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Et ceci nous amène à l'exposé du second système, que nous avons vu défendre éloquemment à la Chambre, dans les séances des 15 et 17 avril 1905, par M. Léonce de Castelnau.

§ 2. - Le système juridique de M. de Castelnau

M. de Castelnau donne pour base à son argumentation une idée que nous avons défendue à plusieurs reprises, et dont l'exactitude ne nous parait guère contestable. Il admet l'existence indépendante de l'intervention de l'Etat, et autérieure à elle, de collectivités organisées, ayant la capacité juridique, et possédant des patrimoines.

Ainsi en est-il des biens des fabriques. Ces biens sont d'origine privée. Ils sont le résultat de donations ou d'acquisitions à titre onéreux, qui se sont produites sans aucune intervention de l'Etat. Sans doute, les membres des fabriques et des consistoires ne sont pas propriétaires des biens consistoriaux et fabriciens, chacun en leur nom privé

les membres d'un Conseil municipal sont-ils propriétaires des biens de la commune ? - mais ils en sont les propriétaires collectifs :

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«La Collectivité confessionnelle, personnifiée de tout temps, d'après les règles de sa propre nature, dans les fabriques et dans les consistoires, possède donc ces biens, <«< non en vertu d'une délégation légale, ni en vertu d'une <«< attribution quelconque du pouvoir exécutif, mais en « vertu de son propre droit ; et ces biens présentent toute «la sûreté, toute l'intégralité, toute l'incommutabilité « de biens d'ordre privé et de droit commun. »

Quel a donc pu être, relativement à ces biens, le rôle de l'Etat? Il les a revêtus d'une personnalité administrative. Reconnaissant que les cultes sont un objet d'intérêt général, il a fait de ces patrimoines collectifs des établissements publics soumis à un régime de tutelle et de contrôle qui n'a pour but que de les sauvegarder. Si la Convention, contrairement à toutes les règles du droit, a pu s'emparer de leurs biens, les décrets de Messidor An XI et de 1806, en les leur restituant, ont accompli une œuvre de justice et de réparation. Car la forme administrative est à la merci des gouvernements; elle peut varier avec les époques; mais le patrimoine est intangible:

« Vous enlevez, par le fait de la Séparation, à ces per<«<sonnalités permanentes, leur état civil particulier; mais « vous ne leur enlevez qu'une simple capacité; vous ne << pouvez leur enlever en aucune façon leur droit primor«dial sur leurs biens. Ces biens ne sont pas quasi-vacants, <«< comme sans maître. Le maître est toujours là, toujours « debout. C'est la collectivité confessionnelle en commu«<nion avec l'autorité et la discipline religieuse qui la font « ce qu'elle est, qui la distinguent de toute autre collecti«vité. Il est toujours là, ce maître incarné et personnifié « dans la personne morale qui l'a incarné et personnifié « autrefois et qui continue à l'incarner et à le personnifier, conformément aux règles de sa nature et de son « essence. Par conséquent, rien, absolument rien ne peut s'interposer entre ces êtres et leur patrimoine. Ils n'ont qu'une chose à faire, puisque vous leur enlevez le caractère d'établissements publics: chercher dans le droit «< commun une autre personnalité civile dont ils puissent « se revêtir pour couvrir immédiatement ce patrimoine, « et le rendre intangible d'une façon complète et définitive

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" comme il l'est au point de vue du droit naturel et du << droit positif : le tout est qu'ils trouvent en effet cette personnalité dans le droit commun. » (1).

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On prévoit la conclusion de M de Castelnau. Il demande le transfert, au profit des associations cultuelles formées suivant le droit commun de la loi de 1901, du patrimoine intégral des établissements publics de culte. Ou, pour mieux dire, il ne se produit aucun transfert. Le corps demeure, toujours le même, mais sa nature juridique n'est plus la même. Le Concordat l'avait revêtu d'une forme administrative, en avait fait une personne publique. Il aura désormais un caractère strictement privé. Mais il succède à l'intégralité du patrimoine, et aucune exception ne doit être faite pour les biens qui viennent de dotations. de l'Etat. Et voici l'amendement proposé au texte de l'article 2:

Les établissements publics des cultes sont supprimés en cette qualité, sous réserve, pour leurs membres, du droit de continuer le même service à l'aide des mêmes biens, en se constituant, dans le délai ci-dessous fixé, en association formée conformément aux articles 5 et suivants de la loi du premier Juillet 1901, et soumise aux autres prescriptions de cette loi, et en outre aux dispositions ci-après.....

(1) Il faut rapprocher du système de M. de Castelnau celui qu'a proposé M. Georges Leygues dans la séance du 21 avril 1905. Il n'en diffère guère que par un point. L'établissement public de culte, au lieu d'être remplacé par une association déclarée, formée suivant la loi de 1901, revêt la forme d'un établissement d'utilité publique. Mais l'idée fondamentale est toujours ia mėme la communauté des fidèles, que le Concordat avait revêtue d'une forme administrative, survit à sa dénonciation, et doit trouver une forme nouvelle. Nous avons indiqué plus haut (cf. p.215), les critiques que mérite le système de M. Leygues. Il ne réalise qu'une demi-séparation.

§ 3. Critique du système de M. de Castelnau;
notre solution

Le système de M. de Castelnau est assurément fort spé cieux. La tentation est grande de voir dans les établissements publics des cultes, fabriques et consistoires, les successeurs des corps ecclésiastiques de l'ancien régime. Ces corps revêtiraient, après la séparation, leur forme ancienne d'associations privées. L'essai de généralisation est d'autant plus séduisant qu'il repose sur un fait exact, la constitution, dans l'ancienne France, de corps ecclésiastiques indépendamment de toute intervention administrative, et qu'il s'inspire d'une idée juste, celle du respect qui est dû à la propriété collective et affectée.

Mais nous ne croyons pas que le système, dans son ensemble et dans ses conclusions, résiste à un examen approfondi. Il nous paraît critiquable, tant au point de vue historique, qu'au point de vue juridique ou administratif.

M. de Castelnau paraît négliger un fait de la plus haute importance la confiscation, en 1789, des biens du Clergé.

Que cet acte législatif doive ou non être approuvé; qu'il ait consisté dans une simple reprise de possession, ou que la Nation ait opéré à son profit un transfert de propriété ; il est certain que le transfert s'est réalisé, et qu'on ne doit pas en négliger les conséquences. A partir de 1789, il n'est plus permis de parler de la propriété des corps, puisque ces corps sont dissous. Les biens affectés au culte appartiennent à la Nation, et la religion est devenue un service public.

Dira-t-on, avec M. de Castelnau, que le Concordat a fait

revivre les anciens corps ecclésiastiques et leur a rendu leurs biens? C'est certainement une erreur,

Le Concordat, bien au contraire, a maintenu le service public qu'il a organisé sur de nouvelles bases, mais il s'est gardé de ressusciter et de reconnaître les anciennes associations. Identifier les anciens corps ecclésiastiques avec les fabriques et les consistoires napoléoniens, c'est commettre une double erreur.

Les fabriques anciennes, loin de constituer des corps. collectifs, propriétaire des biens ecclésiastiques, n'étaient que des conseils de laïques, chargés de l'administration des églises. Les fabriques nouvelles ne sont pas davantage des corps collectifs. Ce sont des instruments de l'Etat, chargés de l'administration d'un service.

J'en dirai autant des consistoires: « Le consistoire Napo<«<léonien, dit M. le Pasteur Lelièvre, dont la consultation est « reproduite dans le discours de M. Réveillaud du 22 avril « 1905, c'est-à-dire le consistoire qui a été institué par les

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articles organiques de la loi du 18 germinal, an X, n'est pas << du tout le consistoire de l'ancienne discipline des Eglises « réformées. Il donne à une Eglise particulière, celle du «< chef-lieu du consistoire, qui n'est mème pas toujours l'Eglise la plus nombreuse, une prépondérance abusive sur les autres, et sacrifie plus ou moins les Eglises locales «< à ce prétendu centre..... Comment la nouvelle loi pour«<rait-elle faire fond sur une institution aussi précaire que <«<le consistoire actuel et le considérer comme un rouage << permanent des Eglises protestantes séparées de l'Etat ?»

Ni les fabriques, ni les consistoires, n'existent donc en dehors de leur forme administrative; leurs biens ne constituent pas des patrimoines collectifs indépendants. Et

DONNEDIEU DE VABRES

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