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CHAPITRE III

LES PROJETS DOMINÉS PAR L'IDÉE DE PROPRIÉTÉ COLLECTIVE.

SOMMAIRE. Le respect de la propriété ecclésiastique chez les nations étrangères. Les Américains à Cuba. La Séparation au Brésil : l'art. 72 de la Constitution et la loi de 1893. — L'idée de propriété collective est restreinte, en France, aux biens des établissements publics. 1. La solution de M. Briand Les biens des fabriques ou consistoires sont la propriété des bénéficiaires• Critique. 2. Le système juridique de M. de Castelnau. biens des établissements publics appartiennent a la communauté des fidèles. - 3. Critique du système de M. de Castelnau au triple point de vue historique, administratif et juridique. Il neglige l'idée d'affectation sociale. Importance de cette idée.

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Parmi les différentes propositions soumises à l'examen de nos assemblées parlementaires, il n'en est aucune qui ait consacré le droit des associations cultuelles à la totalité des biens affectés au culte.

La plus généreuse, en apparence, est la proposition Augagneur, qui abandonne en toute propriété aux fidèles les édifices de culte proprement dits, abstraction faite des évêchés, presbytères, séminaires etc. Le but avoué de cette magnificence est d'écraser l'Eglise sous le poids des grosses réparations. Nous n'insistons pas sur cette proposition que les libéraux ont accueillie avec méfiance, et les radicaux avec mécontentement. L'auteur, en se ralliant depuis lors au système Allard, a manifesté ses véritables intentions.

Il faut s'adresser aux législations étrangères pour constater un respect absolu de la propriété ecclésiastique. Il n'est

pas de peuple qui, à cet égard, se soit montré plus scrupuleux, ni plus soucieux de sauvegarder les droits acquis, que les Américains des Etats-Unis.

Non seulement ils ont laissé chez eux les associations cultuelles se former librement, et acquérir, avec la personnalité morale, des patrimoines très considérables, sans autre garantie que la fixation d'un maximum très élevé et très élastique, mais ils ont appliqué les mêmes principes dans leurs interventions aux colonies.

A Cuba, une grande partie du territoire était aux mains d'associations ecclésiastiques. Le Gouvernement espagnol avait confisqué certains immeubles. Un acte intervenu. entre le gouvernement américain et les représentants de l'Église catholique fit restituer à celle-ci la propriété de ses immeubles. Du réglement promulgué le 12 avril 1899, article 5, il résulte que « tous les édifices du culte ou autres bâtiments servant à un but religieux et dont les ministres du culte ou les représentants d'une Église sont en possession, seront considérés comme propriétés de l'Eglise ».

L'Amérique du Sud nous offre un exemple plus suggestif encore. La manière dont, vers 1892, la Séparation de l'Église et de l'État a été réalisée au Brésil (1), est pour nous un enseignement Le libéralisme dont le législateur a fait preuve ne saurait être attribué à des influences cléricales, puisque le gouvernement était sous l'influence des doctrines positivistes, et puisque le pays, s'il est catho

(1) Sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat au Brésil, on lira avec intérêt l'étude de M. C. G. Machado-Lima dans la Revue : Foi et Vie de décembre 1904, l'article de M. Guilaine dans la Revue politique et parlementaire de janvier 1905; enfin la récente brochure de M. Teixeira Mendès: Appel aux catholiques..... et l'article de M. F. Buisson dans le Radical du 15 février

1905.

lique de nom et de tradition, est, dans son ensemble, affranchi de toutes croyances religieuses.

Sous l'Empire, la religion catholique était religion. d'Etat. Le budget des cultes s'élevait, avant 1889, à 2.500.000 francs. Les Eglises étaient en possession d'un grand nombre d'immeubles et d'édifices affectés au culte.

Quand la révolution eut éclaté, grâce à l'influence du positivisme et à l'activité personnelle de Benjamin Constant, l'un des premiers actes du Gouvernement provisoire fut de préparer la Séparation des Églises et de l'État. La question qui souleva les plus graves difficultés fut celle de la condition des biens. La lecture des textes législatifs, dont l'adoption fut successivement proposée ou voté e montrera quelle a été, sur ce point, l'évolution des idées.

Voici le texte du premier projet, déposé, le 5 décembre 1889, par M. Demetrio Ribeiro, chef du Gouvernement provisoire :

Le Gouvernement provisoire des États unis du Brésil, considérant que la politique républicaine est basée sur la complète liberté spirituelle ;

Que les privileges accordés par le pouvoir civil aux adeptes d'une doctrine quelconque n'ont servi qu'à entraver l'avènement naturel des opinions légitimes qui précèdent la régénération des

mœurs;

Que les doctrines destinees à prévaloir n'ont nullement besoin de l'appui temporel, ainsi que le démontre l'histoire...

Décrète :

ART. III. Les temples qui appartiennent à l'Etat seront laissés au libre exercice du culte catholique, tant qu'ils seront utilisés à cet effet. Dès qu'ils seront abandonnés par le Clergé catholique, l'État les cédera pour l'exercice cultuel d'une Église quelconque, sans aucun privilège religieux.

Il résulte implicitement de ce texte que les immeubles appartenant aux associations leur sont conservés. Quant aux édifices de l'État, ils demeurent affectés au culte, d'une manière gratuite et définitive, mais la propriété n'en est pas transférée. C'est une situation analogue à celle qui résulterait en France des systèmes Grosjean et Réveillaud.

Cette rédaction échoua, grâce à l'opposition de Benjamin Constant, qui craignait une réaction cléricale. Et le second projet, dont la copie authentique a été déposée au Secrétariat de la Chambre des députés, établit plus nettement encore le droit de propriété que l'État se réserve sur les églises. On organise la co-habitation des cultes :

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ART. III. Les temples qui appartiennent à l'État continueront à être livrés au sacerdoce catholique, tant que celuici acceptera la responsabilité de leur conservation. Dans le cas où ils seraient abandonnés par le sacerdoce catholique, l'État pourra les livrer à un autre sacerdoce quelconque, moyennant la même condition de conservation, restant entendu qu'il est permis au Gouvernement de consentir à ce que le même temple soit destiné à l'exercice de plusieurs cultes, sans aucun privilège.

ART. IV. Il est garanti aux associations religieuses et aux corporations de main-morte, qui existent sur le territoire de la République, la possession des biens dont elles jouissent à présent et de ceux qu'elles viendraient à acquérir d'après un titre juridique quelconque, tout étant réglé par la législation commune relative à la propriété, étant révoquées toutes les dispositions spéciales contraires.

On remarquera combien cet article 4 est libéral. La propriété collective est soumise au droit commun de la propriété individuelle. Aucune précaution n'est prise contre l'accroissement de la main-morte. Sur ce point, le législa

teur brésilien eut un moment la tentation de se montrer plus restrictif.

Voici le texte du décret n° 119 A du 7 janvier 1890, qui, sur l'initiative de M. Ruy Barbosa, fut substitué à celui de M. Demetrio Ribeiro:

ART. 3. La liberté qui est instituée ici comprend non seulement les individus, dans les actes individuels, mais aussi les Eglises, les associations et les instituts où ils se trouveront assemblés; tous ayant le plein droit de se constituer et de vivre collectivement, d'après leur culte et leur discipline, sans aucune intervention du pouvoir public.

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ART. 5. Est reconnue aux Églises et aux confessions religieuses la personnalité juridique, pour acquérir des biens et les administrer, sous les limitations posées par les lois concernant la propriété de main-morte, en maintenant à chacune d'elles le domaine de leurs biens actuels, ainsi que de leurs édifices de culte.

Cette législation était moins généreuse que la précédente, puisqu'elle soumettait la propriété ecclésiastique aux restrictions destinées à entraver l'extension indéfinie de la main-morte.

Par contre, l'auteur du décret évitait de proclamer le droit de l'Etat sur les édifices affectés au culte. Les Eglises avaient la propriété de ces édifices, comme de tous leurs biens actuels.

La constitution républicaine allait se montrer aussi libérale que M. Demétrio Ribeiro sur le premier point, aussi libérale que M. Ruy Barbosa sur le second. Voici le texte de l'art. 72 § 3:

Tous les individus et toutes les confessions religieuses peuvent exercer publiquement et librement leur culte, en s'associant à

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