de décider en première ligne quel était actuellement le propriétaire ?

Ailleurs, on a reproché aux Constituants de s'être livrés à des discussions abstraites, théoriques, qui révélaient en eux les disciples des philosophes, plutôt que des hommes d'État préoccupés des besoins de leur époque. Une lecture attentive des débats, tels qu'ils sont reproduits dans les Archives parlementaires et le Moniteur, ne laisse rien subsister de cette opinion. Il n'est pas de discours où le compte ne soit fait avec minutie des effets financiers de l'opération,

(1) Petit. Une Objection à la Séparation de l'Eglise et de l'Elat. Revue politique et parlementaire, 1905, p. 232.

et de son influence probable sur l'extinction de la dette (1). - Veut-on dire que les Constituants ont eu le tort d'accorder une importance prépondérante aux arguments de théorie, de philosophie, de droit naturel 2)? Nous reconnaissons la vérité de l'observation, mais nous ne saurions nous associer au reproche. Nos assemblées versent aujourd'hui dans l'excès contraire. Nous constatons chaque jour avec surprise combien le raisonnement le plus solide et le mieux construit est impuissant à convaincre le législateur, quand on lui oppose un texte, une loi antérieure, un jugement! Et l'on sait s'il est aisé de dénaturer un texte, d'interpréter un jugement dans le sens qu'on veut!

L'usage qui est fait chaque jour des documents parlementaires relatifs à la délibération de la Constituante en est

la preuve. Chaque parti les interprète à sa manière, y puise des arguments en sa faveur. On nous pardonnera de revenir sur une analyse qui a été souvent et très bien faite (3); on excusera nos citations détaillées. Ces citations sont intéressantes, parce que les orateurs ont su traduire en un très beau langage des théories qui n'étaient pas nouvelles, mais qui trouvaient pour la première fois une expression aussi forte. Elles sont nécessaires, pour que nous comprenions les opinions très variées qui se sont fait jour.

(1) Voyez en particulier les développements de Talleyrand dans la séance du 10 octobre 1789; de Mayet (séance du 23 octobre); de Camus (séance du 13 octobre, etc., etc.).

(2) En ce sens Sagnac. La législation civile de la Révolution française, p. 160 et suiv.

(3) Voyez par ex. Sagnac, op. cit., p. 160 et suiv.; Chénon, dans l'Histoire générale, de Lavisse et Rambaud, t. IX, p. 500; Briand, Rapport..., p. 260 et suiv.; Debidour, Histoire des Rapports de l'Eglise et de l'Etat en France de 1789 à 1870, p. 43 et suiv., etc.

Sans méconnaître les nuances qui les séparent, nous les répartirons en trois groupes, correspondant aux trois solutions de l'ancien droit, suivant que leurs auteurs ont tenu à affirmer surtout les droits de l'État, ont pris en considération l'affectation patrimoniale, ont témoigné leur respect pour la propriété collective.

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C'est la doctrine des Mirabeau, des Barnave, des Treilhard, des Thouret..... Elle se ramène à ces trois idées que ses partisans adoptent et préconisent à des degrés différents l'État est propriétaire de tous les biens du royaume; l'État est le créateur des corps qu'il est libre de dissoudre; l'État est maître des fondations qu'il peut diriger et modifier à son gré.

Bien peu d'orateurs hasardent la première proposition renouvelée de Louis XIV. Elle repose sur la négation même du droit naturel et se présente sous la forme suivante la propriété, comme toutes les institutions juridiques, est l'œuvre de la loi civile. A la loi civile il appartient de détruire ce qu'elle a créé. Mirabeau lui-même parait un instant incliner vers cette doctrine. C'est la loi seule, dit-il, qui constitue la propriété parce qu'il n'y a que la volonté publique qui puisse opérer la renonciation de tous, et donner un titre comme un garant à la jouissance d'un seul.

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Les Constituants ne pouvaient consacrer ce principe, négateur de toute sécurité individuelle. C'est qu'ils étaient profondément respectueux des droits de l'homme, au premier rang desquels ils avaient inscrit le droit de propriété.

Un seul droit ne trouvait pas grâce devant eux, comme on l'a fait très souvent et très justement remarquer, à cause des excès auxquels il avait donné lieu sous l'ancien régime, et des obstacles qu'il pouvait opposer à la souveraineté de la Nation: le droit d'association (1). Ainsi, la majorité distingue entre la personne qui a des droits naturels, et l'association qui n'en a pas; entre la propriété individuelle qui est sacrée, et la propriété corporative que la loi peut détruire, puisque c'est elle qui l'a créée. Laissons la parole à Thouret : « Il faut distinguer, disait-il << dans la séance du 23 octobre, entre les individus réels << et les personnes morales fictives. Les premiers existent indépendamment de la loi, et antérieurement à elle, ont « des droits résultant de leurs facultés propres que la loi «< n'a pas créés, qu'elle a seulement reconnus, qu'elle pro<«<tège, qu'elle ne peut pas plus détruire que les individus <«< eux-mêmes. Tel est le droit de propriété relativement << aux particuliers.

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«< Les corps, au contraire, n'existent que par la loi. Pour « cette raison, elle a sur tout ce qui les concerne et jusque sur leur existence même, une autorité illimitée. Les << corps n'ont aucuns droits réels par leur nature, puisqu'ils n'ont pas même de nature propre. Ils ne sont « qu'une fiction, qu'une conception abstraite de la loi qui « peut les faire comme il lui plait, et qui, après les avoir. « faits, peut les modifier à son gré. Ainsi la Loi, après

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(1) Pour devenir indépendant et pleinement libre, dit M. Sagnac (Législation civile, p. 37), l'Etat doit d'abord supprimer tous les groupes, tous les corps qui l'empêchent d'agir directement sur l'individu, et limitent son pouvoir au profit d'intérêts particuliers et égoïstes. Plus de division en 3 ordres; plus de privilèges; plus de corps nobiliaire; plus de Parlement; plus de clergé en tant qu'ordre, en tant que corps privilégié, puissant par ses richesses ».

<«< avoir créé les corps, peut les supprimer, et il y en a «< cent exemples. Ainsi la loi a pu communiquer aux corps

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la jouissance de tous les droits civils, mais elle peut, et « le pouvoir constituant surtout à le droit d'examiner s'il « est bon qu'ils conservent cette jouissance, ou du moins jusqu'à quel point il leur en laissera la participation. <«< Ainsi, la Loi, qui pouvait ne pas accorder aux corps la « faculté de posséder des propriétés foncières, a pu, lorsqu'elle l'a trouvé nécessaire, leur défendre d'en acquérir. L'édit de 1749 en est la preuve.

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<«< De même, la Loi peut prononcer aujourd'hui qu'aucun <«< corps de main-morte, soit laïque soit ecclésiastique, ne « peut rester propriétaire des fonds de terre, car l'autorité

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qui a pu déclarer l'incapacité d'acquérir, peut au même « titre déclarer l'inaptitude à posséder.

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« Le droit de l'État de porter cette décision sur tous les

« corps qu'il a admis dans son sein n'est pas douteux, puisqu'il a dans tous les temps et sous tous les rapports « une puissance absolue, non seulement sur leur mode. « d'exister, mais encore sur leur existence. La même rai<«<son, qui fait que la suppression d'un corps n'est pas un

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homicide, fait que la révocation de la faculté accordée

<< au corps de posséder n'est pas une spoliation » (1). Une objection paraît cependant s'opposer à la reconnaissance absolue du droit de propriété de la Nation. Elle résulte de l'origine des biens détiennent. Ces

que

les corps

(1) Dans le même sens : Barnave (séance du 13 oct. 1789); Treilhard (séance du 23 oct.): Dupont de Nemours, qui oppose l'esprit de corps à l'esprit public (séance du 21 oct.; Garat jeune, qui constate que le clergé n'est pas propriétaire, puisqu'il ne peut aliéner, ni hypothéquer ses biens sans l'autorisation du Souverain (séance du samedi 24 octobre); Le Chapelier (séance du lundi 2 nov. 1789), etc., etc.....

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